Sacrilège ! Oser dire que Jean Bart a eu deux
pères ! Si on considère que tout habitant du Dunkerquois connaît dès son
plus jeune âge la statue qui trône au milieu de l’ancienne place royale, c’est David
d’Angers qui a donné un visage et une stature du capre flamand qui reste gravée
dans toutes les mémoires alors que les portraits du corsaire sont assez
nombreux. Un visage qui fixe l'image du corsaire dans l'imagination populaire puisque personne ne s'accorde à dire quel fut son vrai visage...
Le 7 septembre 1847, Dunkerque inaugure la statue de son plus célèbre
fils. La plupart des grandes villes de la région ont envoyé des délégations et
la foule est au rendez-vous, se massant au pied de la statue encore voilée,
devinant l’attitude résolue du marin.
La fameuse cantate résonne pour la
première fois sous le regard et le poing levé du marin. La suite, on la
connaît : la statue échappe miraculeusement aux guerres et aux
destructions, elle est honorée tous les ans par les carnavaleux… Penchons nous
sur son sculpteur. Son nom est associé à la ville mais il reste pour la plupart
un parfait inconnu.
Une tradition familiale
Pierre Jean David est né en 1788 à Angers. Fils d’un soldat
retraité de la République lui même sculpteur sur bois, il place ses pas dans
ceux de son père. Ses études entamées à l’Ecole centrale d’Angers entre 1806 et
1807 le mènent à Paris. La décision de quitter la douceur angevine pour la
capitale ne s’est pas faite sans mal : son père, farouchement opposé à son
projet, refuse de financer son départ.
Désespéré, il attente à ses jours.
Suicide raté mais père convaincu, il prend la route avec 45 francs rassemblés
par sa mère et ses sœurs et 50 francs prêtés par son maître Delusse.
Une fois à
Paris, il reçoit les enseignements de sculpteurs comme Augustin Pajou ou de
peintres comme Louis David, qui le prend en affection et l’embauche dans son
atelier. La renommée ne se fait pas attendre : en 1808, déjà remarqué, on
le trouve à sculpter des ornements sur l’arc de triomphe du Carrousel et au
Louvre où il travaille à la frise de l’édifice. Sa virtuosité lui permet de
décrocher le Grand Prix de Rome en 1811 : il devient donc pensionnaire de
la Villa Médicis. Après son séjour romain, il prend la direction de Londres où
il travaille notamment au monument de Wellington, le « vainqueur » de
Waterloo…
Sous ses ciseaux, pierre et bronze prennent les visages de ses
contemporains qu’il estime le plus. Il statufie Rouget de l’Isle, Armand
Carrel, Lafayette, Châteaubriand, Lamartine, Victor Hugo… A son retour en 1816,
il créé la statue du Grand Condé, érigée dans la cour d’honneur du Château de
Versailles.
Les honneurs se succèdent : en 1825, il est fait
chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur. L’année suivante, il est élu
membre de l’Institut de France. Le voilà immortel à 38 ans ! La même
année, il est nommé professeur à l’Ecole de Peinture et de Sculpture.
En 1831, il œuvre aux sculptures du fronton du Panthéon. Inlassablement,
il offre aux passants des compositions magistrales : statues, bas-reliefs,
frontons et de nombreux monuments funéraires dont la majorité est au cimetière
du Père-Lachaise tels le buste d’Arago ou de Ledru-Rollin. Son talent est même
reconnu outre-Atlantique : ses statues de Lafayette et de Washington se
dressent au Congrès américain.
Une carrière politique courte mais intense
Si sa production est immense, l’homme n’est pas insensible
au sort de ses pairs. Il n’est pas un artiste hors du temps, claquemuré dans
son atelier. Farouchement républicain, il est élu représentant du peuple à
l’Assemblée constituante en 1848 par le département du Maine-et-Loire. Siégeant
à gauche, il vote inlassablement en faveur de lois sociales et politiques
progressistes et évidemment, contre un président de la République qu’il
pressent vouloir se débarrasser de la jeune République. Comme membre de
l’Assemblée constituante, il fait feu de tout bois : il vote notamment
contre la rétablissement de la contrainte par corps, contre l’interdiction des
clubs mais aussi pour l’abolition de la peine de mort, pour la fin du
remplacement au service militaire, pour le droit au travail et surtout pour la
demande de mise en accusation du président et de ses ministres.
Adversaire notoire de Louis-Napoléon Bonaparte, il n’en
représente pas moins un danger pour le futur empereur : alors que
l’artiste n’est pas élu de l’Assemblée Législative, on l’arrête lors du coup
d’état de 1851 sur ordre express du président. A peine eut il le temps de fondre sa statue du Pape de l'an mil, Gerbert, dans sa ville natale d'Aurillac.
Condamné à l’exil, il trouve
asile en Grèce et, sa santé chancelante, revient mourir à Paris, en 1856,
laissant Jean Bart une nouvelle fois orphelin.
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