De 1917 à 1921, le port et l’usine des Dunes employèrent pas
moins de 4.000 travailleurs volontaires chinois, un épisode largement méconnu
dans l’histoire dunkerquoise… aussi largement ignoré qu’en France où pas moins
de 140.000 Chinois furent employés durant la même période…
Les documents, il est vrai, sont somme toute peu nombreux à
les mentionner et le temps passant, la mémoire des derniers témoins s’efface
irrémédiablement… En 1917, la situation est tendue au port et dans les usines
dunkerquoises… Le port est depuis le début de la Grande Guerre une
station-magasin administrée par l’armée anglaise afin de ravitailler le front
nord et les bras manquent cruellement : nombre de dockers et d’ouvriers
sont partis sous les drapeaux depuis longtemps, les enfants en âge de
travailler sont absents depuis 1914 avec l’évacuation des « bouches
inutiles » et la guerre réclame sans cesse plus d’efforts puisque le front
stabilisé depuis la course à la mer demande toujours plus d’hommes, de
matériels, de vivres et de munitions… sans compter l’extraordinaire pression de
l’effondrement annoncé du front russe…
Si toute la Côte d’Opale est devenue une vaste base
militaire, Dunkerque est, elle, une base cosmopolite gérée par les armées
alliées, britanniques en tête. Il faut trouver des manutentionnaires d’urgence.
Bien qu’au début du conflit, on embaucha des dockers anglais, ceux-ci durent
vite rejoindre les troupes de Sa Majesté… L’on fit venir des travailleurs
égyptiens mais ils s’enfuient dès les premiers bombardements qu’ils subissent… Comme
la France a des troupes coloniales, l’on fait appel aussi à des ouvriers venant
de ces terres lointaines mais ils ne surent s’adapter au climat et la source se
tarit rapidement en raison d’une épidémie en Indochine… La décision de faire appel à des volontaires
chinois est prise en 1916 mais la Chine est un état souverain, pas une colonie
ni un dominion… Aussi l’on se résout à proposer à des volontaires des contrats
civils de trois ans dans le secteur privé. La Chine méridionale connait les
premiers troubles révolutionnaires, aussi se tourne-t-on vers la Chine du Nord,
dont le climat d’ailleurs, se rapproche plus du nôtre. La voie d’acheminement
est longue car il est hors de question de passer par le canal de Suez, ce qui
oblige à un voyage de trois mois pour doubler le cap de Bonne Espérance.
Dépendant des Anglais, la première étape de leur périple européen se fait
outre-Manche puis ils sont débarqués au Havre, regroupés à Noyelles-sur-Mer
(qui abrite depuis le plus grand cimetière chinois de France). Une fois passée
la visite médicale, on les repartit enfin dans leurs zones de travail, avant
tout les ports de Boulogne, de Calais et de Dunkerque. Quelques usines en
campagne en recueillent comme à Ruminghem où l’on peut aussi visiter leur
cimetière… A Dunkerque, le port en emploie 3.600, l’usine des Dunes 400.
Leurs conditions de vie restent cependant déplorables.
Nourris et habillés, ils ne gagnent qu’un franc par jour alors que pour le même
poste, le dunkerquois gagne huit fois plus. Hébergés sous tente, ils s’éparpillent
dans la campagne environnante à chaque bombardement qui les terrorise. Bombardements,
manque de nourriture et surtout les restrictions nombreuses qui leur sont
imposées sont à l’origine d’émeutes. Les Chinois employés au port de Dunkerque
sont abrités dans un camp de toile à la Samaritaine, au plus près du port, mais
ils sont interdits de séjour à Dunkerque. Passer les portes de l’enceinte leur
est interdit… Il en est de même pour ceux qui sont employés à l’usine des Dunes, eux aussi « assignés
à résidence »… L’on ne peut éviter les frictions avec les populations
locales qui les accusent de tous les maux comme le vol, le chapardage, la
disparition des chiens mais sous-payés et mal nourris, ne maitrisant le plus
souvent aucun mot de français, les chapardages dans les champs sont
inévitables. L’incompréhension est totale, l’effroi règne dans les deux camps.
A Saint-Pol-sur-Mer, les enfants eux attendent les funérailles des Chinois qui
perdent la vie durant leur contrat pour aller dévorer les maigres offrandes en
nourriture laissées sur les tombes (lesquelles sont transférées après-guerre)…
Ce sont deux mondes qui se côtoient mais ne se fréquentent pas… La justice
française reste en retrait pour les accusations de crimes et délits, après
tout, ils sont placés sous juridiction anglaise et peu d’archives ont subsisté…
L’on en est encore réduit aux conjectures et aux souvenirs plus ou moins
fiables des Anciens...
Après le Traité de Versailles, les premiers rapatriements se
font dès 1919, même si les contrats ne sont pas encore arrivés à terme. Les Européens
commencent à être libérés de leurs obligations et militaires et il faut bien qu’ils
retrouvent leurs emplois… Certains cependant restent pour la reconstruction car
le quart nord-est du pays est ravagé et la saignée démographique de la guerre a
été profonde… Peu cependant restent définitivement dans le pays…
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