1694, la France est le pays le plus peuplé d’Europe mais
aussi le plus affamé. Environ 20 millions de Français qui subissent disette et
famine à cause de récoltes catastrophiques et de spéculateurs qui misent sur la
faim des plus pauvres.
Louis XIV achète du blé russe et polonais mais les
convois arrivent rarement à bon port, capturés par les Hollandais de la Ligue
d’Augsbourg. Le contre-amiral De Vries le dira lui même à Jean Bart, l’ordre
émane du Prince d’Orange, maître des Provinces-Unies et ennemi viscéral du
Roi-Soleil ! L’on paye bien la protection de navires danois et suédois
mais ces mercenaires ne s’acharnent pas à défendre les cargaisons, quand ils ne
les revendent pas eux-mêmes !
L’honneur des Dunkerquois
Avec ordre de se porter au devant de la flotte et de
l’amener à bon port, l’escadre de Jean Bart rencontre une flotte de 60 navires
le 29 juin 1694 à trois heures du matin. Dans l’obscurité, il distingue
nettement des vaisseaux de guerre. Voilà le blé acheté par la France qui cingle
toutes voiles dehors vers l’île de Texel.
Huit vaisseaux hollandais, soit 388
canons, encadrent les navires prisonniers. Face à eux, les Français n’ont que
330 canons sur 9 navires, et encore compte-t-on parmi eux une frégate légèrement
armée et deux flutes qui ne sont que de peu d’utilité au combat. Après un bref
conseil de guerre, les capitaines dunkerquois décident que, malgré leur
évidente infériorité, il leur est impossible de ne pas engager le combat !
La corvette légère « La Biche », forte de seulement six canons, part
reconnaître l’ennemi.
Après avoir essuyé le feu des Hollandais, son commandant
rapporte qu’il s’agit de la flotte de Hecker, partie pour Dunkerque, prise la
veille par l’escadre batave et dont les capitaines des navires les plus
importants ont été relevés par l’ennemi. Les Dunkerquois décident de foncer
puisqu’ils ne peuvent plus bénéficier de l’effet de surprise ! Décision
est prise de compenser l’infériorité numérique en envoyant 120 corsaires sur
une flute pour faire le nombre contre l’ennemi.
L’enfer sur mer
Jean Bart ordonne l’abordage. Prenant le commandement du
« Maure », il se réserve l’attaque du « Prince de Frise »,
le navire-amiral hollandais dirigé par de Vries … qui manœuvre justement vers
lui. Les Dunkerquois agissent pour le compte du roi et savent que le combat
risque de ne pas être récompensé car Louis XIV manque d’argent…
Le combat entre
les navires-amiraux dure une demi-heure. Entre souffle des explosions, éclats
du bois défoncé par les boulets, dans le bruit, la fureur et la fumée, 600 à
700 hommes s’entretuent sur le pont des deux navires drossés l’un contre
l’autre et maintenus ensemble par des grappins. Les Flamands se battent comme
des diables, tuant ou blessant plus de 300 Hollandais contre 19 tués et 77 blessés dans toute l’escadre.
Cinq
navires hollandais réussissent à prendre la fuite. L’amiral de Vries a un œil
crevé par un coup de pic alors qu’il tente de défendre le pavillon-amiral. Il
reçoit aussi un coup de pistolet en pleine poitrine et deux coups de sabre à la
tête ! Jean Bart l’amène à Dunkerque où les chirurgiens l’amputent du bras
gauche, déchiqueté par une balle de mousquet, après avoir été
« anesthésié » d’une rasade d’eau de vie. L’opération ne le sauve pas
mais qu’importe, il estime son honneur sauf pour avoir été vaincu par des
héros, pas par des bandits, puis s’éteint le 1er juillet.
Une goutte d’eau qui libère un océan
Le retour de la flotte produit un effet inespéré : bien
que la cargaison ne couvre qu’une infime partie des besoins, les sujets du roi
Louis ont toutes les raisons d’espérer et devant un tel succès, les
spéculateurs baissent leurs prix, persuadés qu’attendre les ruinerait face à
une abondance supposée de grains ramenée par les Dunkerquois.
Jean Bart envoie son fils François porter lui même la
nouvelle de la victoire ainsi que le pavillon-amiral de de Vries.
Malheureusement, le jeune homme, peu habitué aux parquets cirés de Versailles,
tombe, atterrit presque dans les bras du roi qui coupe court aux railleries des
courtisans en déclarant que les Bart sont meilleurs marins qu’écuyers… et
d’anoblir et de payer Jean Bart !
Le Texel garde une résonnance particulière à Dunkerque, l’on
ne s’y est pas battu pour l’or ou une gloire éphémère, les corsaires ont versé
le sang pour le petit peuple qui souffre, pour ce pain si précieux qui
représente la moitié du repas ! Peut-être faut-il voir aussi là le vrai
début de l’idylle entre le roi et le port dunkerquois…
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