samedi 22 septembre 2012

Les faits d’armes des Canonniers Sédentaires de Lille (1853)


In Canonniers Sédentaires de Lille – Souvenir du Jubilé du Commandant P.-H. saint-léger – 20 mars 1864 – Lille, de l’imprimerie Horemans, 1861, 32 pages

… Notre spirituel compatriote, Henri Bruneel (Capitaine dans les Canonniers, chevalier de la Légion d’Honneur, décédé à Lille, le 10 juillet 1858.

A M. le Directeur de l’Illustration
Lille, le 18 juin 1853.

L’Illustration s’est occupée, à diverses reprises, des confréries d’archers et d’arbalétriers qui florissaient autrefois dans quelques provinces du nord et du centre de la France : la ville de Lille peut offrir une institution analogue tout aussi curieuse, mais bien autrement utile ; je veux parler d’un corps de Canonniers bourgeois, qui, depuis l’invention de l’artillerie, a vaillamment défendu nos remparts dans tous les sièges, attaques, bombardements qu’ils ont eu à subir. Ce corps conserve dans ses archives une collection de documents remarquables, qui sont pour lui comme autant de titres de noblesse.

Nous y trouvons d’abord une ordonnance du magistrat de Lille, datée du 2 mai 1483, qui, constatant les services précédemment rendus par les Canonniers, bombardiers et couleuvriniers lillois, les organise en corps spécial, sous la dénomination de Confrérie de Madame Sainte-Barbe. Vient ensuite une série de pièces parfaitement authentiques, qui établissent ainsi les glorieux états de service des Canonniers de Lille :

9 avril 1497 – Par lettres patentes, en récompense des services rendus, Philippe-le-Beau, archiduc d’Autriche, administrant la Flandre pour son père, Maximilien Ier, confirme les privilèges, statuts et règlements de la confrérie de Sainte-Barbe

7 octobre 1541 – L’empereur Charles Quint, par lettres patentes, fait don aux Canonniers lillois de cinquante florins carolus d’or, pour les aider dans la construction d’une maison servant à leurs exercices. Par ces mêmes lettres, l’empereur déclare que la confrérie de sainte-Barbe est «  fort utile et nécessaire pour la garde, tuition, conservation et défense de la ville contre ses ennemis ».

1578 – La ville de Lille, attaquée par les révoltés huguenots, est défendue par six batteries servies par les Canonniers bourgeois.

1581 – Les Canonniers de Lille, sous les ordres du duc de Parme, gouverneur des Pays-Bas espagnols, combattent vaillamment au siège de Tournai.

1583 – Ils servent plusieurs batteries aux sièges de Dunkerque et d’Oudenarde.

13 mai 1583 – Par lettres patentes, Philippe, roi d’Espagne, accorde divers dons aux Canonniers, en récompense de leurs services.

Septembre 1645 – Les maréchaux de Gassion et de Rantzau attaquent la ville de Lille, dépourvue de garnison ; ils sont repoussés par le feu des Canonniers bourgeois.

1650 – En récompense du fait précédent, Philippe IV, roi d’Espagne et comte de Flandre, confirme et accroît les privilèges du Corps des Canonniers de Lille.

1667 – Louis XIV en personne met le siège devant Lille ; le tir des Canonniers bourgeois fait tant de mal aux assiégeants, que le roi, après la prise de la ville, vient jusque dans leurs batteries les complimenter sur leur habileté et leur bravoure.

1708 – La ville, assiégée par le prince Eugène, compte les Canonniers bourgeois parmi ses plus vigoureux défenseurs. (Ce siège dura trois mois pour la ville, et, en outre, quarante jours pour la citadelle).
A propos de ce siège, les archives des Canonniers offrent un document assez curieux, c’est un brevet, daté du 15 septembre 1714, et signé du roi Louis XVI, où nous lisons ceci : « Le roi étant bien informé des services essentiels que lui a rendu Jacques Boutry, maître charron, et canonnier de la ville de Lille, dans la défense du siège de ladite place en 1708, tant à la réparation des brèches qu’à la construction de bateaux armés et à plusieurs machines de son invention, très utiles pour ladite défense, ayant généreusement exposé sa vie dans toutes ces occasions ; Sa Majesté, voulant lui donner des marques de satisfaction, a permis et permet audit Jacques Boutry de porter l’épée, et lui a de plus accordé et fait don de la somme de trois cents livres de pension par chacun un an… etc., etc. »

1717 – Le duc du Maine, grand maître de l’artillerie du royaume, fait don aux Canonniers de Lille de deux canons d’honneur, en récompense de leur belle conduite pendant le siège de 1708.

1744 – Le duc d’Aremberg menace la ville de Lille d’une attaque sérieuse. Pendant soixante-dix jours les canonniers bourgeois ne quittent pas leurs batteries. Il parait que vers cette époque, d’après les règlements de leur institution, les Canonniers lillois étaient enrôlés pour la vie et ne pouvaient se dégager sous aucun prétexte. C’est du moins ce qui résulte des termes d’une requête administrative datée du 18 décembre 1762.

Septembre 1792 – Siège et bombardement de Lille par les Autrichiens. Les Canonniers bourgeois s’y montrent dignes du passé glorieux de leur corps. – dans sa séance du 12 octobre, la Convention décrète : Les citoyens de Lille ont bien mérité de la patrie.

Nous trouvons dans les mémoires du temps deux faits que nous ne pouvons-nous empêcher de reproduire :
« A chaque instant les bombes ennemies allumaient un nouvel incendie dans la ville. Une des batteries lilloises était commandée par le capitaine Ovigneur. Dans un moment difficile où le capitaine, penché sur la culasse d’une pièce de 24, vérifiait le pointage d’un coup difficile, un homme accourt dans la batterie :
-          « - Citoyen Ovigneur, ta maison brule et la femme accouche ! …
-          « - Ma femme est-elle dans ma maison ?
-          « - Non, citoyen.
-          « - Eh bien, alors que ma maison brûle ! Je reste à mon poste, et je vais leur rendre feu pour feu.
« Pendant ce dialogue, le capitaine n’avait même pas tourné la tête ; il était resté l’œil cloué sur sa pièce, et il ne se releva que pour commander d’une voix calme et sonore : - amorcez ! »
« Le 4 octobre, le feu des assiégeants prit tout-à-coup une intensité extraordinaire ; curieux de savoir ce qui pouvait leur valoir ce redoublement de courtoisie, les Lillois s’informèrent, et ils apprirent que l’archiduchesse Marie-Christine venait d’arriver dans le camp autrichien, et qu’on activait les salves pour lui faire honneur. La rumeur publique ajoutait que cette princesse avait voulu mettre feu de sa propre main à l’un des mortiers ennemis… Sur ce, nos Canonniers, séance tenante, à l’unanimité, décernèrent à Marie-Christine le titre d’Architigresse d’Autriche !... »

13 fructidor an XI – Le général Bonaparte, premier consul, pour récompenser les Canonniers lillois de leur conduite pendant le bombardement de 1792, décrète qu’il leur sera donné, en toute propriété, une maison nationale propre à leur servir d’hôtel ; et il leur décerne en même temps deux canons d’honneur, sur lesquels il fait graver ces mots et cette date : Le premier Consul aux Canonniers de Lille, 29 septembre 1792.

2 thermidor an XII – Un décret de l’empereur Napoléon fait don aux Canonniers de Lille de l’ancien couvent des Urbanistes et de ses dépendances. Cette vaste propriété devient l’hôtel du corps ; et dans la cérémonie d’inauguration du 9 mai 1805, les Canonniers bourgeois reçoivent officiellement le titre de Canonniers impérieux sédentaires de Lille.

1809 – Un détachement de 120 Canonniers de Lille se rend à Flessingue ; 27 d’entre eux, dont 3 officiers, trouvent la mort dans cette expédition.

1813 et 1814 – Les Canonniers sédentaires de Lille exécutent les travaux d’artillerie d’un armement complet de la ville et de la citadelle.

30 juillet 1816 – Le marquis de Montazet, lieutenant général, inspecteur du Nord, demande au gouvernement le maintien du corps des Canonniers sédentaires de Lille, attendu, dit-il, que ce corps  a toujours été dans une activité réelle, toujours à la disposition du ministère de la guerre, toujours sous les ordres immédiats du directeur de l’artillerie, toutes les fois que la place a été mise en état de siège.

1830 et 1831 – Le corps exécute les travaux de deux armements de précaution de la ville et de la citadelle de Lille.

2 décembre 1831 – Le roi Louis-Philippe, par une ordonnance spéciale, consacre l’organisation du corps.

Juin 1848 – Une des quatre compagnies du corps se rend à Paris et pend part aux dernières luttes des journées de juin.

28 février 1852 – Le prince Louis-Napoléon, président de la république, donne une nouvelle organisation au corps des Canonniers sédentaires de Lille, en maintenant toutefois son effectif à quatre compagnies de 120 hommes chacune, plus une compagnie de Canonniers-vétérans.

                Certes, voilà un ensemble d’éphémérides qui font de cette institution, quatre fois séculaire, une bien remarquable exception parmi les milices bourgeoises de la France.
Aujourd’hui le corps des Canonniers sédentaires de Lille, doté et magnifiquement logé par l’empereur Napoléon Ier, maintient dans ses rangs une discipline toute militaire. Quant à son instruction, voici ce qu’on lit dans le rapport d’un officier supérieur de l’artillerie de l’armée, chargé dernièrement de l’inspection de ce corps : « L’Etat possède, à Lille, quatre cents artilleurs qui ne lui coûtent rien en temps de paix, et qui en temps de guerre, peuvent lui rendre tous les services qu’on doit attendre des Canonniers dans les places fortes. »

Maintenant, Monsieur, que je vous ai rapporté ce qu’ont été autrefois et ce que sont encore aujourd’hui les Canonniers de Lille, laissez-moi vous dire deux mots d’une sorte de musée du cœur qu’ils ont établi dans une des salles de leur hôtel. Nos Canonniers ont réuni en ce lieu tout ce qui parle le plus éloquemment de leurs souvenirs et de leurs regrets : on y voit d’abord les portraits en pied des officiers qui les ont commandés à diverses époques ; puis, vient un beau portrait du général Négrier, tué à Paris aux journées de juin 1848. Ce général aimait beaucoup les Canonniers lillois de son vivant, et ceux-ci continuent de le lui rendre après sa mort…

Le brave négrier a légué, par testament, son épée aux Canonniers de Lille, et ils lui ont élevé, dans le sanctuaire intime dont je vous parle ici, une sorte de cénotaphe à l’intérieur duquel on voit, couchés derrière une vitrine, l’épée nue du général et son uniforme taché de sang et troué en pleine poitrine par la balle des insurgés…

J’ai lu quelque part qu’on vit autrefois des soldats, avant de marcher à l’ennemi, aiguiser leur sabre sur le marbre du tombeau du Maréchal de Saxe ; maintenant, pour aiguiser le cœur des Canonniers lillois au moment de les conduire sur les remparts de la ville assiégée, on aurait qu’à les faire défiler devant cet uniforme et devant cette épée…

Dans la cour des manœuvres de ce même hôtel, se dresse sur son piédestal un autre monument qui n’est pas non plus sans éloquence : c’est un énorme mortier autrichien broyé sur son affût par le tir des Canonniers lillois, au siège de 1792. Tout cela rappelle sans cesse à nos artilleurs bourgeois que leurs anciens aimaient le pays et visaient juste ; si bien que, dans l’occasion, ils seraient tout naturellement portés à en faire autant.

Je vous adresse, sous ce pli, des épreuves photographiques qui vous feront connaître quelques-uns des uniformes portés à diverses époques par les Canonniers de Lille. Je vous livre, Monsieur, ces images et mes renseignements pour ce qu’ils valent, vous en userez à votre fantaisie.
Agréez, etc.

Henry BRUNEEL

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