mardi 26 novembre 2019

Le Fort d'Englos


 Pour qui prend l'autoroute de Dunkerque à Lille, le haut massif boisé qui fait face à l'église d'Englos de l'autre coté de l'autoroute n'évoque rien, pour celui qui a fait ses classes au 43e RI de Lille, c'est une autre histoire... et bien peu de gens conçoivent que sous les hautes frondaisons, un fort de briques du XIXe s s'y cache..;

Le Fort d’Englos, à Ennetières-en-Weppes, dénommé Fort Pierquin, est un des éléments de la défense de Lille mise sur pied dans le cadre des rideaux défensifs de Séré de Rivières. Construit en 1879, il n’a pourtant jamais été utilisé dans ce cadre.

 
Après la guerre de 1870, désastreuse pour la France, Séré de Rivières conçoit un en semble de fortifications détachées des enceintes urbaines devant empêcher l’approche immédiate des villes, établir des rideaux défensifs tout au long de la frontière de l’est et du Nord, s’appuyer sur les forêts « impénétrables » des Vosges et diriger les troupes ennemies (donc allemandes) vers les plaines du bassin parisien où l’infanterie est censée les tailler en pièces…

A Lille, le plan initial prévoit six forts : Englos, au Vert Galand à Verlinghem, à Bondues, à Mons, à Sainghin et à Seclin, plus les deux batteries de Prémesques et Lezennes. Construits entre 1875 et 1885. A partir de 1890, ils sont complétés par quatorze fortins ou ouvrages intermédiaires armés de quelques canons, réduisant les écarts entre les forts pour leur éviter d’être contournés. Un quinzième fortin était envisagé au vert Ballot près d’Englos mais il ne sera jamais construit. Malheureusement les ouvrages se révèlent vite obsolètes, à peine les constructions terminées, en raison du budget trop faible qui est alloué, des progrès de l’artillerie (obus ogivaux, charges de mélinite et de fulmi-coton) qui auraient obligé à poser des cuirassements. De fait, Lille fut déclarée « ville ouverte » en 1914, déclassée et ne garda au moment de l’arrivée des Allemands en octobre que 2.794 soldats.


Le terrain choisi à Englos est un point haut culminant à 50 mètres au-dessus du niveau de la mer, soit une trentaine de mètres au-dessus des plaines de la Lys et de la Deûle, sur le talus des Weppes. D’une superficie de 10 ha 51 a 57 ca, l’étude est entamée en juillet et août 1878 et les terrain acquis à la fin de l’année. Les travaux commencent dès janvier 1879. Pourtant, dès le printemps 1878 avait commencé l’installation des baraquements pour loger la troupe ainsi que la matérialisation de l’implantation du fort à l’aide de piquets de bois. Au village, des affiches faisaient appel aux ouvriers pour le terrassement, offrant des salaires de 50 centimes de l’heure (environ 1,5 euros) pour tous les hommes porteurs d’une pelle ou d’une bèche. L’offre est alléchante car dans les fermes, les salaires étaient alors de 1 franc par jour pour des journées allant du lever au coucher du soleil, et que les usines, en plein développement, offraient 2 France 50 à 3 francs par journée de travail, provoquant une fuite des effectifs vers le chantier du fort, un phénomène comparable sur les autres chantiers.
 
Au fort, l’on commença par tirer de l’argile des champs Delangre, et l’on cuisit des briques pendant quatre ans. Les travaux entamés en 1878 furent terminés en 1884. Si les salaires sont attractifs malgré des conditions de travail difficiles (les outils sont rudimentaires et rien n’est mécanisé), le chantier ne connait qu’une grève en novembre 1880, avec pour revendication une journée de 9 heures au lieu de 10 sans perte de salaire. Sans protection sociale ni syndicale, trois des principaux meneurs furent arrêtés quelques jours plus tard et traduits en correctionnelle, permettant la reprise du chantier.
En 1887, le fort est officiellement baptisé du nom de Pierquin, un général de brigade mortellement blessé à la bataille de Lannoy le 18 mais 1794. Déjà dépassé, déjà obsolète, il ne fut pourtant jamais armé.

Les terrains et constructions environnantes furent grevés de zones de servitude en trois parties successives reprenant la forme octogonale du fort. En cas de conflit, le commandement avait toute latitude de décider la destruction des maisons de tout ou partie des zones pour faciliter la défense du fort avec un dédommagement des propriétaires sur la base des valeurs déclarées, incluant l’église d’Englos. 


Durant la guerre de 1914-1918, le fort occupe cependant une position stratégique. C’est à sa proximité que les troupes allemandes passent la Lys en venant du nord-est et font leur jonction avec les troupes venant du sud par Wavrin. Elles encerclent Lille le 10 octobre 1914. A cette occasion, il y eut des combats de cavaliers et de hussards français contre des dragons allemands aux abords immédiats d’Ennetières et du fort. La contre-attaque franco-anglaise qui suit fixe la ligne de front à l’est d’Armentières d’octobre 1914 à avril 1918.

Sis à proximité du front, le fort sert alors d’observatoire et de point d’appui arrière à la ligne de tranchées courant dans la zone basse des abords d’Armentières et le long de la rivière des Layes. De fait, il est dans l’espace allemand interdit aux civils et cerné de barbelés. Emergeant de 15 à 20 mètres au-dessus des terrains environnants, il a une vue dégagée sur tout son pourtour, à 4 km des tranchées britanniques. Les Allemands en profitèrent donc pour l’équiper de mitrailleuses et fait l’objet de tirs anglais, notamment d’un train blindé équipé d’un canon de 420 tirant des obus de 600 à 900 kg qui circulait sur les voies ferrées armentiéroises. En même temps, les autres points hauts tels les moulins voisins, l’église d’Ennetières et le cloche d’Englos furent abattus.

En mai 1940 commence la compagne de France. Le fort n’a pas été réarmé mais un régiment de défense aérienne, le 406e, prend position dès le mois d’août 1939 en divers points de la métropole lilloise. Une batterie de DCA s’installe donc au fort d’Englos. Le 20 mai des artilleurs sont envoyés au fort d’Englos au lieu de se rabattre sur la somme et sont obligés de remonter les tubes des canons qui avaient été déposés. Le 24 mai, une compagnie d’un régiment territorial se replie au fort après avoir quitté le secteur de Seclin-Wavrin. Très rapidement, le fort subit un violent bombardement d’artillerie, interdisant aux hommes de sortir. Ce n’est que le soir, profitant d’une accalmie, que les territoriaux purent quitter le fort pour rejoindre Dunkerque. Le 25 mai, bombardements et tirs sont incessants, sans faire de tués ni de blessés au fort, au soir le bataillon quitte lui aussi les lieux en direction de la côte. Dans les jours qui suivent, la division de chars de Rommel encercle Lille, Loos et Haubourdin, où après une âpre lutte, les Français finissent par se rendre.

Durant l’occupation, les Allemands occupent le fort et en font un dépôt d’essence. En 1941, ils y installent leur intendance, protégée par un réseau de barbelés. Selon les anciens d’Englos, ils y employèrent près de 1.000 civils à des taches administratives.

L’occupation y est sans action notable jusqu’au 9 aout 1944 quand un bombardement allié massif est mené par 300 bombardiers qui visent le fort. Durant une vingtaine de minutes, ils déversent 2.500 bombes, occasionnant d’ailleurs de nombreux dégâts aux alentours ainsi que de nombreuses victimes. Dans les premiers jours de septembre 1944, le désordre commence à s’installer chez les Allemands et des soldats coupés de leurs unités se retranchent dans les environs du fort. Un groupe de jeunes résistants occupaient le fort depuis le début de septembre. Ils sont attaqués par les Allemands le 3 septembre, au canon et à la mitrailleuse mais ils restent maitres des lieux.



 
Après-guerre, le fort reste domaine militaire. Survient l’épisode des armes de l’OAS, créée contre l’indépendance algérienne acceptée par de Gaulle en février 1961, cette organisation provoque émeutes et attentats. Dans la nuit du dimanche 14 décembre 1961, comme cela se produit régulièrement, une section du 43e RI de Lille est en exercice dans les alentours du fort et se dirige vers ce dernier. Elle est dirigée par un le lieutenant Bernard, partisan de l’Algérie française, rallié au général Challe et muté en métropole. Avant de poursuivre l’exercice, il envoie tôt le matin ses hommes au café le plus proche ouvert alors et distant de deux kilomètres. Les armes sont alors déposées en faisceau près du fort et confiées à la garde d’une sentinelle et du lieutenant qui reste sur place. Il simule un exercice de vol d’armes et fait accepter à la sentinelle de le ligoter. Il le maitrise par surprise puis deux voitures arrivent et embarquent les armes : une vingtaine de pistolets-mitrailleurs, fusils un bazooka et un lance-roquettes disparaissent avec le lieutenant qui passe en Afrique du Nord aux côtés du général Salan.

Le fort est resté domaine militaire jusqu’en 1966, bien qu’utilisé régulièrement par la suite pour des exercices du 43e RI de Lille. Déclassé par l’autorité militaire le 23 aout 1962, il a finalement été revendu et racheté par la commune d’Ennetières en 1996. Aujourd’hui les drèves pavées qui y donnent accès sont closes et pour y accéder, il faut passer à travers champs. Toutefois, L'association « Les amis du fort Pierquin » est fondée le 26 septembre 2002, se charge de quelques visites

1 commentaire:

  1. j'ai vécu le bombardement du fort d'Anglos je suis né a ANGLOS le 17janvier 1937

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