In Alain Gérard – « 100
figures d’Antan du nord de la France », éditions Voix du Nord, Lille,
2002, 103 pages, p.26
Qui eut pu croire que Claire,
Josèphe de la Tude, née en 1723 à Condé-sur-Escaut, un jour de carnaval, des
amours de hasard d’un sergent d’infanterie et de la très modeste ouvrière
modiste du Capiau Fleuri réformerait un jour la Comédie-Française ?
La petite Claire, surnommée « La Clairon », montre vite qu’elle a du
caractère et le sang vif. Une voisine, séduite par la vivacité de l’enfant qui
s’ennuie à Paris, où sa mère a déménagé, la fait entrer à la Comédie italienne,
où elle est remarquée. Elle est engagée à Rouen, à Dunkerque, à Gand, à Lille.
Dans cette dernière ville, elle tient sa place lors de la fameuse création du Mahomet
de Voltaire. Celui-ci séduite par le jeu de la jeune actrice s’entremet pour la
faire entrer à la Comédie-Française où elle débute le 10 septembre 1743 dans le
rôle de Phèdre : le succès qu’elle remporte surprend ; car elle a
tout juste vingt ans.
Une actrice exigeante
Une vie bien remplie commence
pour « la Clairon » qui possède de belles aptitudes, un bel organe,
de l’intelligence, de la beauté. Et comme elle est loin d’être vertueuse, elle
bénéficie vite d’une grande vogue. Elle est fort ambitieuse et se connait très
bien : « je me suis toujours voulue plus grande que mes
passions. » Cela signifie qu’elle mène, à côté d’une carrière d’actrice de
plus en plus applaudie, une vie sentimentale exempte de monotonie. Encouragée
par un de ses amants préférés, Marmontel, écrivain et auteur de pièces estimé,
elle songe à modifier son jeu en adoptant une diction et des attitudes plus naturelles,
en contradiction avec les habitudes théâtrales de l’époque. Après bien des
hésitations, elle tente l’épreuve en 1752 à Bordeaux où, d’une représentation à
l’autre, elle change radicalement sa façon de jouer. La majorité du public et
les critiques de goût, Voltaire, le Prince de Croÿ, Diderot, Van Loo,
approuvent chaleureusement. Mlle Clairon continue ses réformes en simplifiant
les costumes de scène en les rapprochant de ce qu’ils devaient être dans la
réalité historique. Cet effort vers la vérité est méritoire : la
comédienne sacrifie pour 10.000 écus d’habits, devenus obsolètes ! Sur le
terrain artistique ces victoires sont décisives. D’autres combats sont moins
heureux, en particulier celui entrepris pour faire lever l’excommunication en
courue par les comédiens : l’archevêque de Paris reste intraitable.
Premier ministre
En 1767, Mlle Clairon doit
quitter la scène, elle souffre de phtisie, elle n’abandonne pas complètement le
théâtre, mais se limite à des représentations privées et à des leçons particulières.
Elle continue d’avoir une riche vie sentimentale : en particulier, elle
dirige, pendant treize ans, le cœur – et simultanément les affaires d’Etat – du
margrave d’Ansbach-Bayreuth. Quand elle le quitte en 1781, Mlle Clairon
abandonne toute activité publique et s’installe assez modestement à Issy.
Ruinée par la Révolution, elle est recueillie par sa fille adoptive chez qui
elle s’éteint, oubliée en 1803. Ses mémoires, qu’elle laisse publier en 1798,
ne connaissent guère de succès, en raison se leur caractère excessivement
rancunier. Triste dernier acte pour celle qui avait été une très, très grande
artiste.
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