lundi 15 juin 2020

les pestes en Flandre (1350-1500)


 Au moment où nous pensons sortir d'une pandémie (pensons puisqu'il semble que de nouveaux foyers d'infection apparaitraient de nouveau du coté de Beijing), et qu'il ne s'agisse pas de la première pandémie que nous affrontons (pour ne citer que quelques unes, le choléra, la grippe espagnole, la grippe de Hong-Kong...), et que nous  mesurons à peine les conséquences sociales et économiques (il y en aura peu de sociétales, un épisode de quelques mois et deux mois de confinement ne pèsent guère pour changer des mentalités), il est de bon ton de revenir sur un épisode qui a marqué la société européenne durablement (pour mémoire, le dernier épisode de peste date de 1720 à Marseille)...


In Alain Derville, "Villes de Flandre et d’Artois (900-1500)", éditions Septentrion presses universitaires, Lille, 2002, 178 pages, pp 145-147

 
En 1349 arriva le bacille de Yersin, c’est-à-dire la Peste Noire, laquelle selon Froissart, emporta « la tierce partie du genre humain ». Les chiffres du Nord confirment cette estimation, quoique certains grands maîtres s’obstinent à parler d’un « accident négligeable ». Le bacille revient en 1360, aussi meurtrier ou plus : encore 33% de morts au moins. Il frappa encore, et sans doute aussi fort, en 1369 et, pensent certains, peut-être vers 1382-1384. Ainsi quatre « grans mortoires » (en comptant celui de 1340) emportèrent-ils chacun le tiers des êtres humains. En 1370, il ne devait rester que 19,75 % de la population de 1339, disons 25% pour tenir compte du croît naturel, supposé fort (0,8%) au lendemain des mortalités.
 
Par conséquent les chiffres des populations urbaines sont à relativiser ; 10.000 habitants après 1370, cela en suggère 40.000 avant 1340, ou peut-être 30.000 car beaucoup d’auteurs pensent qu’après les passages de la mort la population urbaine se releva plus vite que prévu : l’immigration favorisait les villes. Donc le coefficient d’urbanisation aurait augmenté du fait des mortalités.
 
Or l’effondrement démographique fut général en Europe, vers 1450, par exemple, les provinces françaises pour lesquelles on a des évaluations plausibles avouaient toutes une population réduite des trois quarts depuis 1328, même celles qui n’avaient pas ou pas trop souffert de la guerre. Le marché s’étant ainsi contracté, il faut évidemment relativiser la baisse de certaines productions : quatre fois moins de clients à vêtir, donc quatre fois moins de draps à produire, à moins que le niveau de vie des masses ne se soit relevé.
 
Pendant longtemps, les historiens belges qui apparemment n’avaient pas lu leurs chroniqueurs ont professé que la Flandre Flamingante avait miraculeusement échappé à la peste, ou du moins que la ponction démographique avait été faible et en tout cas vite compensée par l’afflux des ruraux. On sait aujourd’hui que ce miracle ne se produisit pas et qu’à plusieurs reprises la mort noire frappa la Flandre Flamingante, avec autant de cruauté sans doute que Tournai, Lille et les villes artésiennes.
Pour Gand, on a pu établir qu’en 1356-1358 la population s’élevait à 64.000 habitants et cela après la peste de 1349, peut-être aussi celle de 1340, qui fit autant de morts à Lille et ailleurs, sans oublier la famine de 1316 ; bref, l’apogée démographique (100.000 âmes ?) se situerait vers 1300, moment, on l’a vu, la ville devisa cette immense enceinte de 644 ha qu’elle ne devait jamais remplir, car la peste frappa à coups redoublés. Après quatre mortalités d’un tiers il ne devait pas rester ici, à la fin du siècle, plus de 25.000 habitants, plus de 25.000 habitants, comme l’ont proposé des historiens sérieux. Pour d’autres, les mortalités du XVe siècle (1400-1401, 1438-1439, 1456-1459, 1487-1490) n’auraient pas empêché la population de croitre jusqu’à 45.000 habitants vers 1500. C’est fort douteux, surtout si l’on considère que la draperie, qui fournit les gros bataillons humains, était morte.
 
On devrait en dire autant de Bruges et d’Ypres où il restait en 1412 10.489 habitants et 10.523 en 1431 puis 9.390 en 1427, 7.626 en 1491 et 9.563 en 1506. Loin d’avoir vu affluer les ruraux, ces villes souffrirent de la désindustrialisation, de la ruine et parfois de la mort de leurs draperies.
 
Pour les villes francophones, on a quelques informations solides. Lille devait compter en 1455 15.560 ou 13.730 habitants. Pour Saint-Omer, selon un document qui doit dater de 1477-1482, la ville consommait par semaine 600 rasières de blé, donc par an 31.200 rasières, 41.500 hl, ce qui, à 2,5 hl par bouche donne 15.000 habitants. Pour Arras on a compté 2.800 maisons en 1382, soit peut-être 14.000 âmes. Pour ces trois villes qui avaient fait quelques 40.000 habitants vers 1300, la population avait été réduite de 60% environ. Comme la baisse avait été de 75% dans le plat pays, le taux d’urbanisation augmenta. Dans la Flandre Wallonne, il devait être de 41.18 % en 1449 et de 47,09 en 1549. Pour la Flandre Flamingante on peut proposer quelque 30% en 1469.

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