lundi 18 novembre 2019

Quand les Bretons débarquent


Au Haut-Moyen-Age, le salut des âmes vient du Nord, de la Bretagne, de l’autre côté de la Manche.
Le monachisme breton, anglais et irlandais, se développe considérablement entre les Ve et Xe siècles.
 
Mus par le désir d’évangéliser les terres barbares d’un continent retourné en grande partie au paganisme avec l’irruption des Francs et autres peuples germains, ou empêchés de pratiquer leur culte, nombre de moines font le voyage et sillonnent nos terres basses et humides. 
 
Deux d’entre eux au moins sont célèbres en Flandre littorale et voient leur culte persister : Saint-Winoc et saint-Willibrord.


Le moine-meunier
Winoc est fils d’un roi breton d’Armorique. Avec quelques compagnons, il bâtit un monastère à Thérouanne ayant fait le choix d’être disciple de Saint-Bertin. La capitale de Morinie est alors une petite ville gallo-romaine qui connait un véritable essor, sa prospérité attire et elle est rapidement nommée siège épiscopal (jusqu’à sa destruction totale par Charles Quint en 1553). 
 
saint-Winoc (maitre-autel de Brouckerque)
 
Fondateur de sa communauté, Winoc en est de fait le père-abbé et suit la règle de Saint-Colomban. Fort de ses premiers succès, Winoc reçoit l’ordre de saint-Bertin, abbé du monastère audomarois de rejoindre Wormhout et d’y fonder une nouvelle communauté. Les lieux s’avèrent vite exigus au point de devoir chercher un nouvel emplacement … ce sera Bergues. 
 
L’abbé fonde l’église saint-Martin. Le moine ne peut être oisif, à la prière il doit allier le travail, et Winoc ne ménage pas sa peine en tournant la meule pour fournir la farine de la communauté. Calme et pieux, il s’éteint en 715, jouissant dans tout le pays d’une excellente réputation pour sa ferveur, sa douceur non exempte de fermeté. La piété populaire le fait très vite patron des meuniers, les récits hagiographiques avancent même que, lorsque devenu vieillard, des anges tournaient pour lui la meule pour le laisser prier en paix… 
 
L’histoire aurait pu en rester là et le saint tomber dans l’oubli si en 900, le Comte de Flandre Baudoin II le Chauve ne fit transférer ses reliques. C’est qu’après sa mort, il est devenu un moine gyrovague… ses restes pieusement conservés voyagent au gré des incursions et des pillages vikings… Le choix se porte sur le mont de Bergues, cette éminence qui culmine à 28 mètres d’altitude, près de ce rivage formé par la dernière transgression dunkerquienne et qui veille sur un « burgus », un burg entouré d’une palissade circulaire en bois. Le chapitre que le comte installe adopte la règle bénédictine en 1022. 
 
Très rapidement, l’abbaye occupe tout le Gröenberg qui prend naturellement le nom de mont-saint-Winoc… or « mont » en flamand c’est Berg… de Berg à Bergues il n’y a qu’un pas… La petite cité prend naturellement le vocable de Bergues-saint-Winoc (aujourd’hui encore en usage officiel). Sous son patronage, c’est une communauté prospère qui rayonne sur toute la Flandre littorale, économiquement et intellectuellement, dotée d’une extraordinaire bibliothèque. Ses bâtiments remarquables dominent vite la ville. 
 
Malgré de nombreuses guerres sous les murailles de la cité flamande, l’abbaye résiste et c’est la Révolution française qui aura raison d’elle. Dévolue aux Biens Nationaux, elle est vendue et détruite car l’on se sert d’elle comme d’une carrière. Démantelée, ses livres dispersés, il ne subsiste d’elle que la tour pointue reconstruite en 1812 et la tour carrée du Xie s qui abrite (et cache) désormais le château d’eau que l’on y construit après la seconde guerre mondiale. Un ultime vestige témoignant de sa puissance passée subsiste encore :  la porte de marbre qui donnait accès à l’abbaye. Winoc reste indissociable de la petite ville flamande, connue autant pour son beffroi que ses remparts.

 
L’apôtre de la Frise
 
Saint-Willibrord voit le jour dans le Northumberland, à la frontière entre Angleterre et Ecosse en 658 et entre enfant au monastère. Son prieur partant pour Rome, il l’accompagne pour terminer ses études. Quoi de mieux que le centre de la chrétienté ? en 689, Pepin II, roi d’Austrasie demande des missionnaires aux moines anglo-saxons. Ces moines anglo-saxons comme leurs coreligionnaires irlandais sont rompus à l’exercice difficile de l’évangélisation. Ils sont rudes, exigeants et sont infatigables. 
 
saint-Willibrord église de Gravelines,
Willibrord prend le chemin de la Frise, réputée sauvage et indomptable. Bien vite il fait son pèlerinage à Rome où le pape le confirme dans sa mission apostolique. De retour, le voilà qu’il s’installe à Anvers mais Pepin II le charge d’intercéder auprès du pape car il désire ardemment être sacré. 
 
Le voyage lui est profitable car le pape Serge le charge du titre d’archevêque des Frisons ! Nul doute qu’il ait convaincu le pape de l’importance d’évangéliser les rudes Frisons. Il déménage à Utrecht, élève des églises au cours de ses voyages, fonde le monastère d’Echternach au Luxembourg puis prend la route du Danemark où l’accueil est nettement moins chaleureux.

Qu’importe, il retourne en Frise, où inlassablement il prêche, détruit des idoles et toujours s’applique à convertir le « paganus », terme latin qui désigne autant le païen que le paysan, car le christianisme n’a pas trop de difficultés à s’établir et prospérer en ville mais dans les campagnes, les cultes païens agraires résistent bien… 

La vie est rude, même pour un moine habitué aux privations. Il fait pourtant venir d’autres missionnaires, fonde des écoles et des monastères. Durant la guerre de succession qui à la mort de Pépin II, il suit Charles Martel et ne revient à Utrecht qu’en 718 où tout est à rebâtir. La tâche est immense mais il s’adjoint saint-Boniface, évêque de Mayence. 
 
Infatigable, il crée d’autres monastères, notamment en Alsace et ne revient à Utrecht qu’en 728. C’est que pour l’âge exceptionnel de 70 ans, les routes deviennent fatigantes. Il rend l’âme en 739 à Echternach où reposent ses reliques. L’apôtre de la Frise est le saint-patron d’Utrecht et de … Gravelines. En effet, selon la tradition, c’est en mettant le pied sur la cote sauvage et marécageuse qu’il fonda un hameau de pêcheurs, un petit groupe d’habitations que l’on connait sous le nom des Huttes… Des Huttes à Gravelines, il n’y avait qu’un petit pas à franchir


saint-Willibrord reçoit l'archiepiscopat du pape Serge Ier

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