lundi 4 novembre 2019

LA PREMIERE CHAPELLE DU HAMEAU D’HOORNEGAT (SAINT-POL-SUR-MER) EN 1755


Dr. L. DEWEVRE- Dunkerque, Imprimerie du Commerce, 1924

Nous avions toujours cru, d’accord en cela avec tous nos contemporains, que l’église élevée à Saint-Pol-sur-Mer par les soins pieux de Mme Hubert était le premier édifice du culte dans cette commune.
Or, il résulte de nos recherches dans les archives de Petite-Synthe, dont dépendait autrefois Saint-Pol, que cette église a été précédée en 1755, par une assez grande chapelle, ouverte au public et se trouvant au niveau du château actuel de M. Marchand.
 
Nous allons démontrer tout d’abord, à l’aide de pièces officielles, l’existence de cette chapelle. 
 
Deux documents suffiront à établir la chose – l’un est une affiche de 1780 se trouvant aux archives de Petite-Synthe et relative à la vente de la propriété Marchand, l’autre est une correspondance de 1786, s’y trouvant également et relative à la recherche de cette chapelle, comme bien national.
 
L’affiche dont nous venons de parler, annonce la vente pour le samedi 6 octobre 1780, de deux maisons de campagne, l’une plus petite, d’une contenance de terre d’une mesure s’appelant Tornegaet, l’autre plus grande contenant sept mesures et dénommée Annette.
 
Voici la reproduction des deux paragraphes s’y rapportant :
 
1° Une belle maison de campagne composée d’un salon, chambres, cuisine et autres bâtiments, avec une tour, cour, jardins, plants tant d’utilité que d’agrément, vulgairement appelée le Doornegat et contenant dans son ensemble une mesure deux lignes trente-sept verges de terres, présentement occupée par le sieur Jean Dens au loyer de 350 livres par an
 
2° Une grande et belle maison de campagne vulgairement appelée Annette avec tous les bâtiments, maison de maître, composée de plusieurs pièces avec une chapelle, cuisine, remise, deux pavillons au nord et autres édifices, basse-cour, jardin légumier, arbres fruitiers, arbres montants, le tout contenant, dans son ensemble sept mesures, deux lignes, quarante-sept verges.
 
Ces deux maisons de campagne étaient contigües et ont formé la propriété actuelle de M. Marchand.
Elles étaient mises en vente par suite du décès de M. Tugghe, leur propriétaire.
 
La campagne primitive étant celle d’Hoorne-gat, expression flamande qui veut dire coin du sieur d’Hoorne, expression qui s’est altérée, comme beaucoup d’autres, à cause de l’imprécision de l’orthographe de l’époque et est devenue Torne-Gat, c’est-à-dire coin aux ronces, ou trou aux ronces, expression qui ne signifiait plus rien. Nous exposerons dans une autre étude l’histoire de cette propriété qui a donné son nom au petit hameau qui se créa autour d’elle.
 
M. Tugghe fit construire une nouvelle maison de campagne, et la nomma Annette, sans doute en raison du nom d’un de ses enfants. Cette maison, qui existe encore, a été agrandie et embellie par le successeur de M. Tugghe, M. Thiéry.
 
A en juger par sa contenance, sept mesures, c’était la maison principale. En fait, M Tugghe avait loué l’autre à M. Dens.
 
Il est à remarquer que l’affiche fait mention d’une chapelle – ce qui montre que cette chapelle avait une certaine valeur.
 
Elle fait partie de la campagne Annette et non de la campagne d’Hoorne-gat
 
M. Tugghe, qui avait construit cette chapelle, l’avait conservée dans les terres de son habitation.
Voilà donc un premier document qui met hors de doute l’existence en 1780 d’une chapelle à Saint-Pol.
 
En voici un second qui nous fournira à ce sujet des renseignements non moins intéressants : Le président du district de Bergues écrit, en 1793, au maire de Petite-Synthe, pour lui exprimer son étonnement qu’il ne lui ait pas signalé la chapelle d’Hoorne-gat comme bien d’église.
 
Le presbytère de Petite-Synthe avait été vendu comme bien national, et le président du district de Bergues avait cru sans doute que la chapelle d’Hoorne-gat devait dépendre du presbytère et être également vendue comme bien national.
 
En tout cas, il prie le Maire de Petite-Synthe de lui envoyer un rapport à ce sujet.
 
Le maire s’informe et apprend que la propriété appartient à M. Dechesal. Ce dernier était le fils de Mme Dechesal que M. Pierre Tugghe avait épousée en secondes noces.
 
L’adjudication faite à la mort de ce dernier n’ayant pas produit de résultat, M. Dechesal avait en effet conservé la chapelle dans son lot, mais l’avait plus tard rétrocédé à M. Charles Thiéry qui avait acheté la campagne.
 
M. Dechesal, interviewé sans doute à ce sujet, remet au maire de Petite-Synthe la déclaration suivante :
 
Je soussigné, déclare avoir reçu du citoyen Charles Thierry la somme de six cents livres, pour prix de la chapelle que feu citoyen Tugghe et sa femme, ma mère, ont fait bâtir à leur campagne de petite-sainte par le citoyen Naninck, maître-maçon, et que j’en ai tenu compte à la dite maison mortuaire.
26 nivôse, an 2 de la république une et indivisible.
 
DECHESAL
 
Il y a dans ce document deux choses intéressantes à noter : le nom de celui qui avait fait bâtir la chapelle, Pierre Tugghe, et le prix de vente de cette chapelle, prix de vente inférieur sans doute au prix de construction, mais néanmoins encore assez élevé, puisqu’il est de six cents livres.
 
Cette somme nous montre que la chapelle était assez importante, car il ne s’agit ici que du gros œuvre. 
 
Nous voyons que l’affiche nous révèle officiellement l’existence de la chapelle, et que le précédent document ajoute deux faits nouveaux à son histoire.
 
Cette histoire va s’enrichir avec le document suivant d’un quatrième fait : la date de la construction.
Le maire de Petite-Synthe, poursuivant son enquête, s’est adressé à Naninck pour obtenir d’autres renseignements.
 
Comme cet entrepreneur ne savait pas écrire, ce fut sa fille Louise qui rédigea, sous sa dictée, la déclaration suivante :
 
Je soussigné, Pierre Naninck, maître-maçon en cette ville, reconnais avoir construit une chapelle à l’entrée de la campagne des citoyens et citoyennes Tugghe en l’année dix-sept cent cinquante-cinq, dont la façade a été construite en briques de taillis. ; la ditte chapelle, après sa construction, a été bénie le troisième dimanche de Juillet de la même année, par le secrétaire de l’évêque de Saint-Omer, en foi de quoi je soussigné, ai donné le présent certificat, pour faire valoir comme de raison.
Dunkerque, ce 15 janvier 1794, vieux style, 26 nivôse, deuxième de la république française.
 
Pour mon père
Louise NANYNCK
 
NOTA – Le citoyen Van Houte, maître-charpentier, en a fait sa charpente.
 
C’est donc en 1755 que fut construite la première chapelle de Saint-Pol-sur-Mer, ancêtre vénérable des deux paroisses actuelles.
 
Ce document ne nous parle pas du prix, sans doute parce que le maire de Petite-Synthe avait cru ce détail superflu, mais il nous apporte une autre clarté bien plus importante. Il nous apprend en effet que la chapelle était publique. C’est précisément ce caractère de chapelle publique qui avait induit en erreur le district de Bergues. Il n’y aurait pas eu, en effet, la moindre incertitude à son sujet si elle avait été privée et incluse dans la propriété du sieur Thiéry.
 
Cette question était plus importante que la question de prix, et voilà pourquoi, sans doute sur l’invitation de maire de Petite-Synthe, l’entrepreneur Naninck parle de sa bénédiction – détail qu’on s’étonnerait à priori de trouver sous la plume d’un entrepreneur.
 
Si l’évêque de Saint-Omer avait envoyé un de ses vicaires généraux bénir la chapelle, c’est qu’en effet elle était ouverte au public. C’est pourquoi d’ailleurs ce délégué vint un dimanche et non un jour de semaine, les premiers habitants de Saint-Pol-sur-Mer étant retenus la semaine par leurs travaux.
 
Voici une troisième preuve de caractère public de cette chapelle. L’entrepreneur Naninck nous apprend une chose nouvelle que les autres documents avaient laissée sous silence : l’emplacement de cette chapelle.
 
Elle n’est pas dans le parc du château, elle est sur la route « à l’entrée de la campagne ».
 
Il est évident que M. Tugghe avait choisi avec intention cet emplacement. Il ne voulait pas la chapelle trop loin de sa maison parce qu’il s’en servait, mais la voulait en même temps d’accès facile au public. Ce fut à l’entrée de l’avenue du château qu’il fixa son emplacement, et ceci nous montre bien, une fois de plus, que cette chapelle était publique.
 
Nous comprenons donc maintenant l’intervention et l’insistance du district de Berges qui, avec raison, avait considéré cette chapelle comme une chapelle de secours sous la dépendance de la paroisse de Petite-Sainte, et appartenant à cette paroisse.
 
Nous venons d’apprendre successivement qu’en 1755, une chapelle fut construite à Petite-Synthe, hameau de Tornegaet, qu’elle était ouverte au public et située à l’entrée de la propriété actuelle de M. Marchand.
 
Cette construction était-elle une simple manifestation de piété, ou répondait-elle à un véritable besoin spirituel ? Il faut savoir qu’à cette époque Petite-Synthe (Cleen Sintene) était une commune importante et étendue. Elle comprenait tout la commune actuelle de Saint-Pol-sur-Mer et la plus grande partie de la commune de Fort-Mardyck. Cette dernière était coupée en deux par la rue de l’Amirauté. Toute la partie  à l’ouest était à Grande-Synthe, toute celle de l’est à Petite-Synthe. Depuis un temps immémorial, des habitants de Synthe, se livrant à la pêche, étaient venus se fixer sur les bords des criques, dont les deux premières, à l’est se trouvaient sur l’emplacement des bassins actuels du commerce et de la marine. A cette population de pêcheurs était venue s’ajouter beaucoup plus tard quelques jardiniers qui écoulaient leurs légumes à Dunkerque.
 
Nous avons trouvé au dépôt des plans de la marine une carte de 1670 indiquant la canalisation des criques et leur mise en culture.
 
C’est le premier document où nous ayons noté la disparition des criques qui existaient encore en 1662 et dont la rue « des criques » actuelle a conservé le souvenir.
 
Les criques ainsi canalisées en rectangles portent la mention « canaux et traverses de la prairie de Mardyck », ce qui nous permet de déduire que le sol asséché et livré à la culture servit d’abord à des pâturages.
 
Dès lors, il n’y avait plus de place pour les pêcheurs et la population devint essentiellement agricole.
Un siècle plus tard, en 1755, date de la construction de la chapelle, le nombre des jardiniers s’était accru et il y avait là vingt-cinq, peut-être trente maisons de maraîchers.
 
Au nord de la rue actuelle de la République, on ne voyait que du sable et des dunes. Entre cette route et le canal de Mardyck, en dehors des maisons précédentes, groupés autour du château de Tornegaet, on ne comptait que trois maisons de jardiniers.
 
La digue du comte Jean, qui existait encore à cette époque, gênait beaucoup dans ce secteur le développement de la culture.
 
Le terrain était d’ailleurs des plus mauvais et de plus en plus sableux au fur et à mesure qu’on s’éloignait de la région des criques et du château de Tornegaet.
 
C’était donc là, et dans un tout petit rayon, que se trouvait le hameau dépendant de Petite-Synthe. Il communiquait de plain-pied avec le hameau du Banc-Vert, et tous deux étaient reliés à la paroisse par des chemins, aussi rares que mauvais.
 
Un grand évènement vint brusquement en 1715, bouleverser ce petit coin bien tranquille. Ce fut le creusement du canal de Mardyck qui opéra une séparation brutale entre le hameau de Tornegaet, le Banc-Vert et Petite-Synthe.
 
Chose aggravante, le pont qui devait être établi sur le canal de Mardyck ne fut jamais construit, sous prétexte que le port et l’écluse de Synthe (ruines situées auprès de l’estaminet du lapin blanc) devait être démolis, comme le voulaient les anglais, en s’appuyant sur le traité d’Utrecht.
 
On ne pouvait donc plus franchir le canal que sur un bac et ce n’est qu’en 1841 que M. Delaeter, curé de Petite-Synthe, fit établir de ses deniers, le premier pont de communication, appelé pour cette raison pont du curé.
 
Comme nous le voyons, c’est le creusement du canal de Mardyck, si nuisible à Petite-Synthe, qui a été la cause première de la construction de la chapelle. La seconde cause fut le nombre de paroissiens habitant dans ce hameau, paroissiens tous jardiniers et ayant chacun de nombreux enfants.
 
Nous avons eu la curiosité de rechercher les noms de ces jardiniers, et nous en avons retrouvé vingt-cinq. Peut-être étaient-ils cependant plus nombreux. Chose intéressante, nous avons retrouvé là les noms qui nous sont familiers et que portent encore aujourd’hui beaucoup de jardiniers de Petite-Synthe et Saint-Pol : Muyls, Vanhove, Baert, Andriansen, Baedts, Nave, Vanthielt, etc.
 
Plusieurs de ces jardiniers occupaient des terres appartenant au propriétaire du château, et c’est ainsi que sur l’affiche de 1780, dont nous avons parlé précédemment, affiche imprimée par Laurenzo, place Royale, Dunkerque, nous relevons les noms de douze jardiniers dont les terres sont mises en vente avec le château. Voici  les noms et la contenance des terres occupées :
 
Une mesure occupée par Jean Dens, au loyer de 350 livres ; trois mesures occupées par Jean Vandenberghe, au loyer de 240 livres, quatre mesures occupées par Jean-Baptiste Storme, au loyer de 130 livres ; deux mesures occupées par Mathieu Bourgeois ; cinq mesures occupées par Martin Hocquet, au loyer de 150 livres, cinq mesures occupées par Charles Messemaecker, au loyer de 130 livres ; cinq mesures occupées par Pierre Feyer, au loyer de 120 livres ; huit mesures occupées par Etienne Leuregans, au loyer de 200 livres ; six mesures occupées par Jacques-François Dubois, au loyer de 200 livres, deux mesures occupées par Pierre Deconinck, au loyer de 60 livres, quatre mesures occupées par Mathieu Couster, Jean Millien et Pierre Le Clerc, au loyer de 120 livres.
Comme nous l’avons dit, le canal de Mardyck avait coupé le territoire de Petite-Synthe, et séparé le Banc-Vert de Tornegat.
 
Quelques mesures de terre appartenant au château se trouvèrent donc isolées sur le territoire du Banc-Vert, et ceci nous permet de croire qu’elles lui appartenaient bien avant 1715, date du creusement du canal.
 
La propriété Tugghe avait donc déjà à cette époque une grande importance. Voici les terres situées au Banc-Vert et le nom des locataires :
 
Trente-cinq mesures occupées par la Veuve Jean Descamps, au loyer de 380 livres, quatre mesures occupées par Cardock Jean-Baptiste, au loyer de 50 livres, neuf mesures occupées par Jacques Vanthielt, au loyer de 200 livres.
 
Il y avait donc au Tornegat 45 mesures de terres de jardin, louées 1.700 livres, et au Banc-Vert, 46 mesures louées 630 livres.
 
Nous avions raison de dire que le hameau du Tornegat avait déjà, vers 1755, une certaine importance, et qu’en raison des difficultés de communication entre le hameau et l’église paroissiale, la construction d’une chapelle était devenue nécessaire.
 
Déjà en 1718, dès sa nomination à Petite-Synthe, M. le curé Hidde avait réclamé la construction d’une passerelle sur le canal de Mardyck. N’ayant pu y parvenir, il avait agi de toute son influence sur M. Tugghe pour l’amener à construire cette chapelle si nécessaire aux besoins du culte, lui offrant d’y faire célébrer la messe tous les dimanches par son vicaire.
 
L’évêque de Saint-Omer partageait tout à fait l’avis de M. le curé Hidde et fut si heureux de cette construction qu’il envoya, comme nous l’avons vu, son vicaire-général pour l’inaugurer.
 
Nous croyons nécessaire de prévenir nos lecteurs qui s’étonneraient de l’intrusion en cette affaire de l’évêque de Petite-Synthe, qu’à cette époque Petite-Synthe, et par conséquent le Tornegat, dépendaient de cet évêque.
 
Chose assez curieuse, Dunkerque relevait du diocèse d’Ypres et chose plus curieuse encore, les deux diocèses étaient séparés par un fossé appelé le Onde-Hollebeke, dont on retrouve trace encore aujourd’hui derrière la scierie de M. le sénateur Trystram.
 
Voici donc quelques faits bien établis :
 
1° M. Tugghe fit élever, en 1755, à Saint-Pol (Petite-Synthe-hameau du Tornegat), à l’entrée de l’avenue de son château, une chapelle publique.
 
2° La construction de cette chapelle, réclamée par M. le curé Hidde, répondait à un besoin réel, comme le montrent d’abord l’intérêt qu’y portent l’évêque de Saint-Omer, ensuite le nombre de jardiniers établis autour du château de M. Tugghe, enfin l’éloignement de ce quartier, l’absence de pont et les difficultés de communication avec l’église paroissiale.
 
Il nous reste maintenant à fixer quelques autres points : 1° emplacement exact de la chapelle ; 2° ses dimensions, 3° la date de sa disparition ; 4° cadre où elle se trouvait ; 5° ses vestiges.
 
D’après les plans en notre possession, la chapelle avait été construite, face au levant, le long de la route allant de l’écluse de Mardyck, à l’entrée de l’avenue conduisant au château de M. Tugghe.
Nous allons préciser un peu plus cette situation et la chose nous sera d’autant plus facile que nous avons trouvé dans nos archives un plan précis de l’emplacement de cette chapelle.
 
Ce plan date de 1794 – date de l’enquête prescrite par le district de Bergues. Il est donc probable qu’il est la copie du plan annexé au dossier qui fut envoyé à cette époque au district de Bergues. Il est tout à fait conforme d’ailleurs aux indications fournies par deux plans appartenant aux titres de propriété du château.




Sur ces plans l’emplacement de la chapelle n’est qu’indiqué, mais il se superpose tout à fait à celui plus détaillé fourni par le plan officiel de nos archives.
 
Nous sommes heureux de pouvoir reproduire ici un plan qui, malgré ses imperfections, peut nous donner une idée assez exacte de l’emplacement de la chapelle.
 
Nous reconnaissons facilement sur ce plan la route allant de Dunkerque au fort de l’écluse de Mardyck. A droite de cette route quelques lacis de canaux ou watergands, marquant le commencement des criques. Presqu’en face s’ouvre une avenue qui conduit, en décrivant une courbe, à la porte du château. A gauche de cette avenue, des terres de jardiniers, à droite un terrain boisé. A l’entrée de l’avenue et du côté droit, la chapelle adossée au bois. Cette avenue qui existe encore aujourd’hui, dessert une maison de jardinier et conduit au canal de Mardyck, était alors la seule avenue d’entrée du château.
 
L’avenue plus à l’ouest, qui est la véritable entrée aujourd’hui, n’existait pas encore. 
 
La chapelle était un peu en retrait de la route de Mardyck. Elle occupait les deux tiers de l’avenue, appuyant son chevet dans la haie de clôture du terrain boisé la limitant à l’ouest. A sa droite se trouvait un petit bâtiment – sans aucun doute la sacristie – à sa gauche une porte cochère fermant ce qui restait libre de l’avenue.
 
Cette situation mérite de retenir un instant notre attention.
 
Pourquoi cette chapelle avait-elle la direction est-ouest ? Parce que c’est là le sens de la direction de base de la plupart des églises, dont la porte doit être tournée vers l’Orient. Mais pourquoi cette chapelle fut-elle bâtie sur la voie publique ? Car en somme, il s’agissait bien là d’une voie publique, large de plus de douze mètres, conduisant au fond à la porte du château, et offrant un débouché à droite au chemin allant chez le jardinier Vandenberghe, et à gauche au chemin donnant accès à l’occupation de Cornil Muyls.
 
Pourquoi avoir choisi cet emplacement et n’avoir pas bâti cette chapelle dans la propriété même de M. Tugghe ? Voici les raison qui nous paraissent avoir dû guider le choix de M. le curé Hidde et de M. Tugghe.
 
Tout d’abord cette route appartenait en propre à M. Tugghe et les jardiniers Vandenberghe et Muyls n’y avaient qu’une servitude de passage. Il fallait en outre que la chapelle fut le plus près possible de la route allant à l’écluse de Mardyck, et qu’on put y accéder en voiture.
 
Or, les terres bordant l’avenue à gauche n’appartenaient pas à M. Tugghe et celles à droite étaient occupées par un véritable bois, comme nous le verrons plus loin. Il eut fallu abattre un grand nombre de ces arbres, et en raison de l’obliquité réclamée par M. Hidde pour la direction de la chapelle, il eût resté un cul-de-sac improductif, à droite et à gauche de la construction.
 
Voyons maintenant quel était l’aspect et qu’elles étaient les dimensions de cette chapelle.
 
La déclaration de l’entrepreneur Naninck nous dit que la façade était en briques de taillis, sans doute en briques blanches de Saint-Omer. La chapelle était à quinze verges de la porte du château. Deux marches y accédaient, sa largeur était de huit mètres, sa longueur de quinze mètres.
 
Si nous défalquons deux mètres pour le chœur, et un passage au milieu d’un mètre, nous voyons que cette chapelle pouvait contenir encore cent personnes. Ce n’était pas beaucoup, mais c’était sans doute bien suffisant pour les besoins de ce petit hameau.
 
A quelle époque et pour quelle raison cette chapelle est-elle disparue ?
 
Nous avons retrouvé trace de cette chapelle en différentes pièces jusqu’en 1798. Or en 1804, le château qui appartenait au comte de Guizelin qui avait épousé la fille de M. Thiery et en avait ainsi hérité, était dans toute sa splendeur.
 
Napoléon, se rendant à Dunkerque, y logea avec son état-major. La chapelle existait certes à cette date, mais il n’en est pas fait mention dans les relations du voyage de Napoléon.
 
Un plan de 1812 ne fait plus mention de la chapelle, et dans l’acte de vente de la propriété à M. Hovelt en 1824, il n’en est point parlé, bien que beaucoup d’autres constructions, bien moins importantes, y soient énumérées. C’est donc vers 1800 que la chapelle disparut, e qui lui donne une durée d’une cinquantaine d’années.
 
Pourquoi disparut-elle ? Est-ce par incendie ? La chose est possible, mais il est possible aussi que M. Thiéry l’ai fait supprimer. Ce Thiéry, entrepreneur des travaux du roi, habitué aux grandes entreprises, n’hésitait pas à tout faire démolir et fut le créateur véritable du château actuel, comme nous le démontrons ailleurs.
 
Dès son arrivée au Tornegaet, il est gêné par le monde que ses voitures rencontrent dans l’avenue, gêné aussi par le droit de passage de Muyls et Vandenberghe ?
 
Dès 1781, il est en pourparlers avec ce dernier pour lui acheter ses terres. Il fait de même avec Muyls et en obtient, par acte du 28 février 1782, un triangle de terrain pour le prix de 102 livres tournois. Cette acquisition avait pour but d’élargir l’avenue au niveau de l’entrée de la chapelle, ce qui montre que M. Thiery était fort importuné par l’existence de cette chapelle aux portes de son château.
 
Il n’est donc pas impossible qu’il ait fini par la supprimer.
 
Nous savons qu’il existe actuellement dans la propriété de M. Marchand, un petit pavillon situé sur la route de Saint-Pol, à l’angle de cette route et de l’avenue est du château, avenue conduisant en outre chez des jardiniers et au rivage du canal de Mardyck. C’est-à-dire à un endroit tout proche de l’ancienne chapelle. Ce bâtiment est-il le vestige de l’ancienne sacristie ?
 
La chose nous paraît très probable, et en voici les raisons :
 
En 1755, la chapelle était, disent nos documents, à 300 mètres de la barrière du Tornegaet.
 
M. Thiéry devait plus tard, en devenant propriétaire du château, faire paver cette portion de route.
Cette barrière de Tornegaet n’était pas située du tout à la porte actuelle de Saint-Pol, mais à 150 mètres environ, en remontant vers la Samaritaine, à la hauteur du corps de garde qui existait encore il y a cinquante ans, à proximité de l’usine actuelle de M. Ziegler.
 
La route actuelle qui, à partir du château de M. Maurice Marchand oblique à droite pour rejoindre le canal de Mardyck, au niveau de la porte de Saint-Pol, était alors à peu près rectiligne, et même obliquant  un peu à gauche, s’il faut s’en rapporter aux cartes de l’époque.
 
La route a donc été élargie, puis déviée au niveau de notre ancienne chapelle, à tel point que celle-ci, si elle avait encore existé à cette époque, se serait trouvée en saillie sur la route actuelle au lieu de se trouver en retrait comme l’indique notre gravure.
 
Dans cette avancée, la sacristie est venue sur le bord du nouveau tracé de la route.
 
Ce petit pavillon occupe très probablement l’ancien emplacement de la sacristie. C’est une premier raison, mais en voici une seconde.
 
Quand la chapelle fut supprimée, parce qu’elle gênait la circulation, il ne parut pas nécessaire à M. Thiéry de supprimer la sacristie qui n’était pas sur la voie publique, mais se trouvait sur son terrain. Il eût évidemment l’idée de la transformer en pavillon et comme la route avait été considérablement exhaussée, il dut exhausser le toit par la petite construction en bois actuelle.
 
Une troisième raison est l’épaisseur même des murs de la petite salle sous le pavillon, épaisseur qui n’est pas en rapport avec la légèreté de la construction en bois qu’ils soutiennent.
 
Il nous paraît donc tout à fait vraisemblable que les fondations de ce pavillon sont celles de l’ancienne sacristie ou d’une annexe de cette sacristie.
 
Il faut enfin remarquer que ces fondations sont établies avec des briques de dimensions réduites qui sont celles usitées au XVIIIe siècle.
 
Nous voulons pour finir montrer la chapelle dans l’état où elle se trouvait en 1755.
 
A cette époque, la propriété de M. Tugghe n’était entourée que d’une simple haie et ce fut M. Thiéry qui fit élever le mur de clôture actuel.
 
Les promeneurs pouvaient donc apercevoir les magnifiques pelouses et les corbeilles fleuries du château. De nombreux arbres se trouvaient là où nous en voyons encore quelques-uns entre le château et le canal de Mardyck. 
 
En bordure du chemin allant à l’écluse et à l’ouest de la chapelle, c’est-à-dire l’avenue d’entrée, se trouvait en outre un bois de 700 arbres.
 
Ce bois existait encore en 1824 et dans l’acte de vente du 24 juillet de Guizelin à Hovelt nous lisons :
ARTICLE 3. – Un grand bois d’agrément contenant environ 700 ormes et frênes de haute futaie.
Ce bois avait 30 toises de longueur et s’étendait entre la route et le château. Il ne bornait la route que sur une étendue de dix toises. La route courait ensuite le long des terres de jardinage.
 
Ces terres, d’une contenance de 2 hectares, qui avaient appartenu à l’église Saint-Eloi de Dunkerque, avaient été confisquées puis vendues comme biens nationaux et achetées par Storme. Ce dernier ne voulut point les vendre ni à Thiéry, ni à Guizelin mais les vendit à Hovelt en 1825.
 
De l’autre côté de la route, en face de la chapelle, se trouvait l’extrémité des criques, lieu de promenade des dunkerquois, dont un artiste a laissé une peinture.
 
Entre le canal de Mardyck et la route allant à la barrière du Tornegat, se voyait l’extrémité de la digue du comte Jean, où se dressait un moulin. La butte, qui supportait ce moulin existe encore, à l’entrée de Saint-Pol, sur les bords du canal de Mardyck.
 
Enfin, entre le château et le canal de Mardyck, une promenade des plus agréables, bien ombragée, où se donnaient rendez-vous les amateurs de pêche. Quelques arbres existent encore en cet endroit.
 
En résumé, la chapelle construite par M. Tugghe marque la première étape du développement du hameau de Petite-Synthe, dit de Tornegat ou d’Hoornegat.
 
C’est autour d’elle que nous devons placer le berceau de Saint-Pol-sur-Mer. Les besoins qui l’avaient fait naître en 1755 n’ont pas cessé d’exister et ont amené récemment la construction de l’église Notre-Dame de Lourdes, descendante directe de la vénérable chapelle. Nous avons cru intéressant de tirer tous ces faits de l’oubli et d’ajouter ainsi une page toute neuve de l’histoire du culte à Saint-Pol et Petite-Synthe.

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