« Jésus est né le jour de Noël »
Odon Vallet, Petit lexique des idées fausses sur les
religions, 2002
Nul ne sait précisément où ni quand Jésus est né. L’évangile
de Matthieu (2, 1) affirme qu’il a vu le jour « à Bethléem de Judée » et celui
de Luc (2, 4) « à la ville de David qui s’appelle Bethléem en Judée ».
Dans
l’Ancien Testament, la ville de David, c’est Jérusalem (qu’il a prise aux
Cananéens) tandis que Bethléem apparaît comme le lieu de naissance du
roi-berger « qui fera paître Israël mon peuple » (2 Samuel 5, 2).
Jésus est
donc le nouveau Messie (titre déjà attribué à David), le bon pasteur né à la «maison du pain» ou Bethléem.
Mais comme Joseph et Marie résidaient au village
de Nazareth, en Galilée, à huit jours de marche de Bethléem, il est peu
vraisemblable qu’une femme sur le point d’accoucher ait pu faire un tel voyage
même pour répondre à un ordre de recensement romain mentionné par Luc (2, 1) et
mal confirmé par l’Histoire.
Peut-être Jésus est-il né à Nazareth mais aucune
preuve ne peut être apportée quant à son lieu de naissance. La naissance du
Christ, à la différence de sa mort (juste avant la Pâque juive), n’est reliée à
aucune fête du calendrier et a pu prendre place en toute saison.
Elle suit
d’environ six mois la naissance de Jean-Baptiste dont la mère, Élisabeth, était
enceinte de six mois (Luc 1, 36) lors de la visite de l’ange Gabriel à Marie.
Il est donc logique de fêter la Saint-Jean le 24 juin, deux trimestres avant
Noël. Noël serait le « jour de la naissance » (du latin natalis dies) ou le
jour du « nouveau soleil » (du gaulois noio hel).
En anglais, c’est la « messe
du Christ » (Christmas) et en allemand, les « nuits sacrées » (Weihnachten).
Ces hésitations étymologiques montrent que Noël a été perçu comme un événement
théologique (la naissance d’un Messie) et comme un phénomène géographique (le
retour du soleil).
Cette deuxième explication est, historiquement, la première.
Noël fut d’abord une fête du solstice d’hiver (le décalage de trois ou quatre
jours semble négligeable) dans de nombreuses religions « païennes » de l’Europe
préchrétienne, notamment dans les régions nordiques ou montagnardes, là où
l’astre suprême se cache aux mauvais jours et fait craindre une nuit éternelle.
Fêter le début des jours meilleurs, c’était alors le moyen d’exorciser la peur
d’un froid perpétuel, d’une mort prévisible, « si le soleil ne revenait pas »
(Ramuz). À Rome, cette fête du « Soleil invaincu » (Sol invictus) fut
officialisée par l’empereur Aurélien (270-275 après J.-C.) qui se voulait un
Roi-Soleil, un astre couleur d’or (aurus). Elle a été aussi associée au culte
de Mithra, le dieu iranien symbolisant des forces vitales comme le soleil et le
taureau.
Or, la Bible présente aussi le Messie comme un « soleil de justice »
(Malachie 3, 20) et comme un «astre levant » (Luc 1, 78).
En retenant la date
de cérémonies païennes pour commémorer un haut fait évangélique, l’Église
christianisa une vieille fête de la nature et Noël fut célébré le 25 décembre à
partir de l’an 336 (environ), à la fin du règne de Constantin, le premier
empereur chrétien, dont lesoleil était le Christ. Noël devint un prénom de
baptême, même s’il n’y avait alors pas plus de saint Noël que de saint Pascal.
L’important était de dater précisément la naissance de Jésus pour en faire un
événement historique et non une légende mythologique. Jésus est né le jour de
sa naissance (c’est une évidence) qu’on appelle Noël (c’est de l’arbitraire).
En plein hiver, la Nativité réchauffe le coeur et met de la vie sacrée dans une
nature morte.
À mesure que les missionnaires chrétiens évangélisèrent les zones
tropicales et équatoriales, Noël perdit son caractère de fête du solstice
d’hiver : sous l’équateur, il n’y a pas de « soleil invaincu » ou vaincu
puisque l’astre suprême ne décline jamais.
On peut donc fêter Noël sous les
cocotiers des plages en se dorant la peau aux rayons d’Hélios. Dans
l’hémisphère Sud, Noël est même la fête de l’été, l’équivalent de la Saint-Jean
sous nos latitudes. C’est le jour le plus long, le plus chaud, l’inverse
parfait de notre 24 décembre qui bat régulièrement des records de froid. Ainsi
Noël peut-il, par ses paradoxes climatiques, symboliser aux antipodes une
religion universelle."
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