In Emile Carlier - « Mort ?
Pas encore ! Mes souvenirs 1814-1918 par un ancien soldat du 127e
R.I. », Archeologia Duacensis, Société Archéologique de Douai, 1993
(Emile Carlier est né
à Valenciennes en 1882 et décédé en 1947)
« Pendant les dernières heures de la journée de la
veille et toute la nuit, les radios ont capté au passage tous les messages, tant français qu’allemands,
transmis par la T.S.F. Nous sommes tenus, heure par heure, au courant des
événements. A 6h ¼, la sonnerie du téléphone retentit. Le central nous informe
officieusement que l’armistice est signé et que les hostilités cesseront le
jour même à 11 heures.
A 9.10, un planton m’apporte le message officiel à
transmettre de suite aux unités de ligne. C’est une pièce historique que je
conserve précieusement dans mes souvenirs de guerre. La voici telle que je l’ai
passée dans la matinée du 11 novembre, exactement à 9.15 au 43e, à
9.25 au 127e :
« Le signal à
l’heure H : 11 heures, sera donné par des fusées à fumée jaune allumées à
la diligence des Cts des sous-secteurs C.R. et P.A. les Cts de C.R. feront
sonner « Cessez le feu »
Sonnerie
répétée à plusieurs reprises de 11 h à 11 h 15.
Toute communication
avec l’ennemi est interdite.
Faire lire à toutes
les troupes et afficher à tous les P.C. l’ordre suivant :
« On les a. Les
hostilités sont suspendues sur tout le front à 11 heures.
Gloire à nos
morts ! Vive la France ! Vive la République !
MESSIMY »
Toute la matinée jusqu’à 11 heures, l’artillerie française
tire sans discontinuer. C’est un roulement ininterrompu. Les artilleurs veulent
écouler le stock de leurs munitions ?
A onze heures, je pars à Gérardmer, chargé d’une mission
assez originale. Avant la guerre, sur le versant allemand, à 1.500 mètres
environ de l’ancienne frontière, sur la route de la Schlucht à Munster, se
dressait le magnifique hôtel de l’Altenberg dont Guillaume II fut l’hôte à
plusieurs reprises lors de ses voyages en Alsace. L’hôtel a été occupé par nos
troupes en 1914 et détruit en partie par les bombardements. Dans les ruines a
été aménagé un observatoire d’artillerie. Comme une prime de récupération est
accordée par l’Autorité militaire pour chaque bouteille vide rapportée par les
soldats, chacun se mit à fouiller les ruines de l’hôtel à cet effet. C’est
ainsi que nous nous trouvions le 11 novembre, en possession de plusieurs
centaines de bouteilles provenant des caves de l’Altenberg, que je reçus
l’ordre de vendre au profit de la popote aux hôteliers de Gérardmer.
En arrivant à Retournemer, nous y trouvons une foule joyeuse
qui grouille autour du tramway qu’elle prend littéralement d’assaut. La
locomotive est ornée d’un faisceau de drapeaux tricolores. Au fur et à mesure
que nous approchons de Gérardmer l’enthousiasme ne fait que grandir. Toutes les
maisons sont pavoisées. Nous arrivons en ville où nous tombons en plein de
débordement de la joie populaire. Pour fêter l’armistice, nous nous payons un
repas somptueux à l’hôtel. Civils et soldats s’interpellent, s’arrêtent. On
crie, on pleure. Un vent de folie semble avoir passé. Des camions automobiles,
décorés de feuillages, de drapeaux français et américains parcourent les rues.
Sur ces chars improvisés, des grappes de soldats clament leur joie d’être
débarrassés de l’horrible cauchemar qui empoisonnait leur vie. Ils le
traduisent par un chant qui fait furie et que chacun reprend avec
entrain : « Le temps de nos misères est maintenant
passé ! » Hélas ! Il sera dit que nous n’aurons pas encore bu le
calice jusqu’à la lie.
Deux de mes camarades du 127e m’accompagnent dans
mon voyage à Gérardmer. Le premier succombera quelques temps après sa
démobilisation aux suites d’une bronchite contractée sur le front. Une destinée
plus tragique encore est réservée au second. Ce dernier m’exprime la joie que
lui cause la fin de la guerre et me raconte l’impression d’horreur qu’il a
éprouvé, le 18 août précédent, à l’attaque de Tartiers, en voyant rouler à ses
pieds la tête d’un de ses camarades. Deux mois plus tard, à Sarrebourg, le
malheureux sera tué dans des circonstances particulièrement mystérieuses et
poignantes… »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire