mardi 5 novembre 2019

1694, Jean Bart sauve la France au Texel


1694, la France est le pays le plus peuplé d’Europe mais aussi le plus affamé. Environ 20 millions de Français qui subissent disette et famine à cause de récoltes catastrophiques et de spéculateurs qui misent sur la faim des plus pauvres. 
 
Louis XIV achète du blé russe et polonais mais les convois arrivent rarement à bon port, capturés par les Hollandais de la Ligue d’Augsbourg. Le contre-amiral De Vries le dira lui même à Jean Bart, l’ordre émane du Prince d’Orange, maître des Provinces-Unies et ennemi viscéral du Roi-Soleil ! L’on paye bien la protection de navires danois et suédois mais ces mercenaires ne s’acharnent pas à défendre les cargaisons, quand ils ne les revendent pas eux-mêmes !


L’honneur des Dunkerquois
 
Avec ordre de se porter au devant de la flotte et de l’amener à bon port, l’escadre de Jean Bart rencontre une flotte de 60 navires le 29 juin 1694 à trois heures du matin. Dans l’obscurité, il distingue nettement des vaisseaux de guerre. Voilà le blé acheté par la France qui cingle toutes voiles dehors vers l’île de Texel. 
 
Huit vaisseaux hollandais, soit 388 canons, encadrent les navires prisonniers. Face à eux, les Français n’ont que 330 canons sur 9 navires, et encore compte-t-on parmi eux une frégate légèrement armée et deux flutes qui ne sont que de peu d’utilité au combat. Après un bref conseil de guerre, les capitaines dunkerquois décident que, malgré leur évidente infériorité, il leur est impossible de ne pas engager le combat ! La corvette légère « La Biche », forte de seulement six canons, part reconnaître l’ennemi. 
 
Après avoir essuyé le feu des Hollandais, son commandant rapporte qu’il s’agit de la flotte de Hecker, partie pour Dunkerque, prise la veille par l’escadre batave et dont les capitaines des navires les plus importants ont été relevés par l’ennemi. Les Dunkerquois décident de foncer puisqu’ils ne peuvent plus bénéficier de l’effet de surprise ! Décision est prise de compenser l’infériorité numérique en envoyant 120 corsaires sur une flute pour faire le nombre contre l’ennemi.

L’enfer sur mer
 
Jean Bart ordonne l’abordage. Prenant le commandement du « Maure », il se réserve l’attaque du « Prince de Frise », le navire-amiral hollandais dirigé par de Vries … qui manœuvre justement vers lui. Les Dunkerquois agissent pour le compte du roi et savent que le combat risque de ne pas être récompensé car Louis XIV manque d’argent… 
 
Le combat entre les navires-amiraux dure une demi-heure. Entre souffle des explosions, éclats du bois défoncé par les boulets, dans le bruit, la fureur et la fumée, 600 à 700 hommes s’entretuent sur le pont des deux navires drossés l’un contre l’autre et maintenus ensemble par des grappins. Les Flamands se battent comme des diables, tuant ou blessant plus de 300 Hollandais contre 19  tués et 77 blessés dans toute l’escadre. 
 
Cinq navires hollandais réussissent à prendre la fuite. L’amiral de Vries a un œil crevé par un coup de pic alors qu’il tente de défendre le pavillon-amiral. Il reçoit aussi un coup de pistolet en pleine poitrine et deux coups de sabre à la tête ! Jean Bart l’amène à Dunkerque où les chirurgiens l’amputent du bras gauche, déchiqueté par une balle de mousquet, après avoir été « anesthésié » d’une rasade d’eau de vie. L’opération ne le sauve pas mais qu’importe, il estime son honneur sauf pour avoir été vaincu par des héros, pas par des bandits, puis s’éteint le 1er juillet.

Une goutte d’eau qui libère un océan
 
Le retour de la flotte produit un effet inespéré : bien que la cargaison ne couvre qu’une infime partie des besoins, les sujets du roi Louis ont toutes les raisons d’espérer et devant un tel succès, les spéculateurs baissent leurs prix, persuadés qu’attendre les ruinerait face à une abondance supposée de grains ramenée par les Dunkerquois.

Jean Bart envoie son fils François porter lui même la nouvelle de la victoire ainsi que le pavillon-amiral de de Vries. Malheureusement, le jeune homme, peu habitué aux parquets cirés de Versailles, tombe, atterrit presque dans les bras du roi qui coupe court aux railleries des courtisans en déclarant que les Bart sont meilleurs marins qu’écuyers… et d’anoblir et de payer Jean Bart !

Le Texel garde une résonnance particulière à Dunkerque, l’on ne s’y est pas battu pour l’or ou une gloire éphémère, les corsaires ont versé le sang pour le petit peuple qui souffre, pour ce pain si précieux qui représente la moitié du repas ! Peut-être faut-il voir aussi là le vrai début de l’idylle entre le roi et le port dunkerquois…

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