Pierre Miquel, «
Histoire des canaux, fleuves et rivières de France », Editions n°1, Paris,
1994, 375 p., pp. 209-214
« Le plan Freycinet avait
deux objectifs : porter à un gabarit convenable les canaux utiles à
l’industrie, pour qu’ils soient capables de jouer leur rôle de voie de
communication ordinaire entre les bassins houillers, les zones industrielles et
les gîtes de minerais de fer ; aménager les zones d’activité rentables en
priorité, au besoin en ouvrant de nouveaux canaux ou en canalisant les fleuves.
L’industrialisation du pays ne
pouvait souffrir aucun retard, d’autant plus que la crise rendait le
développement problématique. Le rôle de l’Etat était de fournir de l’activité
pendant la période difficile, pour préparer les moyens d’un nouveau bond en
avant, dès que les relations économiques se seraient améliorées dans le monde.
Le projet adopté le 5 août 1879 sortait des cartons du ministère des Travaux
publics du Second Empire. Le but était de reconstruire les écluses sur les
canaux valables pour porter les sas à une longueur de 38,5 mètres. Les travaux
furent entrepris sur toutes les voies retenues, de 1879 à 1883, avec une hâte manifeste.
Pour Freycinet, la modernisation des canaux était l’une des conditions du
relèvement du pays après la défaite, et de la préparation de la revanche.
La priorité est accordée aux
canaux houillers du Nord : de l’écluse du canal d’Aire (sur la Lys) à La
Bassée, au sud-ouest de Lille, devait être aménagée d’urgence. Le canal, de 40
kilomètres de long, aboutissait à Bauvin, sur la Deûle. Son gabarit était
insuffisant. Il avait été ouvert à la navigation en 1825 et desservait
désormais le bassin houiller de Lens. L’écluse du canal de la Sensée devait
être immédiatement agrandie pour faire face à un trafic de 5 millions de
tonnes. Il rejoignait Corbehem, sur la Scarpe (en amont de Douai) à Estrun, au
confluent de la Sensée et de l’Escaut. Ouvert en 1819, il ne pouvait plus faire
face au grand trafic charbonnier.
Le canal de Roubaix venait d’être
achevé, entre Marquette-lez-Lille sur la Deûle et l’Escaut, en territoire
belge : sur ces 24 kilomètres, essentiels pour le transport de la houille
belge vers la France, on en comptait pas moins de 12 écluses qui devaient être
adaptées au nouveau gabarit. Autre liaison belge considérée comme vitale :
le canal de Mons à Condé. Le canal de Bergues à la mer n’était pas moins
prioritaire. La grande artère du canal de Saint-Quentin, qui était alors la
seule à descendre sur Paris, devait devenir l’axe du trafic houiller par la
modernisation poussé des écluses et des chemins de halage. Coupé de 35 écluses,
long de 92 kilomètres, il unissait l’Escaut à l’Oise et devait permettre un
trafic de 6 millions de tonnes : à la descente, la houille de Belgique et
du Nord, les produits industriels de Lorraine ; à la remontée, les
matériaux de construction venus de la région parisienne. Construit en 1738, il
avait besoin d’une refonte complète pour être adapté à l’industrialisation de
la région. Il était, il est vrai, doublé, depuis 1839, par le canal de la
Sambre à l’Oise, du confluent de l’Aisne jusqu’à La Fère. Ainsi la région de
Maubeuge et de Jeumont n’était-elle pas considérée comme prioritaire. Son
développement aurait été compromis sans les chemins de fer.
(…)
La liaison Dombasle-Saint-Dié
s’inspirait des mêmes préoccupations, comme, dans le Nord, le creusement d’un
tronçon de canal du bassin houiller, de Lens vers la Deûle, et de Roubaix
jusqu’à Tourcoing, à travers une région de tissu industriel serré. Le canal de
la Colme, partant de la rivière Aa près de Watten dans le Nord et rejoignant à
Furnes un autre canal, était important pour la liaison avec la Belgique et
devait être aménagé au gabarit belge sur un parcours de 36 kilomètres avant la
frontière. L’aménagement du parcours dit du canal de Neuffossé était essentiel.
Il partait d’Aire-sur-la-Lys, du canal d’Aire à La Bassée et prolongeait
celui-ci jusqu’à Saint-Omer où il se jetait dans l’Aa. Une écluse coupait les
20 kilomètres du parcours. Devant l’énormité du trafic, on devait décider plus
tard d’y installer l’ascenseur hydraulique des Fontinettes.
C’est le mérite du plan Freycinet
que d’avoir fait sauter les petits verrous qui nuisaient au grand trafic
interrégional et même, avec la Belgique, international. Le petit canal de
Bourbourg était l’un de ces verrous : ses 21 kilomètres joignaient la
rivière Aa au port de Dunkerque. A Coppenaxfort il recevait un embranchement
minuscule de 7,5 kilomètres venant de Lynck, sur le canal de la Colme. Par ce
minuscule tronçon devaient transiter plus tard 1.300.000 tonnes de trafic
annuel vers dunkerque. Il était urgent de l’aménager pour qu’il pût répondre à
l’accroissement du commerce. De proche e proche, et de canal en canal, on avait
fini par réaliser une grande voie d’eau de Dunkerque à Lille et à Mons,
traversant le bassin houiller du Pas-de-Calais. »
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