Dr. L. DEWEVRE- Dunkerque, Imprimerie du Commerce, 1924
Nous avions toujours cru, d’accord en cela avec tous nos
contemporains, que l’église élevée à Saint-Pol-sur-Mer par les soins pieux de
Mme Hubert était le premier édifice du culte dans cette commune.
Or, il résulte de nos recherches dans les archives de
Petite-Synthe, dont dépendait autrefois Saint-Pol, que cette église a été
précédée en 1755, par une assez grande chapelle, ouverte au public et se
trouvant au niveau du château actuel de M. Marchand.
Nous allons démontrer tout d’abord, à l’aide de pièces
officielles, l’existence de cette chapelle.
Deux documents suffiront à établir la chose – l’un est une
affiche de 1780 se trouvant aux archives de Petite-Synthe et relative à la
vente de la propriété Marchand, l’autre est une correspondance de 1786, s’y
trouvant également et relative à la recherche de cette chapelle, comme bien
national.
L’affiche dont nous venons de parler, annonce la vente pour
le samedi 6 octobre 1780, de deux maisons de campagne, l’une plus petite, d’une
contenance de terre d’une mesure s’appelant Tornegaet, l’autre plus grande contenant sept mesures et dénommée Annette.
Voici la reproduction des deux paragraphes s’y
rapportant :
1° Une belle maison de campagne composée d’un salon,
chambres, cuisine et autres bâtiments, avec une tour, cour, jardins, plants
tant d’utilité que d’agrément, vulgairement appelée le Doornegat et contenant dans son ensemble une mesure deux lignes
trente-sept verges de terres, présentement occupée par le sieur Jean Dens au
loyer de 350 livres par an
2° Une grande et belle maison de campagne vulgairement
appelée Annette avec tous les
bâtiments, maison de maître, composée de plusieurs pièces avec une chapelle, cuisine, remise, deux
pavillons au nord et autres édifices, basse-cour, jardin légumier, arbres
fruitiers, arbres montants, le tout contenant, dans son ensemble sept mesures, deux lignes, quarante-sept
verges.
Ces deux maisons de campagne étaient contigües et ont formé
la propriété actuelle de M. Marchand.
Elles étaient mises en vente par suite du décès de M.
Tugghe, leur propriétaire.
La campagne primitive étant celle d’Hoorne-gat, expression
flamande qui veut dire coin du sieur
d’Hoorne, expression qui s’est altérée, comme beaucoup d’autres, à cause de
l’imprécision de l’orthographe de l’époque et est devenue Torne-Gat,
c’est-à-dire coin aux ronces, ou trou aux ronces, expression qui ne signifiait
plus rien. Nous exposerons dans une autre étude l’histoire de cette propriété
qui a donné son nom au petit hameau qui se créa autour d’elle.
M. Tugghe fit construire une nouvelle maison de campagne, et
la nomma Annette, sans doute en
raison du nom d’un de ses enfants. Cette maison, qui existe encore, a été
agrandie et embellie par le successeur de M. Tugghe, M. Thiéry.
A en juger par sa contenance, sept mesures, c’était la maison principale. En fait, M Tugghe avait
loué l’autre à M. Dens.
Il est à remarquer que l’affiche fait mention d’une chapelle
– ce qui montre que cette chapelle avait une certaine valeur.
Elle fait partie de la campagne Annette et non de la campagne d’Hoorne-gat.
M. Tugghe, qui avait construit cette chapelle, l’avait
conservée dans les terres de son habitation.
Voilà donc un premier document qui met hors de doute
l’existence en 1780 d’une chapelle à Saint-Pol.
En voici un second qui nous fournira à ce sujet des
renseignements non moins intéressants : Le président du district de
Bergues écrit, en 1793, au maire de Petite-Synthe, pour lui exprimer son
étonnement qu’il ne lui ait pas signalé la chapelle d’Hoorne-gat comme bien
d’église.
Le presbytère de Petite-Synthe avait été vendu comme bien
national, et le président du district de Bergues avait cru sans doute que la
chapelle d’Hoorne-gat devait dépendre du presbytère et être également vendue
comme bien national.
En tout cas, il prie le Maire de Petite-Synthe de lui
envoyer un rapport à ce sujet.
Le maire s’informe et apprend que la propriété appartient à
M. Dechesal. Ce dernier était le fils de Mme Dechesal que M. Pierre Tugghe
avait épousée en secondes noces.
L’adjudication faite à la mort de ce dernier n’ayant pas
produit de résultat, M. Dechesal avait en effet conservé la chapelle dans son
lot, mais l’avait plus tard rétrocédé à M. Charles Thiéry qui avait acheté la
campagne.
M. Dechesal, interviewé sans doute à ce sujet, remet au
maire de Petite-Synthe la déclaration suivante :
Je soussigné, déclare avoir reçu du citoyen Charles Thierry
la somme de six cents livres, pour prix de la chapelle que feu citoyen Tugghe
et sa femme, ma mère, ont fait bâtir à leur campagne de petite-sainte par le
citoyen Naninck, maître-maçon, et que j’en ai tenu compte à la dite maison
mortuaire.
26 nivôse, an 2 de la république une et indivisible.
DECHESAL
Il y a dans ce document deux choses intéressantes à
noter : le nom de celui qui avait fait bâtir la chapelle, Pierre Tugghe,
et le prix de vente de cette chapelle, prix de vente inférieur sans doute au
prix de construction, mais néanmoins encore assez élevé, puisqu’il est de six
cents livres.
Cette somme nous montre que la chapelle était assez
importante, car il ne s’agit ici que du gros œuvre.
Nous voyons que l’affiche nous révèle officiellement
l’existence de la chapelle, et que le précédent document ajoute deux faits
nouveaux à son histoire.
Cette histoire va s’enrichir avec le document suivant d’un
quatrième fait : la date de la construction.
Le maire de Petite-Synthe, poursuivant son enquête, s’est
adressé à Naninck pour obtenir d’autres renseignements.
Comme cet entrepreneur ne savait pas écrire, ce fut sa fille
Louise qui rédigea, sous sa dictée, la déclaration suivante :
Je soussigné, Pierre Naninck, maître-maçon en cette ville,
reconnais avoir construit une chapelle à l’entrée de la campagne des citoyens
et citoyennes Tugghe en l’année dix-sept cent
cinquante-cinq, dont la façade a été construite en briques de
taillis. ; la ditte chapelle, après sa construction, a été bénie le
troisième dimanche de Juillet de la même année, par le secrétaire de l’évêque
de Saint-Omer, en foi de quoi je soussigné, ai donné le présent certificat,
pour faire valoir comme de raison.
Dunkerque, ce 15 janvier 1794, vieux style, 26 nivôse,
deuxième de la république française.
Pour mon père
Louise NANYNCK
NOTA – Le citoyen Van Houte, maître-charpentier, en a fait
sa charpente.
C’est donc en 1755 que fut construite la première chapelle
de Saint-Pol-sur-Mer, ancêtre vénérable des deux paroisses actuelles.
Ce document ne nous parle pas du prix, sans doute parce que
le maire de Petite-Synthe avait cru ce détail superflu, mais il nous apporte
une autre clarté bien plus importante. Il nous apprend en effet que la chapelle
était publique. C’est précisément ce caractère de chapelle publique qui avait
induit en erreur le district de Bergues. Il n’y aurait pas eu, en effet, la
moindre incertitude à son sujet si elle avait été privée et incluse dans la
propriété du sieur Thiéry.
Cette question était plus importante que la question de
prix, et voilà pourquoi, sans doute sur l’invitation de maire de Petite-Synthe,
l’entrepreneur Naninck parle de sa bénédiction
– détail qu’on s’étonnerait à priori de trouver sous la plume d’un
entrepreneur.
Si l’évêque de Saint-Omer avait envoyé un de ses vicaires
généraux bénir la chapelle, c’est qu’en effet elle était ouverte au public.
C’est pourquoi d’ailleurs ce délégué vint un dimanche et non un jour de semaine, les premiers habitants de
Saint-Pol-sur-Mer étant retenus la semaine par leurs travaux.
Voici une troisième preuve de caractère public de cette chapelle.
L’entrepreneur Naninck nous apprend une chose nouvelle que les autres documents
avaient laissée sous silence : l’emplacement
de cette chapelle.
Elle n’est pas dans le parc du château, elle est sur la
route « à l’entrée de la campagne ».
Il est évident que M. Tugghe avait choisi avec intention cet
emplacement. Il ne voulait pas la chapelle trop loin de sa maison parce qu’il
s’en servait, mais la voulait en même temps d’accès facile au public. Ce fut à
l’entrée de l’avenue du château qu’il fixa son emplacement, et ceci nous montre
bien, une fois de plus, que cette chapelle était publique.
Nous comprenons donc maintenant l’intervention et
l’insistance du district de Berges qui, avec raison, avait considéré cette
chapelle comme une chapelle de secours sous la dépendance de la paroisse de
Petite-Sainte, et appartenant à cette paroisse.
Nous venons d’apprendre successivement qu’en 1755, une
chapelle fut construite à Petite-Synthe, hameau de Tornegaet, qu’elle était
ouverte au public et située à l’entrée de la propriété actuelle de M. Marchand.
Cette construction était-elle une simple manifestation de
piété, ou répondait-elle à un véritable besoin spirituel ? Il faut savoir
qu’à cette époque Petite-Synthe (Cleen
Sintene) était une commune importante et étendue. Elle comprenait tout la
commune actuelle de Saint-Pol-sur-Mer et la plus grande partie de la commune de
Fort-Mardyck. Cette dernière était coupée en deux par la rue de l’Amirauté.
Toute la partie à l’ouest était à
Grande-Synthe, toute celle de l’est à Petite-Synthe. Depuis un temps
immémorial, des habitants de Synthe, se livrant à la pêche, étaient venus se
fixer sur les bords des criques, dont les deux premières, à l’est se trouvaient
sur l’emplacement des bassins actuels du commerce et de la marine. A cette
population de pêcheurs était venue s’ajouter beaucoup plus tard quelques
jardiniers qui écoulaient leurs légumes à Dunkerque.
Nous avons trouvé au dépôt des plans de la marine une carte
de 1670 indiquant la canalisation des criques et leur mise en culture.
C’est le premier document où nous ayons noté la disparition
des criques qui existaient encore en 1662 et dont la rue « des criques » actuelle a conservé
le souvenir.
Les criques ainsi canalisées en rectangles portent la
mention « canaux et traverses de la prairie de Mardyck », ce qui nous
permet de déduire que le sol asséché et livré à la culture servit d’abord à des
pâturages.
Dès lors, il n’y avait plus de place pour les pêcheurs et la
population devint essentiellement agricole.
Un siècle plus tard, en 1755, date de la construction de la
chapelle, le nombre des jardiniers s’était accru et il y avait là vingt-cinq,
peut-être trente maisons de maraîchers.
Au nord de la rue actuelle de la République, on ne voyait
que du sable et des dunes. Entre cette route et le canal de Mardyck, en dehors
des maisons précédentes, groupés autour du château de Tornegaet, on ne comptait
que trois maisons de jardiniers.
La digue du comte Jean, qui existait encore à cette époque,
gênait beaucoup dans ce secteur le développement de la culture.
Le terrain était d’ailleurs des plus mauvais et de plus en
plus sableux au fur et à mesure qu’on s’éloignait de la région des criques et
du château de Tornegaet.
C’était donc là, et dans un tout petit rayon, que se
trouvait le hameau dépendant de Petite-Synthe. Il communiquait de plain-pied
avec le hameau du Banc-Vert, et tous deux étaient reliés à la paroisse par des
chemins, aussi rares que mauvais.
Un grand évènement vint brusquement en 1715, bouleverser ce
petit coin bien tranquille. Ce fut le creusement du canal de Mardyck qui opéra
une séparation brutale entre le hameau de Tornegaet, le Banc-Vert et
Petite-Synthe.
Chose aggravante, le pont qui devait être établi sur le
canal de Mardyck ne fut jamais construit, sous prétexte que le port et l’écluse
de Synthe (ruines situées auprès de l’estaminet du lapin blanc) devait être démolis, comme le voulaient les anglais,
en s’appuyant sur le traité d’Utrecht.
On ne pouvait donc plus franchir le canal que sur un bac et
ce n’est qu’en 1841 que M. Delaeter, curé de Petite-Synthe, fit établir de ses
deniers, le premier pont de communication, appelé pour cette raison pont du curé.
Comme nous le voyons, c’est le creusement du canal de
Mardyck, si nuisible à Petite-Synthe, qui a été la cause première de la
construction de la chapelle. La seconde cause fut le nombre de paroissiens
habitant dans ce hameau, paroissiens tous jardiniers et ayant chacun de
nombreux enfants.
Nous avons eu la curiosité de rechercher les noms de ces
jardiniers, et nous en avons retrouvé vingt-cinq. Peut-être étaient-ils
cependant plus nombreux. Chose intéressante, nous avons retrouvé là les noms
qui nous sont familiers et que portent encore aujourd’hui beaucoup de
jardiniers de Petite-Synthe et Saint-Pol : Muyls, Vanhove, Baert,
Andriansen, Baedts, Nave, Vanthielt, etc.
Plusieurs de ces jardiniers occupaient des terres
appartenant au propriétaire du château, et c’est ainsi que sur l’affiche de
1780, dont nous avons parlé précédemment, affiche imprimée par Laurenzo, place
Royale, Dunkerque, nous relevons les noms de douze jardiniers dont les terres
sont mises en vente avec le château. Voici
les noms et la contenance des terres occupées :
Une mesure occupée par Jean
Dens, au loyer de 350 livres ; trois mesures occupées par Jean Vandenberghe, au loyer de 240
livres, quatre mesures occupées par Jean-Baptiste
Storme, au loyer de 130 livres ; deux mesures occupées par Mathieu Bourgeois ; cinq mesures
occupées par Martin Hocquet, au loyer
de 150 livres, cinq mesures occupées par Charles
Messemaecker, au loyer de 130 livres ; cinq mesures occupées par Pierre Feyer, au loyer de 120
livres ; huit mesures occupées par Etienne
Leuregans, au loyer de 200 livres ; six mesures occupées par Jacques-François Dubois, au loyer de 200
livres, deux mesures occupées par Pierre
Deconinck, au loyer de 60 livres, quatre mesures occupées par Mathieu Couster, Jean Millien et Pierre Le Clerc, au loyer de 120 livres.
Comme nous l’avons dit, le canal de Mardyck avait coupé le
territoire de Petite-Synthe, et séparé le Banc-Vert de Tornegat.
Quelques mesures de terre appartenant au château se
trouvèrent donc isolées sur le territoire du Banc-Vert, et ceci nous permet de
croire qu’elles lui appartenaient bien avant 1715, date du creusement du canal.
La propriété Tugghe avait donc déjà à cette époque une
grande importance. Voici les terres situées au Banc-Vert et le nom des
locataires :
Trente-cinq mesures occupées par la Veuve Jean Descamps, au loyer de 380 livres, quatre mesures
occupées par Cardock Jean-Baptiste,
au loyer de 50 livres, neuf mesures occupées par Jacques Vanthielt, au loyer de 200 livres.
Il y avait donc au Tornegat 45 mesures de terres de jardin,
louées 1.700 livres, et au Banc-Vert, 46 mesures louées 630 livres.
Nous avions raison de dire que le hameau du Tornegat avait
déjà, vers 1755, une certaine importance, et qu’en raison des difficultés de
communication entre le hameau et l’église paroissiale, la construction d’une
chapelle était devenue nécessaire.
Déjà en 1718, dès sa nomination à Petite-Synthe, M. le curé
Hidde avait réclamé la construction d’une passerelle sur le canal de Mardyck.
N’ayant pu y parvenir, il avait agi de toute son influence sur M. Tugghe pour
l’amener à construire cette chapelle si nécessaire aux besoins du culte, lui
offrant d’y faire célébrer la messe tous les dimanches par son vicaire.
L’évêque de Saint-Omer partageait tout à fait l’avis de M.
le curé Hidde et fut si heureux de cette construction qu’il envoya, comme nous
l’avons vu, son vicaire-général pour l’inaugurer.
Nous croyons nécessaire de prévenir nos lecteurs qui
s’étonneraient de l’intrusion en cette affaire de l’évêque de Petite-Synthe,
qu’à cette époque Petite-Synthe, et par conséquent le Tornegat, dépendaient de
cet évêque.
Chose assez curieuse, Dunkerque relevait du diocèse d’Ypres
et chose plus curieuse encore, les deux diocèses étaient séparés par un fossé
appelé le Onde-Hollebeke, dont on
retrouve trace encore aujourd’hui derrière la scierie de M. le sénateur
Trystram.
Voici donc quelques faits bien établis :
1° M. Tugghe fit élever, en
1755, à Saint-Pol (Petite-Synthe-hameau du Tornegat), à l’entrée de l’avenue de son château, une
chapelle publique.
2° La construction de cette chapelle, réclamée par M. le curé
Hidde, répondait à un besoin réel, comme le montrent d’abord l’intérêt qu’y
portent l’évêque de Saint-Omer, ensuite le nombre de jardiniers établis autour
du château de M. Tugghe, enfin l’éloignement de ce quartier, l’absence de pont
et les difficultés de communication avec l’église paroissiale.
Il nous reste maintenant à fixer quelques autres
points : 1° emplacement exact de la chapelle ; 2° ses dimensions, 3°
la date de sa disparition ; 4° cadre où elle se trouvait ; 5° ses
vestiges.
D’après les plans en notre possession, la chapelle avait été
construite, face au levant, le long de la route allant de l’écluse de Mardyck,
à l’entrée de l’avenue conduisant au château de M. Tugghe.
Nous allons préciser un peu plus cette situation et la chose
nous sera d’autant plus facile que nous avons trouvé dans nos archives un plan
précis de l’emplacement de cette chapelle.
Ce plan date de 1794 – date de l’enquête prescrite par le
district de Bergues. Il est donc probable qu’il est la copie du plan annexé au
dossier qui fut envoyé à cette époque au district de Bergues. Il est tout à
fait conforme d’ailleurs aux indications fournies par deux plans appartenant
aux titres de propriété du château.
Sur ces plans l’emplacement de la chapelle n’est qu’indiqué,
mais il se superpose tout à fait à celui plus détaillé fourni par le plan
officiel de nos archives.
Nous sommes heureux de pouvoir reproduire ici un plan qui,
malgré ses imperfections, peut nous donner une idée assez exacte de
l’emplacement de la chapelle.
Nous reconnaissons facilement sur ce plan la route allant de
Dunkerque au fort de l’écluse de Mardyck. A droite de cette route quelques
lacis de canaux ou watergands, marquant le commencement des criques. Presqu’en
face s’ouvre une avenue qui conduit, en décrivant une courbe, à la porte du
château. A gauche de cette avenue, des terres de jardiniers, à droite un
terrain boisé. A l’entrée de l’avenue et du côté droit, la chapelle adossée au
bois. Cette avenue qui existe encore aujourd’hui, dessert une maison de
jardinier et conduit au canal de Mardyck, était alors la seule avenue d’entrée
du château.
L’avenue plus à l’ouest, qui est la véritable entrée
aujourd’hui, n’existait pas encore.
La chapelle était un peu en retrait de la route de Mardyck.
Elle occupait les deux tiers de l’avenue, appuyant son chevet dans la haie de
clôture du terrain boisé la limitant à l’ouest. A sa droite se trouvait un
petit bâtiment – sans aucun doute la sacristie – à sa gauche une porte cochère
fermant ce qui restait libre de l’avenue.
Cette situation mérite de retenir un instant notre
attention.
Pourquoi cette chapelle avait-elle la direction
est-ouest ? Parce que c’est là le sens de la direction de base de la
plupart des églises, dont la porte doit être tournée vers l’Orient. Mais
pourquoi cette chapelle fut-elle bâtie sur la voie publique ? Car en
somme, il s’agissait bien là d’une voie publique, large de plus de douze
mètres, conduisant au fond à la porte du château, et offrant un débouché à
droite au chemin allant chez le jardinier Vandenberghe, et à gauche au chemin
donnant accès à l’occupation de Cornil Muyls.
Pourquoi avoir choisi cet emplacement et n’avoir pas bâti
cette chapelle dans la propriété même de M. Tugghe ? Voici les raison qui
nous paraissent avoir dû guider le choix de M. le curé Hidde et de M. Tugghe.
Tout d’abord cette route appartenait en propre à M. Tugghe
et les jardiniers Vandenberghe et Muyls n’y avaient qu’une servitude de
passage. Il fallait en outre que la chapelle fut le plus près possible de la
route allant à l’écluse de Mardyck, et qu’on put y accéder en voiture.
Or, les terres bordant l’avenue à gauche n’appartenaient pas
à M. Tugghe et celles à droite étaient occupées par un véritable bois, comme
nous le verrons plus loin. Il eut fallu abattre un grand nombre de ces arbres,
et en raison de l’obliquité réclamée par M. Hidde pour la direction de la
chapelle, il eût resté un cul-de-sac improductif, à droite et à gauche de la
construction.
Voyons maintenant quel était l’aspect et qu’elles étaient
les dimensions de cette chapelle.
La déclaration de l’entrepreneur Naninck nous dit que la
façade était en briques de taillis, sans doute en briques blanches de
Saint-Omer. La chapelle était à quinze verges de la porte du château. Deux
marches y accédaient, sa largeur était de huit mètres, sa longueur de quinze
mètres.
Si nous défalquons deux mètres pour le chœur, et un passage
au milieu d’un mètre, nous voyons que cette chapelle pouvait contenir encore
cent personnes. Ce n’était pas beaucoup, mais c’était sans doute bien suffisant
pour les besoins de ce petit hameau.
A quelle époque et pour quelle raison cette chapelle
est-elle disparue ?
Nous avons retrouvé trace de cette chapelle en différentes
pièces jusqu’en 1798. Or en 1804, le château qui appartenait au comte de
Guizelin qui avait épousé la fille de M. Thiery et en avait ainsi hérité, était
dans toute sa splendeur.
Napoléon, se rendant à Dunkerque, y logea avec son
état-major. La chapelle existait certes à cette date, mais il n’en est pas fait
mention dans les relations du voyage de Napoléon.
Un plan de 1812 ne fait plus mention de la chapelle, et dans
l’acte de vente de la propriété à M. Hovelt en 1824, il n’en est point parlé,
bien que beaucoup d’autres constructions, bien moins importantes, y soient
énumérées. C’est donc vers 1800 que la chapelle disparut, e qui lui donne une
durée d’une cinquantaine d’années.
Pourquoi disparut-elle ? Est-ce par incendie ? La
chose est possible, mais il est possible aussi que M. Thiéry l’ai fait
supprimer. Ce Thiéry, entrepreneur des travaux du roi, habitué aux grandes
entreprises, n’hésitait pas à tout faire démolir et fut le créateur véritable
du château actuel, comme nous le démontrons ailleurs.
Dès son arrivée au Tornegaet, il est gêné par le monde que
ses voitures rencontrent dans l’avenue, gêné aussi par le droit de passage de
Muyls et Vandenberghe ?
Dès 1781, il est en pourparlers avec ce dernier pour lui
acheter ses terres. Il fait de même avec Muyls et en obtient, par acte du 28
février 1782, un triangle de terrain pour le prix de 102 livres tournois. Cette
acquisition avait pour but d’élargir l’avenue au niveau de l’entrée de la
chapelle, ce qui montre que M. Thiery était fort importuné par l’existence de
cette chapelle aux portes de son château.
Il n’est donc pas impossible qu’il ait fini par la
supprimer.
Nous savons qu’il existe actuellement dans la propriété de
M. Marchand, un petit pavillon situé sur la route de Saint-Pol, à l’angle de
cette route et de l’avenue est du château, avenue conduisant en outre chez des
jardiniers et au rivage du canal de Mardyck. C’est-à-dire à un endroit tout
proche de l’ancienne chapelle. Ce bâtiment est-il le vestige de l’ancienne
sacristie ?
La chose nous paraît très probable, et en voici les
raisons :
En 1755, la chapelle était, disent nos documents, à 300
mètres de la barrière du Tornegaet.
M. Thiéry devait plus tard, en devenant propriétaire du
château, faire paver cette portion de route.
Cette barrière de Tornegaet n’était pas située du tout à la
porte actuelle de Saint-Pol, mais à 150 mètres environ, en remontant vers la
Samaritaine, à la hauteur du corps de garde qui existait encore il y a
cinquante ans, à proximité de l’usine actuelle de M. Ziegler.
La route actuelle qui, à partir du château de M. Maurice
Marchand oblique à droite pour rejoindre le canal de Mardyck, au niveau de la
porte de Saint-Pol, était alors à peu près rectiligne, et même obliquant un peu à gauche, s’il faut s’en rapporter aux
cartes de l’époque.
La route a donc été élargie, puis déviée au niveau de notre
ancienne chapelle, à tel point que celle-ci, si elle avait encore existé à
cette époque, se serait trouvée en saillie sur la route actuelle au lieu de se
trouver en retrait comme l’indique notre gravure.
Dans cette avancée, la sacristie est venue sur le bord du
nouveau tracé de la route.
Ce petit pavillon occupe très probablement l’ancien
emplacement de la sacristie. C’est une premier raison, mais en voici une
seconde.
Quand la chapelle fut supprimée, parce qu’elle gênait la
circulation, il ne parut pas nécessaire à M. Thiéry de supprimer la sacristie
qui n’était pas sur la voie publique, mais se trouvait sur son terrain. Il eût
évidemment l’idée de la transformer en pavillon et comme la route avait été
considérablement exhaussée, il dut exhausser le toit par la petite construction
en bois actuelle.
Une troisième raison est l’épaisseur même des murs de la
petite salle sous le pavillon, épaisseur qui n’est pas en rapport avec la
légèreté de la construction en bois qu’ils soutiennent.
Il nous paraît donc tout à fait vraisemblable que les
fondations de ce pavillon sont celles de l’ancienne sacristie ou d’une annexe
de cette sacristie.
Il faut enfin remarquer que ces fondations sont établies
avec des briques de dimensions réduites qui sont celles usitées au XVIIIe
siècle.
Nous voulons pour finir montrer la chapelle dans l’état où
elle se trouvait en 1755.
A cette époque, la propriété de M. Tugghe n’était entourée
que d’une simple haie et ce fut M. Thiéry qui fit élever le mur de clôture
actuel.
Les promeneurs pouvaient donc apercevoir les magnifiques
pelouses et les corbeilles fleuries du château. De nombreux arbres se
trouvaient là où nous en voyons encore quelques-uns entre le château et le
canal de Mardyck.
En bordure du chemin allant à l’écluse et à l’ouest de la
chapelle, c’est-à-dire l’avenue d’entrée, se trouvait en outre un bois de 700
arbres.
Ce bois existait encore en 1824 et dans l’acte de vente du
24 juillet de Guizelin à Hovelt nous lisons :
ARTICLE 3. – Un grand bois d’agrément contenant environ 700
ormes et frênes de haute futaie.
Ce bois avait 30 toises de longueur et s’étendait entre la
route et le château. Il ne bornait la route que sur une étendue de dix toises.
La route courait ensuite le long des terres de jardinage.
Ces terres, d’une contenance de 2 hectares, qui avaient
appartenu à l’église Saint-Eloi de Dunkerque, avaient été confisquées puis
vendues comme biens nationaux et achetées par Storme. Ce dernier ne voulut
point les vendre ni à Thiéry, ni à Guizelin mais les vendit à Hovelt en 1825.
De l’autre côté de la route, en face de la chapelle, se
trouvait l’extrémité des criques, lieu de promenade des dunkerquois, dont un
artiste a laissé une peinture.
Entre le canal de Mardyck et la route allant à la barrière
du Tornegat, se voyait l’extrémité de la digue du comte Jean, où se dressait un
moulin. La butte, qui supportait ce moulin existe encore, à l’entrée de
Saint-Pol, sur les bords du canal de Mardyck.
Enfin, entre le château et le canal de Mardyck, une
promenade des plus agréables, bien ombragée, où se donnaient rendez-vous les
amateurs de pêche. Quelques arbres existent encore en cet endroit.
En résumé, la
chapelle construite par M. Tugghe marque la première étape du développement du
hameau de Petite-Synthe, dit de Tornegat ou d’Hoornegat.
C’est autour d’elle que nous devons placer le berceau de Saint-Pol-sur-Mer. Les
besoins qui l’avaient fait naître en 1755 n’ont pas cessé d’exister et ont
amené récemment la construction de l’église Notre-Dame de Lourdes, descendante
directe de la vénérable chapelle. Nous avons cru intéressant de tirer tous ces
faits de l’oubli et d’ajouter ainsi une page toute neuve de l’histoire du culte
à Saint-Pol et Petite-Synthe.
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