Pendant la Grande Guerre, Dunkerque est une base logistique
importante avec la station-magasin anglaise… mais proche de la ligne de front, les
habitants de l’agglomération côtoient toutes les armées, toutes les armes et
croisent des soldats de toutes les nationalités, y compris les prisonniers allemands
qui transitent par le port et la gare vers leurs camps de détention. Beaucoup
de troupes sont pour eux « exotiques », des Spahis, des Goumiers. Le
port n’a plus grand-chose de civil, car outre les soldats et les dockers « militarisés »,
partout l’on ne voit que croiseurs, monitors, torpilleurs et sous-marins…
Cependant, loin des clichés les plus commercialisés, une présence est tombée
dans l’oubli, celle des hydravions.
Le 10 août 1914, le premier hydravion à rallier Dunkerque
est anglais. Deux officiers britanniques victimes d’une panne rejoignent la plage
de saint-Pol. Le choix n’est pas anodin, elle borde le terrain d’aviation inauguré
en 1913…
le terrain de saint-Pol (juin 1917)
Quoi de plus logique que d’y trouver refuge. Ils prennent bonne note
de ce terrain providentiel puisqu’ils y installent une escadrille dans la quinzaine
qui suit. Malheureusement le terrain herbeux n’est pas adapté à ces appareils
dont les flotteurs sont dépourvus de roues. L’hydravion n’est pas un amphibie. Quant
à la plage, la houle n’est pas propice à la conservation des coques en bois et
des frêles entoilages. Les Anglais cherchent un lieu pour stationner leurs
appareils quand les Français décident en décembre 1914 de créer leur premier
Centre d’Aviation Maritime, le CAM. Le mois suivant, il accueille sa première
escadrille sous le commandement d’André Dumont, après un bref passage à Boulogne-sur-Mer,
presque entièrement dotée d’hydravions FBA, ainsi que de avions « terrestres »
stationnées au terrain de saint-Pol.
le FBA 100 ch. (septembre 1915)
marins mais aussi pilotes
A peine installée aux chantiers de France, où l’abri relatif de la darse est un lieu idéal pour l’hydroplanage, elle se distingue par sa
participation au premier bombardement par des escadrilles d’hydravions du port
de Zeebrugge, occupé par les Allemands et qui abrite de redoutables flottilles,
notamment de sous-marins. C’est dans cette même unité que se trouvent les premiers
héros de l’aviation navale, les lieutenants de vaisseau Marie, Amiot et Battet
qui, les premiers attaquent des navires ennemis en mer.
le CAM de Dunkerque
la darse du chantier de France (1916)
Ce n’est pourtant pas l’essentiel de leur activité. Leur
principale mission est la patrouille maritime, protéger les côtes, repérer les
sous-marins en suivant leur sillage lorsqu’ils sont en immersion périscopique
et, le cas échéant, porter secours.
le quai du CAM
Lors de leurs patrouilles en mer du Nord, les hydravions
vont réaliser un total de 26 attaques contre des sous-marins allemands. Mais
les hydravions de patrouille sont victimes au mois de mai 1917 des coups de
balai des hydravions de chasse allemands qui en descendent six au cours de deux
combats, leurs équipages étant tués ou capturés. Les patrouilles ne reprennent
qu’au mois de juillet avec une forte escorte d’hydravions de chasse.
la zone d'opération du CAM de Dunkerque
C’est aux hydravions du CAM Dunkerque que revient l’honneur
d’être la première troupe alliée à libérer le port de Zeebrugge évacué par les
allemands qui l’ont obstrué de mines. Tous les marins se réunissent sur la
plage, révolver au poing, pour constater que les allemands sont bien partis et
qu’ils sont les premiers à entrer dans la ville ruinée.
Les hydravions du CAM effectueront encore de nombreuses
heures de vol après l’armistice pour repérer les mines flottantes du port. Le
CAM sera pour sa part dissous au mois de décembre 1918.
Sur les FBA, l’armement est réduit pour protéger le port de
Dunkerque : une bombe de 105 kg, un fusil Chauchat et … une autonomie de
trois heures ! A l’instar des autres pilotes, il n’y a pas de parachute, l’état-major
n’en veut pas, mais il n’y a pas non plus de gilets de sauvetage, car ils sont gênants
pour piloter. C’est dire si le métier est à risque.
Les Allemands ne tardent pas à réagir en alignant des
appareils plus puissants et plus rapides. De leur côté, les Alliés leur répondent
avec des chasseurs « navalisés », ils ont fait leurs preuves sur le
front, on leur adjoint donc des flotteurs (ce qui n’est pas toujours probant).
Nombreux sont les pilotes qui font preuve d’audace comme l’enseigne
de vaisseau britannique Ferrand et le mécanicien Oldfield en attaquant devant
Westende un torpilleur à la bombe et en abattant un chasseur ennemi, ou encore
l’enseigne de vaisseau Teste qui, à la tête d’un groupe de quatre appareils mène
un combat difficile au terme duquel il est abattu et fait prisonnier le 25 mai
1917. Fidèle à l’aviation aéronautique, il sera par la suite le père de l’aviation
embarquée française.
Les pilotes français, opérant avec leurs homologues anglais,
ne peuvent plus sortir sans la couverture de la chasse. L’on met au point un
hydravion de chasse, le Sopwith Baby, doté de flotteurs et d’un moteur français
de 1000 ch. en 1916 mais les appareils n’arrivent à Dunkerque qu’au début de
1917 et finalement seront remplacés par des Hanriot HD 2 en octobre 1917. Cela reste insuffisant et très vite les
hydravions français sont surclassés. Devenus inefficaces, la base dunkerquoise
est abandonnée et les hydravions migrent vers la Méditerranée au ciel moins
encombré, non sans avoir inhumé certains de leurs pilotes à la nécropole
nationale militaire de Dunkerque…
le Sopwith Baby navalisé (1917)
les Sopwith à la manoeuvre dans la darse
le Hanriot D30 au départ (1917)
Leur valeur est cependant reconnue : le 15 juin 1918, l’escadrille
de Dunkerque reçoit la fourragère aux couleurs de la Croix de Guerre et deux citations
à l’Ordre de l’armée pour son action en Mer du Nord.
derniers regains d'activité (juin 1917)
prêts au comabt (avril 1918)
Après-guerre, elle survit
au sein de l’escadrille de bombardement EB 25 en Afrique du Nord, qui devient
le squadron 347 dans l’aviation anglaise en 1943 (membre des FAFL) affecté
après la seconde guerre à la BA 106 de Bordeaux qui recueille ses Traditions.
Elle a un autre héritier purement marin : l’escadrille 2 S devenue 24 F en
mars 2000 affectée aux missions de reconnaissance et de liaison à Lann-Bihoué…
qui osera dire que les marins n’ont pas la bougeotte ?
flottille 24 F
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