Le rachat de Dunkerque - 1662
In Dr Louis LEMAIRE – « Histoire
de Dunkerque, des origines à 1900 », réimpression de l’édition de 1927,
Westhoek éditions, Dunkerque, 1980, 447 pages, pp 190-195
Godefroy d'Estrades (1607-1686), artisan du retour de Dunkerque à la France
La Vente de Dunkerque est décidée
Les embarras financiers de
Charles II ne faisaient que s’accentuer.
Les dépenses effectuées pour l’armée
navale, la Jamaïque, et Dunkerque, l’entretien de la maison royale absorbaient
plus que les revenus de la Couronne. En voulant soutenir le Portugal contre l’Espagne,
le Gouvernement britannique s’était engagé dans une impasse.
Au début de 1662 la caisse était
vide et Charles II était talonné par un pressant besoin d’argent. Son chancelier
Hyde de Clarendon le décida à vendre Dunkerque. Il s’était efforcé de lui
prouver que cette place était de très peu de valeur comme port de guerre ou de
commerce, et qu’elle coûterait à l’avenir à la Couronne plus qu’elle ne
pourrait jamais rapporter. Il fut résolu dans un conseil tenu par le Roi, le
Chancelier, le duc d’York, le comte de Sandwich lord trésorier et le
vice-Chambellan George Carteret, de la donner au plus offrant. La France, l’Espagne
et les Etats de Hollande pouvaient en désirer la possession : il parut que
seul le Roi de France serait en état de fournir promptement le prix demandé. En
fin de compte, ce fut à lui que s’adressa tout d’abord Clarendon.
Le comte d’estrades s’était créé
de sérieuses relations en Angleterre au cours de son Ambassade de 1661. Il était
tout à fait qualifié pour servir d’intermédiaire. Désigné comme Ambassadeur en
Hollande, il se trouvait alors retenu à Paris par suite d’un léger accident.
Clarendon lui envoya un de ses confidents, Richard Bellings, pour le mettre au
courant de la proposition de son gouvernement, et le prier de passer par
Londres avant de se rendre en Hollande.
Marchandages
Louis XIV se décida aussitôt. Il pressa
le départ d’Estrades, ne lui donnant que des instructions verbales, lui
indiquant jusqu’à quelle somme il pouvait s’engager et le munissant d’un
pouvoir pour traiter en son nom.
Le roi s’imaginait que la
négociation serait très rapidement menée. Mais il ne comptait pas avec les
prétentions exagérées du Gouvernement britannique.
D’Estrades, arrivé le 12 août à
Londres, avait été obligé de prendre un jour de repos. Le 14 il avait eu une
première conférence avec le Chancelier. Les Anglais demandaient douze millions
pour la cession de Dunkerque, alors que Cromwell, dix ans auparavant, avait
fait estimer à 500.000 Livres la valeur de cette place ! Après deux
nouvelles conférences, d’Estrades qui n’était autorisé à offrir qu’une somme
beaucoup moins élevée feignait de rompre les pourparlers. Mais il avait l’impression
que les Anglais voulaient absolument se défaire de Dunkerque. De part et d’autre
on marchanda, chacun faisant valoir ses arguments.
Clarendon avait mis au courant de
ces négociations, le duc d’York, Monk, le grand Chancelier et le comte de
Sandwich qui se montrèrent très étonnés du bas prix offert par Louis XIV.
Clarendon revint à la charge, croyant que la France ne comprenait pas quelle
était l’importance de cette ville puisqu’elle en sous-estimait ainsi la valeur.
En dernier lieu, il en demanda
sept millions. D’Estrades reçut l’ordre de se retirer et il offrit deux millions et demi : Charles II demanda
alors cinq millions ; ce fut son dernier mot.
Dans l’intervalle, Louis XIV
avait autorisé son représentant à monter jusque quatre millions. D’Estrades
crut cette fois qu’il n’y avait plus qu’un parti à prendre et demanda un
vaisseau pour continuer son voyage en Hollande. Mais un conseil de Lionne le
retint : comme les Anglais estimaient à un million la valeur de l’artillerie
de la place peut-être qu’en la laissant au roi d’Angleterre, celui-ci
consentirait-il à céder Dunkerque pour 4 millions ? Mais dans les circonstances
présentes, un million en argent valait plus pour Charles II « que vingt
fois le canon de Dunkerque ». La
combinaison ne réussit pas.
Louis XIV enfin permit à d’Estrades
de monter jusqu’à cinq millions « à la dernière extrémité pour ne pas
rompre une si grande affaire ».
Alors surgit une nouvelle
difficulté. Charles II voulait être payé comptant, et Louis XIV ne pouvait
verse immédiatement que deux millions. Encore une fois les négociations
faillirent se rompre.
Enfin Charles II trouva un
terrain d’entente : il acceptait les deux millions comptant et pour le
reste demandait au Roi de France de lui désigner à Londres une caution solvable
pour lui permettre de le réaliser immédiatement. Colbert, avec habileté, se
tira de cette affaire qu’il considérait « comme la plus difficile à faire
réussir qui ait jamais passé entre ses mains ». Il trouva un banquier
nommé Herincx qui consentit à donner au Chancelier d’Angleterre toutes les
garanties nécessaires. Herincx arriva à Londres le 9 octobre et s’entendit avec
Monk et le grand Trésorier. Il s’engageait à leur fournir les trois millions à
la remise de Dunkerque à condition que le Roi d’Angleterre lui laissât un
escompte de 12%. Ces 12% profitèrent tout simplement au Roi de France qui gagna
ainsi 340.000 livres sur le marché : en réalité Herincx n’était qu’une
personne interposée et l’argent avait été avancé par MM. des Fermes Royales !
Charles II d'Angleterre
Le Traité
Dès lors, toutes les difficultés
avaient été aplanies.
Le 27 octobre, d’Estrades pouvait
écrire au Roi qu’il avait signé le traité, qu’il envoyait aussitôt à Versailles
pour être ratifié.
Dunkerque, sa citadelle et son
territoire, Mardyck et les forts en dépendant devaient être cédés au Roi de France
avec tous les matériaux et l’artillerie qui s’y trouvaient pour cinq millions
de livres en argent.
Deux millions devaient être payés
le jour de la remise de la place, les trois autres par paiements échelonnés de
trois en trois mois en l’espace de deux ans. Mais la convention séparée faite
avec Herincx, modifiait cette dernière disposition : il s’engageait à
verser en une fois 2.500.000 livres. Nous n’insistons pas sur les dispositions
accessoires.
Le paiement
Il s’agissait de verser la somme
convenue : dès le 20 octobre, l’argent fut préparé à Paris. Le 3 novembre
un convoi de 46 charrettes, escorté par les Mousquetaires du Roi, quitta le
Louvre. La dernière partie du trajet dans le Boulonnais fût extrêmement pénible :
le 11, le convoi arrivait à Calais, et était déchargé dans un grand magasin du
Roi.
Les espèces devaient être
comptées et vérifiées par des commissaires envoyés par le Roi d’Angleterre,
aidés d’orfèvres chargés d’éliminer les pièces fausses.
Ce travail fut très difficile. Il
commença le 13 pour se terminer le 25. George Carteret qui devait en prendre
possession au nom du Roi d’Angleterre était arrivé le 22.
Les Anglais quittent Dunkerque
Pendant ce temps, d’Estrades,
revenu de Londres, le 11 novembre, s’était installé à Gravelines. Il se mit en
rapport avec Rutherford (NB, gouverneur anglais de Dunkerque) qui était aussi
pressé de quitter Dunkerque, que lui-même l’était d’y entrer.
Des officiers français vinrent
reconnaître la ville, dresser l’inventaire des armes, outils et munitions. Déjà
quelques régiments anglais avaient été embarqués : il ne restait plus que
les régiments de cavalerie et quelques compagnies de la King’s Guard. Mais Rutherford
avait besoin de 100.000 livres pour payer le décompte de ces dernières troupes :
grâce à Herincx et Backewel, elles furent envoyées de Calais. Il était temps
car les régiments menaçaient de se mutiner.
Enfin le 28, d’Estrades entrait à
Dunkerque tandis que l’argent était délivré à Calais au Vice-Chambellan George
Carteret.
« Toutes choses,
écrivait-il, se sont bien passées et avec ordre, la joie est grande parmi ces
peuples d’être au Roi » !
Le soir même, Louis XIV rendait à
d’Estrades le Gouvernement de Dunkerque.
La Chambre des Communes avait
envoyé à Rutherford, l’ordre de ne pas remettre la place aux Français. Le courrier
qui l’apportait rencontra en mer les navires qui transportaient les dernières
troupes anglaises et rebroussa chemin.
Dunkerque était, pour toujours,
ville française. Le plan de Richelieu était réalisé. C’est rendre justice à ce
grand Français que de répéter avec Victor Cousin : « Le XVIIIe siècle
ne relève pas de Louis XIV qui le couronne, mais de Richelieu qui l’a inspiré ».
Pour quatre millions et demi,
Louis XIV rentrait en possession de cette ville si ardemment convoitée par les
plus grandes puissances de l’Europe.
En moins de seize ans, elle avait
subi trois sièges et était passée successivement des mains de l’Espagne dans
celles de la France, pour retomber ensuite à l’Espagne, puis appartenir à l’Angleterre
pour revenir en fin de compte au Roi de France, son seigneur foncier !
L’or avait fait ce que le fer n’avait
pas pu obtenir. Aussi quel retentissement eut en Europe cette heureuse
négociation par laquelle Louis XIV
inaugurait son règne personnel. On sentait percer le Grand Roi et on rendait
hommage à l’habileté de ses collaborateurs. Par contre, quelle explosion de
colère secoua le peuple britannique, qui accusa son roi, et surtout le
Chancelier Clarendon de s’être défait à vil prix du CALAIS DE CROMWELL, c’est-à-dire
d’une position capitale sur le continent. De leur part, la faute était immense.
La suite des événements qui se succédèrent sous le règne de Louis XIV le
démontra surabondamment.
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