In Canonniers Sédentaires de Lille – Souvenir du Jubilé du
Commandant P.-H. saint-léger – 20 mars 1864 – Lille, de l’imprimerie Horemans,
1861, 32 pages
… Notre spirituel compatriote, Henri Bruneel (Capitaine dans
les Canonniers, chevalier de la Légion d’Honneur, décédé à Lille, le 10 juillet
1858.
A M. le Directeur de l’Illustration
Lille, le 18 juin 1853.
L’Illustration s’est
occupée, à diverses reprises, des confréries d’archers et d’arbalétriers qui
florissaient autrefois dans quelques provinces du nord et du centre de la France :
la ville de Lille peut offrir une institution analogue tout aussi curieuse,
mais bien autrement utile ; je veux parler d’un corps de Canonniers
bourgeois, qui, depuis l’invention de l’artillerie, a vaillamment défendu nos
remparts dans tous les sièges, attaques, bombardements qu’ils ont eu à subir.
Ce corps conserve dans ses archives une collection de documents remarquables,
qui sont pour lui comme autant de titres de noblesse.
Nous y trouvons d’abord une ordonnance du magistrat de
Lille, datée du 2 mai 1483, qui, constatant les services précédemment rendus
par les Canonniers, bombardiers et couleuvriniers lillois, les organise en
corps spécial, sous la dénomination de Confrérie
de Madame Sainte-Barbe. Vient ensuite une série de pièces parfaitement
authentiques, qui établissent ainsi les glorieux états de service des
Canonniers de Lille :
9 avril 1497 – Par lettres patentes, en récompense des
services rendus, Philippe-le-Beau, archiduc d’Autriche, administrant la Flandre
pour son père, Maximilien Ier, confirme les privilèges, statuts et règlements
de la confrérie de Sainte-Barbe
7 octobre 1541 – L’empereur Charles Quint, par lettres
patentes, fait don aux Canonniers lillois de cinquante florins carolus d’or, pour les aider dans la construction
d’une maison servant à leurs exercices. Par ces mêmes lettres, l’empereur
déclare que la confrérie de sainte-Barbe est « fort utile et nécessaire pour la garde, tuition, conservation et
défense de la ville contre ses ennemis ».
1578 – La ville de Lille, attaquée par les révoltés
huguenots, est défendue par six batteries servies par les Canonniers bourgeois.
1581 – Les Canonniers de Lille, sous les ordres du duc de
Parme, gouverneur des Pays-Bas espagnols, combattent vaillamment au siège de
Tournai.
1583 – Ils servent plusieurs batteries aux sièges de
Dunkerque et d’Oudenarde.
13 mai 1583 – Par lettres patentes, Philippe, roi d’Espagne,
accorde divers dons aux Canonniers, en récompense de leurs services.
Septembre 1645 – Les maréchaux de Gassion et de Rantzau
attaquent la ville de Lille, dépourvue de garnison ; ils sont repoussés
par le feu des Canonniers bourgeois.
1650 – En récompense du fait précédent, Philippe IV, roi d’Espagne
et comte de Flandre, confirme et accroît les privilèges du Corps des Canonniers
de Lille.
1667 – Louis XIV en personne met le siège devant Lille ;
le tir des Canonniers bourgeois fait tant de mal aux assiégeants, que le roi,
après la prise de la ville, vient jusque dans leurs batteries les complimenter
sur leur habileté et leur bravoure.
1708 – La ville, assiégée par le prince Eugène, compte les
Canonniers bourgeois parmi ses plus vigoureux défenseurs. (Ce siège dura trois
mois pour la ville, et, en outre, quarante jours pour la citadelle).
A propos de ce siège, les archives des Canonniers offrent un
document assez curieux, c’est un brevet, daté du 15 septembre 1714, et signé du
roi Louis XVI, où nous lisons ceci : « Le roi étant bien informé des
services essentiels que lui a rendu Jacques Boutry, maître charron, et
canonnier de la ville de Lille, dans la défense du siège de ladite place en 1708,
tant à la réparation des brèches qu’à la construction de bateaux armés et à
plusieurs machines de son invention,
très utiles pour ladite défense, ayant généreusement exposé sa vie dans toutes
ces occasions ; Sa Majesté, voulant lui donner des marques de
satisfaction, a permis et permet audit Jacques Boutry de porter l’épée, et lui a de plus accordé et fait don de la somme de
trois cents livres de pension par chacun un an… etc., etc. »
1717 – Le duc du Maine, grand maître de l’artillerie du
royaume, fait don aux Canonniers de Lille de deux canons d’honneur, en
récompense de leur belle conduite pendant le siège de 1708.
1744 – Le duc d’Aremberg menace la ville de Lille d’une
attaque sérieuse. Pendant soixante-dix jours les canonniers bourgeois ne
quittent pas leurs batteries. Il parait que vers cette époque, d’après les règlements
de leur institution, les Canonniers lillois étaient enrôlés pour la vie et ne
pouvaient se dégager sous aucun prétexte. C’est du moins ce qui résulte des
termes d’une requête administrative datée du 18 décembre 1762.
Septembre 1792 – Siège et bombardement de Lille par les
Autrichiens. Les Canonniers bourgeois s’y montrent dignes du passé glorieux de
leur corps. – dans sa séance du 12 octobre, la Convention décrète : Les citoyens de Lille ont bien mérité de la
patrie.
Nous trouvons dans les mémoires du temps deux faits que nous
ne pouvons-nous empêcher de reproduire :
« A chaque instant les bombes ennemies allumaient un
nouvel incendie dans la ville. Une des batteries lilloises était commandée par
le capitaine Ovigneur. Dans un moment difficile où le capitaine, penché sur la
culasse d’une pièce de 24, vérifiait le pointage d’un coup difficile, un homme
accourt dans la batterie :
-
« - Citoyen Ovigneur, ta maison brule et la
femme accouche ! …
-
« - Ma femme est-elle dans ma maison ?
-
« - Non, citoyen.
-
« - Eh bien, alors que ma maison brûle !
Je reste à mon poste, et je vais leur rendre feu pour feu.
« Pendant ce dialogue, le capitaine n’avait même pas
tourné la tête ; il était resté l’œil cloué sur sa pièce, et il ne se
releva que pour commander d’une voix calme et sonore : - amorcez ! »
« Le 4 octobre, le feu des assiégeants prit tout-à-coup
une intensité extraordinaire ; curieux de savoir ce qui pouvait leur
valoir ce redoublement de courtoisie, les Lillois s’informèrent, et ils
apprirent que l’archiduchesse Marie-Christine venait d’arriver dans le camp
autrichien, et qu’on activait les salves pour lui faire honneur. La rumeur
publique ajoutait que cette princesse avait voulu mettre feu de sa propre main
à l’un des mortiers ennemis… Sur ce, nos Canonniers, séance tenante, à l’unanimité,
décernèrent à Marie-Christine le titre d’Architigresse
d’Autriche !... »
13 fructidor an XI – Le général Bonaparte, premier consul,
pour récompenser les Canonniers lillois de leur conduite pendant le
bombardement de 1792, décrète qu’il leur sera donné, en toute propriété, une maison nationale propre à leur servir d’hôtel ;
et il leur décerne en même temps deux canons d’honneur, sur lesquels il fait graver
ces mots et cette date : Le premier
Consul aux Canonniers de Lille, 29 septembre 1792.
2 thermidor an XII – Un décret de l’empereur Napoléon fait
don aux Canonniers de Lille de l’ancien couvent des Urbanistes et de ses
dépendances. Cette vaste propriété devient l’hôtel du corps ; et dans la
cérémonie d’inauguration du 9 mai 1805, les Canonniers bourgeois reçoivent
officiellement le titre de Canonniers
impérieux sédentaires de Lille.
1809 – Un détachement de 120 Canonniers de Lille se rend à
Flessingue ; 27 d’entre eux, dont 3 officiers, trouvent la mort dans cette
expédition.
1813 et 1814 – Les Canonniers sédentaires de Lille exécutent
les travaux d’artillerie d’un armement complet de la ville et de la citadelle.
30 juillet 1816 – Le marquis de Montazet, lieutenant
général, inspecteur du Nord, demande au gouvernement le maintien du corps des
Canonniers sédentaires de Lille, attendu,
dit-il, que ce corps a toujours été dans une activité réelle,
toujours à la disposition du ministère de la guerre, toujours sous les ordres
immédiats du directeur de l’artillerie, toutes les fois que la place a été mise
en état de siège.
1830 et 1831 – Le corps exécute les travaux de deux
armements de précaution de la ville et de la citadelle de Lille.
2 décembre 1831 – Le roi Louis-Philippe, par une ordonnance
spéciale, consacre l’organisation du corps.
Juin 1848 – Une des quatre compagnies du corps se rend à
Paris et pend part aux dernières luttes des journées de juin.
28 février 1852 – Le prince Louis-Napoléon, président de la
république, donne une nouvelle organisation au corps des Canonniers sédentaires
de Lille, en maintenant toutefois son effectif à quatre compagnies de 120
hommes chacune, plus une compagnie de Canonniers-vétérans.
Certes,
voilà un ensemble d’éphémérides qui font de cette institution, quatre fois
séculaire, une bien remarquable exception parmi les milices bourgeoises de la France.
Aujourd’hui le corps des Canonniers sédentaires de Lille, doté
et magnifiquement logé par l’empereur Napoléon Ier, maintient dans ses rangs
une discipline toute militaire. Quant à son instruction, voici ce qu’on lit
dans le rapport d’un officier supérieur de l’artillerie de l’armée, chargé
dernièrement de l’inspection de ce corps : « L’Etat possède, à Lille,
quatre cents artilleurs qui ne lui coûtent rien en temps de paix, et qui en
temps de guerre, peuvent lui rendre tous les services qu’on doit attendre des
Canonniers dans les places fortes. »
Maintenant, Monsieur, que je vous ai rapporté ce qu’ont été
autrefois et ce que sont encore aujourd’hui les Canonniers de Lille, laissez-moi
vous dire deux mots d’une sorte de musée
du cœur qu’ils ont établi dans une des salles de leur hôtel. Nos Canonniers
ont réuni en ce lieu tout ce qui parle le plus éloquemment de leurs souvenirs
et de leurs regrets : on y voit d’abord les portraits en pied des
officiers qui les ont commandés à diverses époques ; puis, vient un beau
portrait du général Négrier, tué à Paris aux journées de juin 1848. Ce général
aimait beaucoup les Canonniers lillois de son vivant, et ceux-ci continuent de
le lui rendre après sa mort…
Le brave négrier a légué, par testament, son épée aux
Canonniers de Lille, et ils lui ont élevé, dans le sanctuaire intime dont je
vous parle ici, une sorte de cénotaphe à l’intérieur duquel on voit, couchés
derrière une vitrine, l’épée nue du général et son uniforme taché de sang et
troué en pleine poitrine par la balle des insurgés…
J’ai lu quelque part qu’on vit autrefois des soldats, avant
de marcher à l’ennemi, aiguiser leur sabre sur le marbre du tombeau du Maréchal
de Saxe ; maintenant, pour aiguiser le cœur des Canonniers lillois au
moment de les conduire sur les remparts de la ville assiégée, on aurait qu’à
les faire défiler devant cet uniforme et devant cette épée…
Dans la cour des manœuvres de ce même hôtel, se dresse sur
son piédestal un autre monument qui n’est pas non plus sans éloquence : c’est
un énorme mortier autrichien broyé sur son affût par le tir des Canonniers
lillois, au siège de 1792. Tout cela rappelle sans cesse à nos artilleurs
bourgeois que leurs anciens aimaient le pays et visaient juste ; si bien
que, dans l’occasion, ils seraient tout naturellement portés à en faire autant.
Je vous adresse, sous ce pli, des épreuves photographiques
qui vous feront connaître quelques-uns des uniformes portés à diverses époques
par les Canonniers de Lille. Je vous livre, Monsieur, ces images et mes
renseignements pour ce qu’ils valent, vous en userez à votre fantaisie.
Agréez, etc.
Henry BRUNEEL
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