In E. Coornaert, « La Flandre
Française de langue flamande », Les
éditions ouvrières, Paris, 1970, 406 p, pp 20-22
Pendant les huit ou neuf premiers
siècles de notre ère, les populations de l’actuelle Flandre française, par la
force des choses, vécurent plus ou moins à l’écart des événements retenus par
l’histoire scolaire. Des routes traversaient le pays, « inflexiblement
droites », elles rayonnaient de Cassel vers Boulogne, vers Thérouanne (et
Saint-Riquier, aux VIIe-VIIIe siècles), vers Arras, vers Bavai, vers
Tournai ; des routes secondaires allèrent vers la limite du pays maritime,
à Leffrinckoucke par Wormhoudt et Wylder, – à Mardyck par Stenne – et vers
Furnes par Hardifort et Oost-Cappel. Nous ignorons quels échos purent y
susciter les faits et gestes des grands, quelles occasions les hommes purent
avoir de dépasser l’horizon régional. Dans un temps où la religion occupait
avec force les esprits, le « peuple » était plus ou moins réellement
tourné vers la petite métropole Thérouanne. Nous mesurons mal le rayonnement
des abbayes, mais il n’est pas douteux que celles de Wormhoudt puis de Bergues
exercèrent une influence dans le pays.
Pendant les périodes
mérovingienne et carolingienne, le pays s’était largement accru par la conquête
de la plaine maritime.
Sans doute dès le IVe siècle, et
jusqu’au VIIIe, la côte, toujours instable, fut submergée par de violents
retours de la mer : essentiellement, il s’agit de la transgression dite
« Dunkerquienne » : une large bande de territoire (dix à douze
kilomètres) fut noyée. (Le front de mer ne fut guère fixé en Flandre qu’au XIIe
et au XIIIe siècles.) en arrière de cette nappe, une campagne inhospitalière,
« une vaste solitude d’arbres serrés », non infranchissable, quoi
qu’on en ait dit même à l’époque, le « Veld », dont la forêt de
Nieppe et celle d’Houthulst en Belgique sont encore des témoins, forma barrière
contre une occupation dense entre la Lys et la zone maritime. « De tout
temps, il y eu une Flandre occidentale et une Flandre orientale, menant chacune
son existence, appartenant à un univers différent » : distinction
partiellement expliquée au fond par la différence entre la Flandre argileuse à
l’ouest et la Fandre sableuse à l’est.
La mer commença à reculer au VIIe
siècle et l’effort des hommes l’accompagna en la repoussant : la mer et la
terre n’ont cessé de se braver au long de l’histoire. En 648 sont mentionnées
Loon et Synthe. Parmi les premières éminences émergées apparurent sans doute
une petite bande de terre autour de la frontière entre Bray-Dunes et La Panne,
ainsi que l’élévation où s’est installée le village d’Holque (probablement en
877), vers le fond du golfe de l’Aa. La plaine maritime fut longtemps une zone
de terres amphibies. Une grande partie en était habitable dès la fin du IXe
siècle. Les estuaires furent réduits : celui de l’Aa, qui atteignait
encore la mer au IXe siècle par de nombreuses petites embouchures et où
l’emplacement de Gravelines était occupé par des laisses de mer au XIe, et
celui de la Gersta, qui allait devenir la rade et le port de Dunkerque. Des
digues avaient été élevées au moins au Xe. Le Groenenberg, au pied
duquel s’élevé Bergues, « en position insulaire », longtemps relié à
la terre ferme par un isthme, était encore entouré par la mer en ce même
siècle : la ville était encore dite juxta mare en 981 et in
Gersta supra mare en 1107. La défense et la conquête du sol en bord de mer
s’imposèrent continûment de siècle en siècle. « L’installation humaine sur
les polders n’est vraiment sûre que dans la seconde moitié du XIe
siècle ». Des villages surgirent peu à peu plus nombreux à la lumière de
l’histoire écrite : en 1022 Bierne, Steene, en 1067 Armbouts-Cappel,
Coudekerque, Dunkerque, Hoymille, Spycker, Ghyvelde. Le pays au bois était
peuplé largement.
Les habitants du futur Westhoek,
comme ceux de toute la Flandre, étaient entraînés depuis des siècles, à
fabriquer des tissus, qui étaient exportés. Les draps dits
« frisons » du IXe siècle étaient, au moins en partie, des produits
flamands : ils reçurent leur nom des hardis navigateurs des côtes
septentrionales de la mer du Nord qui les répandirent rapidement autour de
cette mer.
Un commerce put se faire vers
l’extérieur par Sithiu, occupé par Saint-Omer en 648, et dont les marchands
achetaient des laines anglaises vers 800, par un mystérieux Portus Iserae
(sur le golfe de l’Yser : vers Dixmude ? – son port était encore
accessible par mer en 1128) – sans doute aussi par Bergues.
Pendant les siècles où la plaine
maritime a pris la forme qu’elle a sensiblement gardé jusqu’à aujourd’hui, le
comté de Flandre s’était constitué.
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