mardi 9 juin 2020

La conquête du littoral flamand selon Emile Coornaert


In E. Coornaert, « La Flandre Française de langue flamande »,  Les éditions ouvrières, Paris, 1970, 406 p, pp 20-22


Pendant les huit ou neuf premiers siècles de notre ère, les populations de l’actuelle Flandre française, par la force des choses, vécurent plus ou moins à l’écart des événements retenus par l’histoire scolaire. Des routes traversaient le pays, « inflexiblement droites », elles rayonnaient de Cassel vers Boulogne, vers Thérouanne (et Saint-Riquier, aux VIIe-VIIIe siècles), vers Arras, vers Bavai, vers Tournai ; des routes secondaires allèrent vers la limite du pays maritime, à Leffrinckoucke par Wormhoudt et Wylder, – à Mardyck par Stenne – et vers Furnes par Hardifort et Oost-Cappel. Nous ignorons quels échos purent y susciter les faits et gestes des grands, quelles occasions les hommes purent avoir de dépasser l’horizon régional. Dans un temps où la religion occupait avec force les esprits, le « peuple » était plus ou moins réellement tourné vers la petite métropole Thérouanne. Nous mesurons mal le rayonnement des abbayes, mais il n’est pas douteux que celles de Wormhoudt puis de Bergues exercèrent une influence dans le pays.
 
Pendant les périodes mérovingienne et carolingienne, le pays s’était largement accru par la conquête de la plaine maritime.
 
Sans doute dès le IVe siècle, et jusqu’au VIIIe, la côte, toujours instable, fut submergée par de violents retours de la mer : essentiellement, il s’agit de la transgression dite « Dunkerquienne » : une large bande de territoire (dix à douze kilomètres) fut noyée. (Le front de mer ne fut guère fixé en Flandre qu’au XIIe et au XIIIe siècles.) en arrière de cette nappe, une campagne inhospitalière, « une vaste solitude d’arbres serrés », non infranchissable, quoi qu’on en ait dit même à l’époque, le « Veld », dont la forêt de Nieppe et celle d’Houthulst en Belgique sont encore des témoins, forma barrière contre une occupation dense entre la Lys et la zone maritime. « De tout temps, il y eu une Flandre occidentale et une Flandre orientale, menant chacune son existence, appartenant à un univers différent » : distinction partiellement expliquée au fond par la différence entre la Flandre argileuse à l’ouest et la Fandre sableuse à l’est.
 
La mer commença à reculer au VIIe siècle et l’effort des hommes l’accompagna en la repoussant : la mer et la terre n’ont cessé de se braver au long de l’histoire. En 648 sont mentionnées Loon et Synthe. Parmi les premières éminences émergées apparurent sans doute une petite bande de terre autour de la frontière entre Bray-Dunes et La Panne, ainsi que l’élévation où s’est installée le village d’Holque (probablement en 877), vers le fond du golfe de l’Aa. La plaine maritime fut longtemps une zone de terres amphibies. Une grande partie en était habitable dès la fin du IXe siècle. Les estuaires furent réduits : celui de l’Aa, qui atteignait encore la mer au IXe siècle par de nombreuses petites embouchures et où l’emplacement de Gravelines était occupé par des laisses de mer au XIe, et celui de la Gersta, qui allait devenir la rade et le port de Dunkerque. Des digues avaient été élevées au moins au Xe. Le Groenenberg, au pied duquel s’élevé Bergues, « en position insulaire », longtemps relié à la terre ferme par un isthme, était encore entouré par la mer en ce même siècle : la ville était encore dite juxta mare en 981 et in Gersta supra mare en 1107. La défense et la conquête du sol en bord de mer s’imposèrent continûment de siècle en siècle. « L’installation humaine sur les polders n’est vraiment sûre que dans la seconde moitié du XIe siècle ». Des villages surgirent peu à peu plus nombreux à la lumière de l’histoire écrite : en 1022 Bierne, Steene, en 1067 Armbouts-Cappel, Coudekerque, Dunkerque, Hoymille, Spycker, Ghyvelde. Le pays au bois était peuplé largement.
 
Les habitants du futur Westhoek, comme ceux de toute la Flandre, étaient entraînés depuis des siècles, à fabriquer des tissus, qui étaient exportés. Les draps dits « frisons » du IXe siècle étaient, au moins en partie, des produits flamands : ils reçurent leur nom des hardis navigateurs des côtes septentrionales de la mer du Nord qui les répandirent rapidement autour de cette mer.
 
Un commerce put se faire vers l’extérieur par Sithiu, occupé par Saint-Omer en 648, et dont les marchands achetaient des laines anglaises vers 800, par un mystérieux Portus Iserae (sur le golfe de l’Yser : vers Dixmude ? – son port était encore accessible par mer en 1128) – sans doute aussi par Bergues.
 
Pendant les siècles où la plaine maritime a pris la forme qu’elle a sensiblement gardé jusqu’à aujourd’hui, le comté de Flandre s’était constitué.

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