In Gustave Ducoudray – Cent récits d’histoire de France –
deuxième édition, Hachette, Paris, 1878, np, récit XXXV
Vainqueur à la journée de Crécy (26 août 1346), Edouard III
alla aussitôt mettre le siège devant Calais ; il fut retenu devant la
ville plus de dix mois, mais il détestait les habitants de Calais qui, par
leurs courses sur mer, avaient causé de grands dommages au commerce anglais. Pour
montrer sa ferme résolution de s’emparer de la place, il traça autour d’elle
non plus seulement un camp, mais une véritable ville de bois. Il ne donna aucun
assaut, n’éleva aucune machine contre la place et la réduisit par la famine.
Philippe VI de Valois essaya en vain de secourir Calais ; il ne put s’approcher
et l’héroïque gouverneur Jean de Vienne dut enfin capituler (1347). Edouard III
voulait d’abord que la ville se rendit à discrétion ; il exigea ensuite
que six bourgeois vinssent en chemise, la corde au cou, lui apporter les clés
de la place.
Lorsque Jean de Vienne revint dans la ville, il fit sonner
la cloche pour assembler le peuple dans la halle. Au son de la cloche vinrent
hommes et femmes avides de nouvelles, car la famine était devenue extrême. Quand
ils eurent entendu le rapport, la désolation fut grande. Alors dans l’assemblée
se leva le plus riche bourgeois de la ville, qu’on appelait sire Eustache de
saint-Pierre, et dit : « Ce serait grand ’pitié de laisser mourir un tel
peuple par famine ou autrement quand on peut y trouver remède. J’ai si grande
espérance d’avoir grâce et pardon de Notre-Seigneur si je meurs pour ce peuple,
que je veux être le premier et me mettrai volontiers nu-pieds et la hart au col
en la merci du roi d’Angleterre. » Tous s’empressèrent autour de lui pour
rendre hommage à ce beau dévouement qui excita les larmes du peuple et qui fut
imité par Jean d’Aire, Jacques et Pierre de Wissant et deux autres notables
bourgeois.
Eustache de Saint-Pierre
Edouard, ayant autour de lui tous les grands seigneurs de sa
cour, les attendait sur la place devant son logement : « Sire, lui
dit Gaultier de Mauny, voici la représentation de la ville de Calais à votre
discrétion. » Les six bourgeois se mirent à genoux et dirent : « Gentil
sire et gentil roi, nous vous apportons les clefs de la ville et du château de
Calais et vous les rendons à votre bon plaisir, et nous mettons en l’état que
vous voyez, en votre pure volonté, pour sauver le reste du peuple de Calais,
qui a souffert de beaucoup de maux. Veuillez avoir pitié de nous et merci, par
votre très haute noblesse. » Le roi les regarda avec colère car il
haïssait beaucoup les habitants de Calais pour les grands dommages qu’au temps
passé ils lui avaient faits. Il ordonna de conduire les six bourgeois à leur
mort. En vain les seigneurs intercédaient pour eux ; Edouard renouvela son
ordre.
Alors la reine d’Angleterre se jeta à genoux devant son
seigneur et lui dit : « Ah ! Gentil sire, depuis que je repassai
la mer en grand péril, comme vous savez, je ne vous ai rien requis ni demandé. Or,
je vous prie pour le fils de sainte Marie et pour l’amour de moi, vous veuillez
avoir de ces six hommes merci. » Le roi attendit un peu à parler et
regarda la reine qui pleurait à genoux ; le cœur lui mollit et il lui dit :
« Ha ! Dame, j’aimerais mieux que vous fussiez autre part qu’ici.
Vous me priez tant que je ne vous l’ose refuser et, quoique je le fasse avec
peine, tenez, je vous les donne, faites en votre plaisir. » La reine fit
lever les six bourgeois et leur ôter les cordes d’autour le cou, les fit
revêtir et, après qu’ils eurent diné, les fit reconduire dans la ville.
Edouard chassa tous les habitants de Calais et repeupla la
ville avec des familles anglaises. Il faut ajouter qu’Eustache de Saint-Pierre,
sans doute par reconnaissance pour la reine qui lui avait sauvé la vie, se
soumit à Edouard III et recouvra ses biens dont plus tard ses héritiers ne
voulurent pas.
A quelques temps de là, Geoffroy de Charni, gouverneur de
Saint-Omer, acheta le gouverneur de Calais et tenta de reprendre la ville. Mais
le prétendu traitre le trompa et, au lieu de trouver des gens prêts à lui
ouvrir les portes, Geoffroy de Charni rencontra une troupe nombreuse ayant
Edouard III lui-même à sa tête. Il faisait nuit. La troupe de Geoffroy de
Charni combattit avec vaillance et un chevalier Eustache de Ribaumont lutta
avec le roi anglais, seul à seul. Les Français furent rompus, Eustache de
Ribaumont dut se rendre à Edouard III qui lui dit : « Jamais je ne me
suis trouvé en aucune bataille où j’aie rencontré quelqu’un qui me donnât tant
à faire corps à corps que vous avez fait. Je vous en donne le prix sur tous les
chevaliers de ma cour par juste sentence. » En même temps, il lui donna
une couronne de perles qu’il portait sur sa tête, en lui ordonnant de la porter
toute cette année comme une marque de sa haute valeur.
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