Edité sous le patronage du Secrétariat d’Etat à la Marine,
Draeger, imprimeur, Montrouge, 32.0006.43, 1943, 20 p
RICHELIEU A DIT : IL SEMBLE QUE LA NATURE AIT VOULU
OFFRIR A LA France L’EMPIRE DE LA MER PAR L’AVANTAGEUSE SITUATION DE SES DEUX
CÔTES POURVUES D’EXCELLENTS PORTS AUX DEUX MERS OCEANE ET MEDITERRANENNE ;
Une telle appréciation ne se justifie qu’à condition de
posséder une marine, ce qui ne saurait être l’effet d’un hasard providentiel.
C’est bien plutôt la conséquence de patients efforts, de
sacrifices innombrables, d’héroïsme, de science et aussi une politique sage et
persévérante. Que les hommes manquent et la politique ne peut rien – on l’a vu
à la bataille de l’Ecluse – que la politique soit maladroite et l’héroïsme des
hommes, leur savoir et leur sacrifice demeurent pratiquement vains, on l’a
également vu à la bataille de la Hougue.
Ainsi la grandeur et la puissance d’un pays comme la France,
tiennent, pour une grande part, à la valeur de ses marins et à la qualité de
ses escadres au service d’une politique intelligente et avisée.
Philippe-Auguste, le premier semble-t-il, comprit ce
principe fondamental. Mais s’il construisit des vaisseaux, il ne peut aussi
rapidement former des marins. Sa tentative d’invasion de l’Angleterre aboutit à
un échec ouvrant une large brèche dans les finances publiques. Dès lors, ses
successeurs, contraints à une plus grande économie négligeront la Marine, et
quand le roi d’Angleterre veut débarquer en France, rien ne peut l’empêcher.
Cela, Charles V, le Sage, s’en souvint. Il voulut une flotte
puissante et des marins éprouvés. Laissant à Du Guesclin le commandement des
armées de terre, il confie la Marine à
Jean de Vienne et celui-ci, en une campagne foudroyante, sillonne la
Manche, l’expurge de tout navire ennemi, pénètre dans les ports anglais, en
détruit les installations, assure à la France la liberté de la mer et l’exercice
du commerce qui connaît alors une période florissante.
Malheureusement passagère. Car la mort de Charles V met un
terme à cette sage politique. Pour des raisons d’économie, on réduit encore la
Marine. La guerre de Cent ans se poursuit et nous épuise. Il nous faudra de
longues années pour nous refaire. Il en faudra moins à nos marins pour
témoigner que leur courage de n’use jamais.
Prégent de Bidoux,
avec quelques galères, se couvre de gloire en Méditerranée, puis au large de la
côte bretonne où par son habileté, il contraint les Anglais à cesser leurs
pillardes incursions.
Non loin de là et dans le même temps, un Breton au nom
rugueux et âpre comme la lande, accomplit un des plus beaux faits d’armes de
nos annales maritimes.
Portzmoguer que la
légende et l’usage appellent encore Primauguet,
attaque l’Anglais sous les ordres de l’Amiral de Clermont, quand celui-ci
se trouve d’un seul coup menacé d’encerclement. Primauguet, qui commande La Cordelière, n’hésite pas un instant. Trois
vaisseaux anglais l’assaillent. Par la précision et la rapidité de son tir, il
démâte les deux plus proches et court sus au troisième, Le régent, commandé par le Grand Ecuyer Thomas Knyvet. Il le
rejoint bientôt, l’aborde et fait jeter les grappins tandis que pleuvent le fer
et le feu sur le pont de La Cordelière.
Le corps à corps commence, se prolonge. Autant qu’il faut à l’escadre pour se
réfugier dans la rade de Brest. La défense faiblit ; La Cordelière va tomber aux mains des Anglais. Cela un marin ne
peut l’accepter. Plutôt mourir que de se rendre… Une détonation épouvantable secoue les deux
nefs. C’est Primauguet qui mettant le feu à ses réserves de poudre, fait sauter
son navire entraînant son ennemi ans la mort. L’escadre française était sauvée.
Pour longtemps encore nous serons contraints à une Marine
aux effectifs dérisoires. La France qui se relève lentement, qui chaque jour
agrandit son domaine jusqu’à le porter à ses frontières naturelles, ne peut pas
faire face à tant de dépenses. Certes, François Ier encouragea les armateurs
mais ne pourra mieux faire. Il faudra donc attendre Louis XIII et Richelieu.
Le Grand Cardinal pense qu’un pays n’est respecté qu’autant
qu’il se fait respecter. Par la force si besoin est. Il pense aussi qu’un pays
n’est fort que lorsqu’il peut promener son pavillon là où il veut. Richelieu
conçoit alors et met sur pied un programme naval de grande portée. Il a, de
plus la sagesse de s’entourer de collaborateurs de qualité :
Sourdis,
archevêque de Bordeaux, dont l’autorité brisa l’irascible opposition du duc d’Epernon,
fut appelé par Richelieu en qualité de Chef des Conseils du Roi en l’armée
Marine. Il s’était signalé au siège de la Rochelle, il se couvrit de gloire
lors de la prise des Iles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, détruisit la
flotte espagnoles à Fontarabie, arracha triomphalement la bataille de Laredo et
de Santona, et s’en revint mourir au village d’Auteuil après une vie tout
occupée du soin des ouailles et du service du roi.
Le Commandeur des
Gouttes, navigateur de grande classe, aussi habile manœuvrier que
remarquable organisateur.
Armand de Brézé
qui succède à Richelieu comme grand maître de la navigation. Dès l’âge de vingt
ans, il se signale par ses prouesses, attaquant l’ennemi sans relâche. Dans un
combat, il en voulait surtout au vaisseau amiral ! C’est ainsi que
rencontrant la flotte espagnole, le jeune Brézé se porte droit à l’amiral d’Espagne
et fait un tel usage de ses batteries que l’amiral doit abandonner la partie.
Hélas ! tant de courage et tant de prouesses furent fauchés par la mort. A
27 ans, Armand de Maillé Brézé succombait en pleine gloire au combat d’Orbitello.
Le Chevalier Paul,
l’enfant de la vague, né au plus fort d’une tempête d’une jolie lavandière et d’un
père inconnu, n’eut d’autre désir dans sa vie que de courir la mer, et de
servir la France.
A 12 ans, engagé comme mousse dans la flotte de Malte, il
était à 36 ans capitaine de vaisseau dans la Marine Royale. Un jour, apercevant
cinq galères turques, il se porte au-devant d’elles avec un seul brigantin, les
attaque, rompt leurs mâts, met les voiles en lambeaux et les réduit à une fuite
honteuse. Ses combats sont autant de victoires qui jalonnent une existence
aussi romanesque que sa naissance.
RICHELIEU AVAIT ETE L’INSPIRATEUR DE LA RENAISSANCE DE NOTRE
FLOTTE, COLBERT ET SON FILS SEIGNELEY EN SERONT LES REALISATEURS TANDIS QU’UNE
PELIADE DE MARINS AUDACIEUX ET HEROIQUES AJOUTERONT LEUR RAYON DE GLOIRE A CELLE DU ROI SOLEIL.
Duquesne, pilote
puis capitaine de vaisseau, entre dans l’armée navale de l’archevêque de
Sourdis qui le distingue tout de suite et le signale à Richelieu comme l’un de
ses meilleurs capitaines. Duquesne ne fera jamais mentir ce jugement. Lieutenant
général en 1669, il devait montrer toute sa valeur dans une suite d’immortelles
campagnes en Océan, puis en Méditerranée. En 1675, il démonte la flotte
espagnole sur les côtes de Sicile, l’année suivante, il s’attaque à Ruyter, le
vainqueur de Black, de Monk et des plus fameux amiraux anglais, Ruyter le
sauveur de la Hollande. Un capitaine de commerce anglais ayant alors rencontré
Ruyter non loin de Messine, lui demande ce qu’il faisait : « J’attends
le brave Duquesne », répondit-il. Le brave Duquesne ne tarda pas à venir
et fit de tels prodiges qu’il abattit les flottes hollandaise et espagnole en
trois victoires foudroyantes : Stromboli, Agosta (ou Ruyter fut tué) et
Palerme.
Tourville. – La vie
de Anne-Hilarion Constantin de Tourville tient du prodige tant elle est remplie
d’épisodes fantastiques, d’exploits démesurés et d’actions surhumaines. A 17
ans, sur les instances de son parent, le duc de La Rochefoucauld, il est admis
sur la frégate qu’est en train d’armer le chevalier d’Hocquincourt. On n’a
guère confiance en ce jeune homme blond, à la figure poupine, en cet Adonis
comme se plaît à l’appeler Hocquincourt. Eh bien, l’Adonis, le dameret, fera
pâlir ses maîtres. En un an de course, il capture à lui seul plus de dix
bâtiments turcs et algériens, il ne craindra pas d’engager la lutte avec ses
trois vaisseaux contre trente-six galères turques qu’il désempare et contraint
à la fuite. Toute sa vie est ainsi. Fougueux, ardent, indomptable, mais aussi
calculateur et prudent, il sait attaquer où il faut et au moment voulu. Ses
méthodes stratégiques font école. A Barfleur, il écrase la Marine
anglo-hollandaise qui comptait le double d’unités.
A la Hougue, glorieuse défaite de nos armées, il donne à
tous deux grandes leçons que nous pouvons encore méditer. Il nous apprend qu’il
n’est pas de combat si inégal dont on ne puisse sortir avec honneur et il montre
aussi que la discipline doit rester la règle d’or de toute entreprise.
Le Roi lui en sut gré et le nomma Maréchal de France.
Duguay-Trouin – Embarqué
à 16 ans, il commande à 18 ans un corsaire de quatorze canons. Multipliant ses
prouesses, il sème la terreur parmi les Anglais, et fait prisonnier un amiral
hollandais, ce qui lui vaut le grade de Capitaine de Frégate. Il a 23 ans !
Quelques années plus tard, il soutient avec deux frégates, un combat
invraisemblable contre vingt et un vaisseaux anglais et réussit à s’échapper.
Capitaine de vaisseau à 30 ans, il faillit périr l’année suivante dans un
combat à l’abordage contre le trois-ponts Devonshire
qu’il coula. Anobli en 1709, Duguay-Trouin affrète une escadre de neuf
vaisseaux et cinq frégates avec lesquelles il attaque Rio de Janeiro pour
venger une première expédition massacrée. La capitale du Brésil doit capituler
et Duguay-Trouin est nommé Chef d’escadre. Le seul jugement que nous voulons
retenir est celui que professaient ses matelots : « Mourir avec
Duguay-Trouin ! »
JEAN BART : CE NOM, PERSONNE NE L’IGNORE. VALEUR,
GENEROSITE,
GENIE MÊME, IL REPOND A TOUT.
En 1672, Jean Bart
a 22 ans, la guerre étant déclarée à la Hollande, il arme des bâtiments
corsaires et le bruit de ses exploits parvenant à Vauban, il est attaché à la
Marine Royale avec le grade de Lieutenant de Vaisseau. A quelques temps de là,
ayant résolu de se marier, il voulut que le présent de noces répondit à l’opinion
qu’on avait de lui. Et c’est une superbe frégate légère L’Espérance, qu’il offrit à sa future épouse, aux dépens des
Provinces-Unies.
Lorsque éclate la guerre de la Ligue d’Augsbourg, jean Bart
est Capitaine de Frégate. Attaqué près des Casquets, par deux gros vaisseaux
anglais, il est fait prisonnier après un combat héroïque. Evadé aussitôt, il
repart comme capitaine de vaisseau et avec trois frégates, il enlève six
vaisseaux hollandais. Joint à Tourville, il contribue à la victoire de Béveziers.
Un de ses plus beaux exploits est en 1694 à la tête de sept navires, la capture
d’un convoi chargé de blé, après avoir enlevé à l’abordage trois vaisseaux
anglais d’escorte.
La fin du règne de Louis XIV avec les Pontchartrain et le
début du règne de Louis XV marquent le déclin de notre grandeur. Nos escadres s’en
ressentent. Une fois encore les mauvaises économies entament le budget de la
Marine, et quand commence la guerre de Succession d’Autriche, notre situation
est telle que les Anglais viennent se ravitailler et se reposer dans nos rades,
attaquant impunément nos navires marchands avant l’ouverture des hostilités.
La consécration de notre faiblesse est le traité de Paris
qui nous ravit les Indes et le Canada.
La nature de notre peuple est telle qu’il ne pourrait être
vainqueur sans être généreux, mais il ne saurait souffrir la défaite sans qu’une
résolution farouche ne l’anime lui réservant d’audacieux redressements.
L’humiliation du traité de Paris sera une des raisons de
notre relèvement naval dont Louis XVI sera l’artisan. Lorsqu’éclate la guerre d’Indépendance
des Etats-Unis, nous possédions une flotte solide commandée par des chefs de
valeur.
Si brève que fut cette période de guerre, elle suffit à faire
surgir une foule d’hommes de mer éminents : les d’Estaing, les Lamotte-Picquet,
les de Grasse, les Vaudreuil, les Kersaint et parmi tant d’autres, l’inoubliable
Suffren.
Pierre-André de
Suffren Saint-Tropez – Né en 1726, il profite des leçons des plus fameux
marins de l’époque et débute à 17 ans, dans la carrière où il servira sans
relâche jusqu’à sa mort.
Que dire d’un tel homme ? Faut-il choisir et glaner
dans cette moisson d’exploits ce qu’il fit de mieux ? Mais lui-même nous
dit qu’il ne désire que bien faire. Et tout ce qu’il fit fut bien. Le mémorable
combat de la Praya, sa prestigieuse campagne des Indes, ses victoires
éclatantes de Madras, de Provedien, de Trinquemalé, de Gondelour, attestent
assez l’étonnante habileté de ce marin dont les conceptions audacieuses avaient
rénové la stratégie navale ?
Suffren, mort en 1788, ne connaîtra pas les tragiques
tourments où la France va se débattre pendant trente ans. Il ne verra pas notre
Marine se désorganiser, les équipages sans discipline, il ne connaîtra pas nos
revers accablants d’Aboukir et de Trafalgar.
Que pourraient faire en face d’une telle anarchie, des
marins comme Leissegues, La Touche-Tréville ou Surcouf ?
Action isolée, geste héroïque qui témoignent au monde que la
race de nos grands marins n’est pas morte. C’est tout. Napoléon, si grand
capitaine qu’il fut, ne comprit jamais que son succès ne serait complet qu’autant
qu’il brillerait sur terre et sur mer. Il le comprit peut-être, mais l’héritage
de la Révolution était trop lourd pour remonter la pente, et tout faire tout de
suite.
La chute de l’Empire, la rancœur des Français devant tant de
défaites soudaines, l’intelligente politique extérieure de la restauration
feront germer à nouveau en ce pays la violente et farouche volonté de dominer
la défaite et le malheur de la Patrie.
C’est l’expédition d’Alger, la fin de non-recevoir opposée à
l’Angleterre qui s’inquiète, c’est la conquête éblouissante de l’Algérie et la
renaissance de notre empire colonial que la France va refaire avec et par sa
Marine, dont l’Amiral Courbet sera la plus brillante illustration.
Aujourd’hui nous connaissons encore des jours sombres… Ils
ne sont pas les premiers de notre histoire, mais l’expérience nous enseigne que
notre relèvement dépend de notre volonté d’être fort, et notre force dépend de
la Marine.
SANS MARINE : PAS D’EMPIRE
SANS MARINE : PAS DE COMMERCE
SANS MARINE : PAS D’INDEPENDANCE
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