étape 1 : l’étonnement….
Je ne lasse de m’étonner de la magie des réseaux sociaux. L’on
nous avait vendu internet en vantant la circulation de l’information, de la
culture et du savoir, force est de constater depuis que les réseaux sociaux se
sont imposés dans tous les foyers qu’on est loin de l’idéal qui présidait à l’invention
du net par la DARPA. Entre les insultes, les invectives et surtout les « fake
news » (infox, en français), c’est le pire et le très pire qui se côtoie.
Une étude a démontré
récemment qu’il fallait dix fois plus d’énergie pour faire passer une vérité
que pour propager un mensonge. Or, et c’est là qu’est le drame, c’est que les réseaux
sociaux sont devenus une vaste conversation de bistro… à la différence que le bistro,
on peut en sortir… Avant la naissance d’internet, les sources, on les trouvait
avant tout en archives et dans les ouvrages publiés, or le cout d’une édition
(qui n’existe pas avec la publication sur internet) obligeait les éditeurs à
vérifier et à se porter garants, dans l’immense majorité des cas, de ce qu’ils
publient… Les réseaux sociaux sont devenus un lieu où se faire une notoriété à
peu de frais devient une règle banale, la recherche du « buzz » avant
tout. La presse n’est d’ailleurs pas exempte de reproches où dans un flot d’informations
continue, il faut se détacher du lot, griller la politesse à son concurrent en
publiant des scoops sans vérification (ainsi que l’a démontré l’arrestation du
pseudo Xavier Dupont de Ligonnes) … Ce n’est pas une raison pour que le péquin
moyen d’y mette à son tour.
Avec la pandémie de Covid-19 en 2020, on ne pouvait trouver
de terreau plus fertile entre les complotistes et les tenants de l’apocalypse,
jamais le monde n’a compté autant d’épidémiologistes, de docteurs et de
prophètes. Passons sur les « ré-informateurs » comme ils se nomment,
qui ont pour objectif de rétablie LA vérité, enfin… LEUR vérité, à l’image de
ce sinistre personnage « Cat Antonio » qui fait l’objet d’une plainte
de l’Institut Pasteur et dont on sait les motivations politiques en « démontrant »,
dans une vidéo devenue virale en utilisant des arguments biaisés par l’incompréhension
de termes juridiques ou médicaux spécifiques. Néanmoins, les arguments ont fait
mouche auprès de ceux qui ont le « sachoir » … bref, passons, il y
eut beaucoup de monde pour battre ses inepties en brèche mais comme il faut dix
fois plus d’énergie… bref, passons…
A cela s’ajoute les mensonges d’état qui ne facilitent pas
la tâche, entre hésitations gouvernementales et tromperie pure et simple… après
tout, il y a un mois, alors que l’épidémie battait son plein en Chine, il n’était
question que d’une simple grippe, que l’infection ne quitterait pas la Chine,
que nos hôpitaux étaient prêts, que le système ne se gripperait pas… Arrêtons
là, la liste serait trop longue à dresser. Résultat, le pays entier est en
confinement, qui n’est pas total comme en Chine mais que nous n’arrivons même
pas à faire respecter.
Etape 2 : l’énervement
Ce qui est d’autant plus inquiétant, c’est que beaucoup propagent
des contre-vérités et des approximations qui ne peuvent que faire bondir tout
historien et qui nous auraient valu des coups de règle sur les doigts en
faculté, mais bien conscient que tout le monde n’a pas acquis la rigueur universitaire,
on peut se demander pourquoi une scolarité obligatoire jusque 16 ans en France,
n’a pas encore permis de doter les gens d’esprit critique, ne serait ce que de prendre
quelques renseignements avant de publier quoi que ce soit… si encore c’était de
l’humour, mais nous n’avons même pas cette chance. J’en veux pour preuve une publication
sur laquelle je suis tombé (et sur laquelle je me suis fait mal hier). Ainsi l’on ne peut s’étonner que certains
cèdent à la panique ou au déni. Il n’y a de fatalisme au sens premier du terme
que pour celui qui veut y croire…
Lisant la page Facebook d’une amie, je m’aperçois qu’elle
partage l’image suivante, un triptyque évoquant trois épidémies : 1720, la
Peste ; 1820, le choléra ; 1920, la grippe espagnole… et d’ajouter le
commentaire suivant : « un fois par siècle, la terre est nettoyée,
quelle coïncidence » …
Donc cela induit que la Pandémie est normale, voire logique, que l’on est
non pas dans une punition divine comme l’avance le frère de Tariq Ramadan
depuis sa villégiature helvète et certains affolés du crucifix, mais que le phénomène
est naturel, un rééquilibrage en somme… à la limite même pourquoi se soigner,
pourquoi confiner, pourquoi même s’affoler pour les malades, il ne s’agit que d’une
purge naturelle, un Darwinisme de masse…
Cependant, et c’est bien là le problème, c’est que la publication
ne résiste pas aux faits historiques ni scientifiques. Ainsi que le disaient
mes maîtres en faculté, les pires défauts, c’est d’abord l’anachronisme et de
triturer les faits pour les plier à ses idées (on connait le phénomène, cela s’appelle
le révisionnisme). En soi, la publication de cette dame ne serait pas grave si elle
restait anecdotique. Mais revenons à nos moutons… de Panurge, car après tout
ses assertions ont été plusieurs fois partagées…
Etape 3 : la
vérification
Première affirmation : la Peste de 1720… Elle est célèbre
chez tous les étudiants en Histoire tout simplement parce qu’elle est la
dernière à avoir sévi en France métropolitaine. Si le bacille de Yersin n’a été
découvert qu’en 1894, l’on peut affirmer qu’elle existe déjà à l’état endémique
à l’Age du bronze (en Europe du IIe millénaire avant JC à 800 avant notre ère),
ce n’est pas une maladie « neuve » puisque la faune et l’homme (la
maladie est commune aux deux) est ancienne et que des épidémies surviennent
régulièrement, des traces ADN attestent sa présence bien avant que des textes
ne la mentionnent.
Yersina Pestis, le charmant bacille de la Peste
L’on citera juste pour mémoire quelques épisodes fameux dont
la première pandémie, la peste justinienne au VIe siècle de notre ère, La deuxième
pandémie nous est bien plus connue, c’est la fameuse « Peste noire »
qui démarre en 1347 en Europe avec un taux de mortalité entre 30 et 50 % selon
les régions. Véritable pandémie, elle a fut une véritable saignée démographique
durable en Europe, bouleversant la société, ses cadres, avec de lourdes
conséquences économiques et ce n’est qu’au XVIe siècle que l’on commence à
prendre des mesures lors des différents épisodes épidémiques tels l’isolement
des foyers d’infection, l’incinération des cadavres, la mise en place de
quarantaines, bref, l’on commence à comprendre qu’il s’agit bien d’une maladie…
et la peste de 1720 dans tout cela ? elle est le mauvais exemple car si
elle est la dernière à sévir en France, elle ne se localise qu’à Marseille et à
la Provence… On est loin du « nettoyage » avancé par cette dame, d’autant
plus qu’en Europe, d’autres épisodes surviennent encore à Londres en 1764 ou à
Moscou en 1771… là non plus, on ne trouve pas de cycle centenaire… Puis surtout
elle survient encore avec une troisième pandémie à la fin du XIXe siècle en
Chine, fait le tour du monde en passant par les voies maritimes et l’on trouve
des cas en 1902 à Marseille et à Paris (une centaine de cas et 39 décès,
circonscrits à Saint-Ouen)… sans vouloir affiler, il faut encore mentionner les
cas de peste d’Ajaccio , 13 cas dont 1 décès en 1945… encore une fois, on ne
peut pas retrouver les deux affirmations de base : grand nettoyage et
cycle séculaire…
Seconde affirmation ; l’épidémie de choléra de 1820. Tout
le monde connait l’expression « entre la peste et le choléra ». La
maladie, hautement contagieuse, est causée par le bacille virgule, Vibrio cholerae
présent dans les eaux souillées et les selles avec une contamination orale, inventé
(c’est-à-dire découvert) par Pacini en 1854, qui se manifeste par des diarrhées
aqueuses, une déshydration qui, si elle n’est pas combattue, cause la mort en
plus ou moins trois jours et surtout des délais d’incubation très courts (de
quelques jours à parfois quelques heures), renforcés par la présence actives dans
les selles deux semaines. La première description moderne par un européen date
de 1503 par un marin de Vasco de Gama, qui témoigne d’un épisode épidémique en
Chine, premier foyer moderne d’infection…
vibrio cholerae
L’OMS estime que
chaque année, elle tue environ 100.000 personnes pour 4 millions de cas
recensés…
La maladie est connue depuis l’antiquité, et est décrite notamment
par Hippocrate et s’est manifesté de façon épidémique plusieurs fois (alors qu’il
reste à l’état endémique dans les régions où les réseaux d’assainissement sont
défaillants). Autrement dit, nul besoin de situation épidémique pour courir le
risque d’être infecté, un séjour dans certaines régions peut suffire)
Et côté épidémies ? la date de 1820 avancée par cette
dame ne résiste pas à l’analyse… tout simplement parce qu’en 1820, date il est vrai
de la première pandémie, elle est déjà active depuis trois ans en Asie puis
elle gagne l'Afrique orientale et à partir de 1823 l'Asie Mineure et dans la
foulée, la Russie, et l'Europe.
La deuxième
pandémie de choléra (1826-1841) naît en Inde vers 1826 et affecte le reste du
monde, en plusieurs vagues, jusqu'au milieu du XIXe siècle. Et si la France est
touchée, cela reste anecdotique. La troisième pandémie de 1846 à 1861), l'épidémie
partie de la Chine touche le Maghreb (en particulier l'Algérie) puis l'Europe.
La quatrième pandémie commence en 1863 et dure jusque 1876, elle touche
l'Europe du Nord, Dunkerque et même très vraisemblablement de saint-pol-sur-mer, en est le point de départ en 1866, de là, elle
gagne la Belgique, puis le reste de la France, l'Afrique du Nord et l'Amérique
du Sud.
Il y a une cinquième pandémie de 1883 à 1896) durant laquelle l'épidémie
diffuse à partir de l'Inde vers l'est et l'ouest sur plusieurs continents.
De
1899 à 1923, on observe une sixième pandémie à partir de l'Asie, puis se répand
en Russie et de là en Europe centrale et occidentale.
Enfin, depuis 1961
perdure une septième pandémie partie de l'Indonésie en 1961, envahit l'Asie
(1962), puis le Moyen-Orient et une partie de l'Europe (1965) et se signale encore par des épisodes notamment en Belgique au debut des années 70, et s'étend
ensuite en 1970 au continent africain, et en 1991 à l'Amérique latine.
Il faut
le redire, le choléra reste à l’état endémique dans de nombreuses régions en
raison de facteurs d’insalubrité, d’hygiène et de promiscuité… Encore une fois,
en l’absence de traitement, la mortalité dépasse 50% des malades infectés, ce
qui concerne plutôt les pays en voie de développement…
L’hypothèse du « nettoyage » séculaire, ne tient
encore une fois pas…
Reste la troisième assertion : 1920, la grippe espagnole…
qui n’a sévi qu’en 1918 et 1919… c’est une grippe de souche H1N1 particulièrement
virulente et qui n’a d’espagnole que le nom car l’Espagne a été la première à
publier ses chiffres car non impliquée dans la première guerre mondiale. Née
aux Etats-Unis, elle se répand rapidement et touche entre 50 et 100 millions de
personnes (selon des estimations récentes), tuant entre 2,5 et 6 % de la
population mondiale (tous les pays concernés n’ont pas les outils statistiques,
la littérature médicale, voire même l’état-civil permettant de dresser un bilan
fiable). Elle reste dans les mémoires parce qu’elle a provoqué plus de décès
que la première guerre mondiale, qu’elle est documentée par la presse or avant
cet épisode, l’on considère que la grippe frappe de façon épidémique au minimum
trois fois par siècle (ce qui passe inaperçu par manque de documentation
systématique et parfois de terminologie médicale commune). Les flambées de
grippe s'accélèrent au fur et à mesure des siècles, de 1700 à 1889,
l'intervalle moyen entre deux pandémies est de cinquante à soixante ans. À
partir de 1889, cet intervalle n'est plus que de dix à quarante ans. Cette
accélération peut correspondre à une plus facile propagation du virus, entre
autres liée à l'accroissement de la population, à l'urbanisation et à la plus
grande fréquence des échanges internationaux …
Quoiqu’il soit, le premier diagnostique épidémique est posé
dans une base militaire du Kansas dans les premières semaines de 1918 et arrive
en France avec le débarquement du corps expéditionnaire américain à Bordeaux en
avril 1918, néanmoins on trouve des cas d’infections respiratoires qui s’en
rapprochent au camp britannique d’Etaples en 1917. On peut même raisonnablement
penser que la « pneumonie des Annamites », travailleurs et soldats
indochinois amenés en métropole, pourrait même être l’une des causes en France dès
1916-1917. Les concentrations et mouvements des troupes ont favorisé la
circulation du virus qui reste méconnue du public en raison de la censure
militaire. De bénigne, l’épidémie devient mortelle en septembre 1918, avec une
mortalité 10 à 30 fois plus élevée que d’ordinaire. Le mois suivant, l’épidémie
devient pandémie avec les relations entre alliés et surtout entre métropoles et
colonies. L’année 1919 voit une troisième voie, moins grave, avec des pays
jusque là moins ou pas touchés comme l’Australie. Le dernier cas se situe en
1921 en Nouvelle-Calédonie mais en 1920, il n’y a plus de cas en Europe et
encore moins en France.
Encore une fois, l’affirmation de cette personne tombe à l’eau
puisqu’en 1920, l’épidémie a pris fin hormis quelques foyers résiduels… mais il
est vrai que la mémoire collective en a gardé une trace durable puisque l’épidémie
fut virulente mais courte et que de nombreuses familles ont été touchées au même
titre que les décès liés à la guerre…
donc
Aussi, avant de partager des « vérités » médicales
ou historiques, il est bon de vérifier les sources historiques, elles sont
disponibles et accessibles facilement… à condition de ne pas les chercher sur
les réseaux sociaux.
Et encore, cet exemple là, n'est pas d'une gravité extrême, cela reste une publication pour le moins anecdotique, qui pourrait même etre amusante si elle n'etait crispante, mais imaginez les degats lorsque certains publient des "informations" tant sur la maladie, les traitements ou la prévention en "écoutant [comme disait feu mon père] les vaches braire" quitte à mettre des vies en danger... et là, c'est nettement moins amusant
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