Grande oubliée des schémas de transport, la voie fluviale est revenue dans l'actualité ces derniers mois à l'occasion du retour sur la scène publique du projet de canal Seine-nord, en suspens depuis de longues années. Moteur de la croissance de la Révolution Industrielle, relégué au second plan avec la voie ferrée puis le tout routier de l'après seconde guerre mondiale, le canal - ou la voie navigable - tient une place prépondérante en nos régions, les usines posées sur leurs berges comme l'organisation des villes industrielles l'attestent... Il n'est pas inutile de proposer un retour sur cette problématique qui, dans le cadre du "developpement durable" (terme cependant galvaudé), est remise au goût du jour, ne serait-ce que par les tonnages extrêmement supérieurs à ceux qui peuvent être transportés par ses concurrents...
le texte de Pierre Miquel résume parfaitement la situation et, bien que datant de 1994, reste encore d'actualité...
in Pierre Miquel, «
Histoire des canaux, fleuves et rivières de France », Editions n°1, Paris,
1994, 375 p., 270-281
« La canalisation de
l’Escaut et de ses affluents de la rive gauche, l’aménagement du delta de la
rivière Aa, la mise en liaison des rivières par des canaux assez facilement et
anciennement caractérisent la région du Nord : elle est le prolongement du
paradis belgo-hollandais des voies navigables. Elle est naviguée depuis fort
longtemps : Valenciennes, depuis les Vikings, tête de ligne de l’Escaut
vers Anvers, Douai, fréquentée depuis le IXe siècle par les nautes, Lille liée
à la Lys par la rivière Deûle. Le canal de Bergues est creusé depuis le XVIe
siècle. Louis XIV et ses ministres approfondissent, établissent de nouvelles
liaisons, à la suite du rattachement des Flandres au royaume. La continuité de
l’action des différents régimes dans cette région est remarquable. Le programme
de 1821-1822 obtient des améliorations sensibles de la navigation. Napoléon III
concède directement aux sociétés minières les ouvrages qui leur sont
nécessaires pour évacuer la houille : la Compagnie des mines de Courrières
obtient ainsi la canalisation de la Souchez, depuis Harnes jusqu’à la Deûle. La
compagnie des mines de Noeux fait créer un embranchement qui dessert ses
installations à Beuvry. Freycinet met les voies d’eau principales au gabarit de
la péniche flamande.
Des travaux importants permettent d’achever le réseau, le
canal de Lens à la Deûle, desservant le bassin minier, la dérivation de la
Scarpe autour de Douai et surtout l’ascenseur des Fontinettes sur le canal de
Neuffossé, construit de 1885 à 1888 pour racheter une chute de niveau de 13,13
mètres.
Les écluses sont relativement
rares dans ce réseau de 416 kilomètres administré entièrement par l’Etat. La
péniche flamande de 275 tonnes et d’1,8 d’enfoncement ne rencontre qu’une
écluse en moyenne tous les vingt kilomètres de la mer à la vallée de la Scarpe,
sur une distance de 110 kilomètres. Encore les chutes sont-elles généralement
faibles. En 1914, le réseau est considéré comme très performant, il est en
harmonie avec les voies navigables de Belgique et de Hollande. L’ascenseur à
bateaux des Fontinettes apparaît avant 1914 comme l’exemple d’une technique
nouvelle, adoptée également par les Allemands sur le canal latéral à l’Elbe.
Sur le parcours Valenciennes-Dunkerque, l’objectif de l’ouvrage français, dont
la force était entièrement hydraulique, était de remplacer un escalier de cinq
écluses qui rattrapait la dénivellation entre le nouveau et l’ancien cours de
la rivière Aa. L’ouvrage se composait de deux lourds caissons métalliques dans
lesquels flottaient les bateaux et qui s’ouvraient, l’ascension une fois
réalisée, par des portes levantes. Le guidage de sas était réalisé par des
rails établis sur des tours centrales et sur les murs de la chute. La manœuvre
était simple, mais le coût de construction très élevé. Peu importait : les
ministres républicains étaient fiers de leur ascenseur à bateau qui devenait,
pour le régime, un élément de prestige.
Le réseau avait été soigneusement
entretenu et amélioré avant la Première guerre mondiale, en raison de
l’exploitation intensive des bassins houillers de Douai et de Béthune.
L’importance des tonnages de charbon expédiés vers la région parisienne, mais
aussi dans les autres régions industrielles, expliquait cette sollicitude. Le
réseau avait été presque entièrement détruit lors des opérations militaires de
1914-1918. Français et Britanniques avaient détérioré les berges et les
ouvrages en accélérant la navigation au moyen de remorqueurs et de vedettes
automobiles dans le but de ravitailler les armées et les civils. Les Allemands
avaient fait le reste : rivières et canaux étaient en zone du front. Dans
leur retraite de 1918, les troupes de Ludendorff avaient fait sauter à la
dynamite ce qui restait encore debout. Les ponts, les bajoyers et les têtes
d’écluses avaient été minés, 400 kilomètres de voies navigables étaient
inutilisables : 74 écluses étaient en ruine.
La reconstruction fut
rapide : on avait encore plus besoin du charbon des mines du Nord en 1919.
Le ministère décida de porter la profondeur des voies d’eau à 2,20 mètres et
d’accélérer la navigation en rectifiant les goulots d’étranglement sur le
parcours des canaux, en doublant les écluses, en remplaçant les ponts mobiles
par des ponts fixes. Les destructions d’immeubles pendant la guerre avaient
permis des rectifications sensibles. Le canal de dérivation autour de Douai
était achevé, la gare d’eau de cette ville était aménagée au lieu-dit de
l’Enfant-Jésus. Les compagnies minières installaient des écluses plus
performantes sur leurs canaux. Les améliorations étaient surtout spectaculaires
à Béthune, où les ports miniers comptaient d’innombrables péniches. Les
nouvelles écluses étaient construites avec 85 mètres de longueur, permettant de
recevoir dans le sas deux péniches naviguant en convoi. La manœuvre électrique
des portes permettait un gain de temps appréciable : le remplissage ou la
vidange du sans en quatre minutes et vingt secondes. La péniche flamande qui
abordait l’écluse passait désormais l’obstacle en une demi-heure, soit quatre
fois plus vite que les écluses les plus lentes du parcours, qui malheureusement
subsistaient. Il reste que le gain de temps sur certaines voies d’eau très
chargées de bateaux, était appréciable : en remonte sur le parcours
Béthune-Bauvin, les mariniers gagnent deux jours en été et cinq jours à la
pointe saisonnière du trafic, pendant les jours courts. La modernisation était
surtout remarquable dans les voies minières : en 1939, les péniches
pouvaient naviguer sans rencontrer de passage rétréci, avec une profondeur de
deux mètres environ entre Denain, Béthune, Lille et Bauvin. Ce n’était pas un
mince résultat.
Il faut ajouter que la traction
mécanique des bateaux s’était généralisée : l’administration faisait la
guerre aux haleurs libres « aux longs jours » qui débattaient, à
chaque prise de corde, du prix de la traction avec le marinier. Il était
impossible, dans ces conditions, d’établir un prix du transport prévisionnel et
de respecter un horaire de marche puisque le patron de la péniche devait se
livrer à de continuels marchandages. Les chambres de commerce avaient donné des
concessions à des sociétés de halage mécanique. La première avait organisé un
circuit électrique entre le Bassin-Rond et Béthune. On avait dû renoncer au
remorquage en raison des destructions causées aux berges par les remous des
hélices. On encourageait donc la pose de voies ferrées pour les tracteurs qui
prenaient le courant par lignes aériennes et exploitaient chacun un parcours
donné. Déjà apparaissaient les tracteurs plus mobiles dotés d’un moteur à
essence ou au gasoil. Le halage par chevaux ne subsistait que sur les voies
secondaires ou pour des transports de moindre rentabilité que la houille.
Les travaux se poursuivaient, à
la déclaration de la guerre de 1939, pour porter les voies essentielles à une
larguer telle que deux péniches lourdes pussent s’y croiser ou s’y dépasser
librement. On envisageait de reconstruire les écluses desservant les voies
d’eau des ports maritimes de la Mer du Nord, d’améliorer la navigation donnant
accès au bassin d’Anzin, de Bassin-Rond à la frontière belge et d’accélérer
partout la vitesse de navigation. Les ingénieurs, pendant la crise des années
trente, se posaient déjà le problème de la rentabilité de la voie d’eau
Plus de cent ports couvraient le
trafic des marchandises dans la région du Nord en 1939, dont sept avaient une
activité très importante : la houille assurait la prospérité à Béthune
(1.256.000 t), à Denain (930.000 t), à Douai (800.000 t), Harnes (580.000 t) et
Beuvry (569.000 t). Le port de Dunkerque utilisait largement les canaux, leur
assurant un trafic de 139.000 t en 1914. Plus de 30 ports recevaient ou
expédiaient plus de 100.000 t de marchandises par an. Le trafic devait se
poursuivre dans les ports charbonniers jusqu’en 1939 et reprendre ensuite sur
une vaste échelle. Seul le bilan du port de Dunkerque avait chuté dans les
années de crise. Les chambres de commerce de Lille, Valenciennes et Béthune
avaient entrepris des travaux importants de rénovation de ports fluviaux.
L’avenir du rôle économique des voies navigables était en question dès 1939. La
région du Nord-Pas-de-Calais était alors en pleine activité : la partie
minière du nouveau bassin, de Bassin-Rond à Béthune, représentait la part la
plus importante du trafic ainsi que la région de l’Escaut canalisé du Bassin-Rond
à Condé, la région minière d’Anzin et des industries lourdes de Valenciennes et
Denain. La conurbation de Lille-Roubaix-Tourcoing était un autre centre
d’intérêt, avec ses puissantes industries textiles et métallurgiques. Les
canaux et voies navigables desservaient encore la zone industrielle des ports
de la mer du Nord, de Béthune à Dunkerque et à Calais. Enfin la voie d’eau
servait aussi, à une moindre cadence, les régions agricoles exportatrices de
blé et de sucre. Le tonnage était annuellement de 8 millions de tonnes
embarquées dans les ports fluviaux et de 7 millions de tonnes débarquées. Cela
méritait un effort continu d’équipement et de modernisation, que consentaient
les sociétés industrielles, les chambres de commerce et l’Etat.
Avant la guerre, le trafic porte
essentiellement sur la houille et l’on peut considérer le canal de la Haute
Deûle, celui d’Aire et leurs embranchements comme un seul port très vaste, de
50 kilomètres d’étendue, expédiant vers le sud des charbons de toutes catégories.
Les matériaux de construction sont une part importante du commerce, avec les
matières premières des industries métallurgiques et de biens de
consommation ; ainsi les papeteries de la rivière Aa, les cimenteries, les
usines chimiques, les distilleries de sucre de betterave sont clientes des
voies d’eau. Les usines s’arrangent pour avoir une desserte sur un canal ou une
rivière, pour charger directement leurs matières premières. Les industries
alimentaires importent ainsi les huiles par Dunkerque. Sur les rives des canaux
du port sont installées d’innombrables usines de torréfaction de la chicorée,
un des produits les plus appréciés des habitants du Nord.
Un article de Voies Navigables signé de l’ingénieur
Héduy, publié dans les années trente, analyse les causes de la régression du
trafic fluvial pendant la crise mondiale. Il dépend, à l’évidence, des échanges
internationaux et l’activité du port de Dunkerque. Mais on constate que la part
des produits traités par la voie d’eau dans ce port n’est que de 14% au lieu de
20% avant la guerre. L’ingénieur admet que des industries locales utilisent
désormais sur place les produits importés, mais la récession est nette. Il en
est de même des expéditions de houille du bassin : la part de la voie
d’eau dans ce trafic n’est plus que de 20% contre un tiers avant la guerre. On
peut aussi admettre que l’industrie chimique utilise sur place la houille
extraite ainsi que les centrales thermiques. Le seul secteur en expansion avant
la Seconde Guerre mondiale vient de l’étranger : les mariniers belges sont
plus nombreux sur l’Escaut, la Deûle et le canal de Roubaix. Ils assurent, sur
des bateaux automoteurs, le débouché des ports belges d’Anvers et de Gand,
raflant ainsi une partie de l’hinterland
de Dunkerque. Il faut bien reconnaître que la voie d’eau recule devant d’autres
moyens de transport, essentiellement le chemin de fer.
Héduy accuse les artisans
mariniers et les sociétés de navigation d’empirisme, de mauvaise gestion, de
refus d’adaptation aux conditions nouvelles des marchés. Ils sont,
affirme-t-il, en partie responsables du marasme des voies navigables par leur
obstination à reste fidèles aux vieux usages. Ils ont pourtant assuré
l’adaptation de la France moderne à la révolution industrielle de la houille et
de l’acier. Une navigation uniforme avait été mise au point du temps de
Freycinet avec l’utilisation de la péniche flamande remorquée mais surtout
halée à partir des rives par des tracteurs électriques ou à moteur Diesel.
L’ensemble industriel constitué par les régions de développement rapide de
l’Europe du Nord-Ouest supposait le recours massif au moyen de transport peu
onéreux de la voie d’eau, d’autant plus économique qu’il repose sur
l’exploitation d’un milieu artisanal compétent mais anarchique que l’on s’est
bien gardé de regrouper pour mieux l’exploiter au hasard des besoins mouvants
de l’industrie. Le tonnage transporté par voie d’eau a centuplé depuis la mise
en application du programme Freycinet, depuis la création du réseau continu,
depuis la France du Nord, des fleuves rendus navigables et des canaux. Les
autres régions de France n’étaient pas entretenues, abandonnées à la
concurrence facilement triomphante de la voie ferrée. Mais avant la Première
Guerre mondiale, la flotte comptait 12.000 péniches de canal et des équipages
de 30.000 artisans naviguant en famille avec les mœurs de l’ancienne
batellerie. La traction mécanique avait eu du mal à l’emporter sur l’animale
car elle était payante et diminuait la marge bénéficiaire des pénichiers qui
était toujours mince. Ces hommes courageux avaient transporté d’immenses
quantités de matières premières et de houille : sur eux avaient reposé, en
grande partie, la révolution industrielle.
Dans la grande plaine aux fleuves
tranquilles de l’Europe du Nord-Ouest, autour des axes fourmillant de péniches,
de l’Escaut, du Rhin, de la Meuse puis de la Moselle s’étaient organisées les
liaisons entre les régions minières et industrielles de l’industrie lourde.
Après la Première Guerre mondiale, l’avance de la région du Nord s’était
confirmée aux dépens du Centre qui avait jusque-là fonctionné à plein régime.
La région parisienne, en dépit de la modicité du débit du canal de
Saint-Quentin, avait profité de cette expansion de l’activité économique du
Nord. Dans le Nord-Est s’était constitué un autre réseau, qui devait tout aux
mines de fer et de charbon, mais dont l’activité était liée à celle des voisins
allemands, belges et luxembourgeois. Cet ensemble de nations, dans les années
trente, restait soumis aux réflexes de nationalisme économique et
protectionnistes pendant la crise mondiale. Il était inévitable que les voies
navigables en fussent affectées, la production étant partout en régression. Il
était injuste d’en accuser l’activité des mariniers.
En 1945, l’économie française reposait
encore largement sur la houille pour ses besoins énergétiques. Le développement
des liaisons par voie navigable avec les centres sidérurgiques était-il
possible ? Une voie moderne avait été creusée, à partir de 1950, de
Valenciennes à Dunkerque, dont on voulait faire un port équipé d’une sidérurgie
au fil de l’eau, selon le modèle japonais de développement. Les navires
minéraliers venus de Mauritanie acheminaient sur les quais de Dunkerque des
tonnes de minerai à forte teneur qui était immédiatement traité. La houille du
Nord intervenait dans cette relance de la sidérurgie, que l’on souhait adapter
aux conditions nouvelles du marché. Le canal Dunkerque-Valenciennes utilisait
les anciens réseaux Freycinet en les modernisant, du port jusqu’à Etrun, sur l’Escaut.
Neuf écluses seulement interrompaient le parcours de 173 kilomètres :
elles étaient construites pour donner accès aux bateaux de 1.500 tonnes et aux
convois poussés de plus de 3.000 tonnes. On décuplait la capacité des péniches
Freycinet. L’objectif avoué des constructeurs du canal était de drainer le
commerce des industries du Nord vers le port de Dunkerque et de distribuer les
marchandises importées par le port dans son hinterland,
luttant ainsi contre la concurrence d’Anvers. La région dunkerquoise avait été
choisie par les planificateurs comme pôle de développement économique.
Le second élément de
modernisation était le doublement de la voie d’eau du Nord vers Paris.
Interrompue en 1914, la construction du canal du Nord était reprise en 1959 et
achevée en 1964. Les deux projets relevaient de la même dynamique : en
1960, les jours du bassin houiller étaient déjà comptés. La régression semblait
inévitable. Le développement du programme énergétique d’EDF reposait sur les
centrales à fuel et sur l’hydro-électricité et non plus sur la houille. Le
« combinat » Valenciennes-Thionville, l’Europe du charbon et de
l’acier, n’étaient plus à l’ordre du jour. L’Europe regardait vers ses ports de
l’Ouest, ceux où l’on débarquait le pétrole, acheminé par pipelines vers les
villes de l’intérieur. La voie Thionville-Dunkerque, ouverte à la sidérurgie au
fil de l’eau était la réponse à la ligne Valenciennes-Thionville qui avait
perdu de son importance. Le canal du Nord était l’indice que les planificateurs
baissaient les bras devant le développement incoercible de la région parisienne
qui marchait sur les 10 millions d’habitants. Pour nourrir cette zone
surdéveloppée, lui fournir l’énergie, les matières premières, les denrées
agricoles, les produits des usines du Nord, le canal venait à point.
Il est conçu trop
chichement : partant de Noyon-sur-l’Oise, il aboutit à Arleux sur la
Sensée après avoir rencontré à Péronne le canal latéral de la Somme. Le gain de
temps est appréciable puisque le parcours d’Arleux à Noyon est ramené de 135 à
85 kilomètres et le nombre des écluses de 42 à 13. Mais il est seulement prévu
de creuser la nouvelle voie d’eau au gabarit des péniches de 350 tonnes, un
tonnage qui sera vite insuffisant. Le canal a été porté aux normes de la classe
III avec des écluses de 92 mètres de long et de 6 de large, un mouillage de 3
mètres à 3,30 mètres, mais il n’est accessible qu’à des péniches Freycinet par
convois de deux bateaux de 650 à 1.000 tonnes. Seule la liaison Seine-Oise est
ouverte à la navigation des convois de 3.000 à 5.000 tonnes. Ainsi le canal
moderne Dunkerque-Thionville, ou dans l’autre sens l’Oise canalisée, débouchent
sur un canal du Nord de construction récente de gabarit insuffisant. Pour cette
raison, l’administration des voies navigables a conçu un nouveau projet
Seine-Nord de mise en grand gabarit du canal latéral à l’Oise et de
construction d’un nouveau canal entre Noyon et l’Escaut pour permettre le
passage des convois poussés de 4.400 tonnes. On envisage de construire 13
écluses et deux pentes d’eau, selon une technique qui a fait ses preuves. Une
variante du projet prévoit 17 écluses de 185 mètres de long sur 12 de large
avec un mouillage de 4,50 mètres. Dans les années soixante-dix, le canal du
Nord a fait la preuve de ses insuffisances. Mais l’accélération des crises a
rendu problématique la réalisation du projet Seine-Nord.
La réalisation du canal du Nord,
si insuffisant soit-il, fut le résultat d’un exploit, un miracle de la
persévérance. Le projet avait été déclaré d’utilité publique en 1903. Les
travaux avaient commencé en 1908, étaient achevés aux trois-quarts au début de
la guerre. Ils n’avaient pas repris entre 1919 et 1939 ! Le commissariat
au plan tardait à prendre en compte les exigences du milieu navigant. La
réussite technique de la ligne de chemin de fer de Thionville à Valenciennes
plaidait pour le recours à la voie ferrée. En 1954, les élus locaux et les
intérêts économiques avaient dû fonder une « association pour l’achèvement
du canal du Nord ». Ils avaient obtenu gain de cause. Quand la voie d’eau
s’était ouverte, le 28 avril 1965, elle n’était pas le résultat d’une volonté
délibérée des planificateurs, mais d’une pression politique locale. Les
autoroutes, après le chemin de fer, avaient désormais la priorité. Pourtant le
« boulevard d’eau » de Dunkerque à Valenciennes avait été ouvert en
1969 au gabarit européen et recevait des convois poussés de 3.000 tonnes et
plus, avec deux barges. Le pousseur, qui pouvait développer une puissance de
6.000 chevaux, était armé à sa proue d’un bouclier qui lui permettait
d’entraîner des barges accouplées devant lui. Sur le canal du Nord, pas de
gabarit européen : mais les formations en flèche pouvaient charrier, sur
deux péniches Freycinet, 700 tonnes de fret. La batellerie avait obtenu gain de
cause. Les planificateurs, qui prévoyaient la récession de la houille du Nord,
n’avaient d’yeux que pour le complexe sidérurgique de Dunkerque et pour le
développement industriel de sa région dans la direction de Lille, Roubaix et
Tourcoing. L’optique régionale était préférée à la liaison « en
étoile », traditionnelle, avec Paris. Pouvait-on leur en tenir
grief ? »