de la revue 'La Grande Guerre du XXe Siècle' No. 11
'Une Trêve Entre
Tranchées Ennemies'
Noël 1914
Les communiqués officiels des belligérants ont montré que,
loin de s'arrêter, la lutte avait été plus vive encore peut-être en cette fête
de la naissance du « Roi pacifique ». Il n'y eut donc pas de trêve générale.
Pourtant certains récits du front ont fait connaître qu'une
espèce de convention tacite fut conclue entre certaines tranchées adverses et
que l'œuvre de mort fut suspendue à Noël 1914. En voici un exemple: cette
lettre a été écrite par un collaborateur de la République de l'Isère.
Front Nord, 26 décembre 1914. - Je vous ai laissé, hier
soir, vers minuit, car j'avais été invité à un plantureux réveillon par des
sous-officiers d'infanterie. Jusqu'à a heures du matin, nous avons fait
bombance et chanté autour d'une longue table dressée dans une chambre de
chauffe, salle souterraine de 7 à 8 mètres de long sur 2 de large, creusée dans
l'épaisse couche de terre glaise et couverte au moyen d'énormes madriers, de
portes, de volets, de fagots, de paille et de terre. A minuit presque
simultanément, comme si l'on, se fût accorde sur l'heure, une pièce de ma
batterie et une pièce allemande ont tiré douze coups.
Du côté de S..., à 800 mètres au nord de mon poste, un
quinquagénaire grisonnant, engagé pour la durée de la guerre, est allé planter
un immense drapeau tricolore dans les réseaux de fils de fer allemands. Il n'a
pas essuyé un seul coup de mauser, car les Boches faisaient, paraît-il, une
ripaille effrénée et ne s'inquiétaient pas des Français.
Un adjudant nouvellement promu et un patrouilleur audacieux
ont planté près du drapeau un superbe pin orné de rosés en papier: ils ont pris
soin d'adapter au tronc de cet arbre de noël singulier un fil de fer
aboutissant à un grelot dans une tranchée française. Si quelque Boche prend
l'idée d'arracher le sapin, il fera bien de prendre certaines mesures de
prudence!
À F..., toujours près d'ici, nos fantassins se sont montrés
beaucoup moins machiavéliques; hier matin, l'un d'eux a brandi un drapeau blanc
au-dessus de la tranchée; les Boches ont répondu de la même manière. Comme les
tranchées sont à 80 mètres les unes des autres, un dialogue s'est établi en
français. Il a été convenu que de chaque côté cinq hommes sortiraient de la
tranchée et se rencontreraient en avant du réseau de fils de fer français.
Les Boches sont sortis les premiers. Les dix hommes se sont
serré la main et ont échangé du chocolat contre des cigarettes. Sous les
regards curieux de leurs camarades restés dans les tranchées, ils ont conversé
quelques instants; de part et d'autre on tenait à fêter la Noël en toute
tranquillité; d'un commun accord il a été décidé que l'on ferait trêve de coups
de fusil pendant quelques jours. Au cas où, sur l'ordre des officiers ou par
suite d'une relève des contractants, l'un des deux camps voudrait rompre la
trêve, un coup de fusil devrait être tiré en l'air.
Depuis hier, le pacte a été fidèlement observé; ce matin une
nouvelle rencontre a eu lieu entre les deux tranchées; les Allemands ont
apporté aux Français deux bouteilles de Champagne d'excellente marque. Le
notaire et le médecin de F... devaient avoir des caves bien garnies.
H. A. P., République de l'Isère. 6 janv. 1915
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