In Collectif - Visages de la
Flandre et de l'Artois - collection "provinciales", éditions des
horizons de France - Paris, 1949
" "Un bon juge des
choses de l'esprit, Sainte-Beuve, a nommé Froissart" le grand prosateur du
XIVe siècle" et a qualifié par ailleurs Commines d'avoir été au siècle
suivant "le premier écrivain vraiment moderne". Qu'il soit né dans la
petite ville dont il porte le nom, ou bien à Renescure, Commines appartient
nettement à l'espèce des bords de la Lys. C'est le type fin et développé du
Flamand, n'agissant jamais qu'à bon escient, exerçant sur lui-même un parfait
contrôle et refusant alliance avec qui est dépourvu à ses yeux de cette qualité
essentielle. Ce fut pour cette qu'il quitta Charles le Téméraire, prince bien
autrement chevaleresque que Louis XI, mais dont les emportements lui étaient
odieux.
De même que le paysan flamand du
Moyen-Âge, un Commines préfère le renard au loup. On l'imagine ajoutant avec
malice quelques chapitres au vieux fabliau qui faisait encore la joie des
veillées dans les chaumières où il avait pris naissance. "Comment Renart
s'étant aventuré dans la tanière d'Isengrin, sut en sortir grâce à un
particulier ressort", c'eût été l'affaire de Péronne. "Comment Renart
enivra Isengrin et le laissa mort sous la table", c'eût été le récit des
beuveries d'Amiens, où Louis XI noya dans un flot de vin de France les
chevaliers anglais envoyés contre lui.
Il conte avec une amusante malice
un épisode de l'incertaine bataille de Monthléry où, à un certain moment,
certains combattants du parti du roi, et, certains du parti du duc, purent
croire les uns et les autres que tout était perdu. Tel s'enfuit donc à bride
abattue jusqu'à Lusignan, en plein Poitou; et tel jusqu'au Quesnoy, en Hainaut.
"Ces deux n'avaient garde de se mordre l'un l'autre", ajoute Commines
dont on entrevoit le fin sourire. Le descendant des Francs de la Lys, des deux
traits marquants de leur caractère, la violence et la ruse, a peut-être perdu
le premier pour retenir le second. Lais où il est pleinement leur fils, c'est
quand il s'oppose de toutes ses forces à l'établissement d'une monarchie
absolue vers laquelle tendait les légistes, et quand il exige que l'impôt soit
consenti par le peuple. Il a horreur de voir foulé celui-ci, horreur de la
guerre et des maux qu'elle entraîne, massacres, pillages, incendies. La misère
secrète des rois est grande aussi, il ne l'ignore pas et cela d'autant plus
qu'ils veulent ardemment dominer le monde. Commines écrit de Louis XI avec un
merveilleux bon sens : "Ne lui eût-il pas mieux valu, à lui et à tous les
autres princes, et hommes de moyen état qui ont vécu sous ces grands et vivront
sous ceux qui règnent, élire le moyen chemin...; c'est à savoir moins se
soucier et moins se travailler, et entreprendre moins de choses, plus craindre
à offenser Dieu et à persécuter le peuple et leurs voisins par tant de voies
cruelles, et prendre des aises et plaisirs honnêtes? Leurs vies en seraient
plus longues, les maladies en viendraient plus tard; et leur mort en serait
plus regrettée et de plus de gens, et moins désirée..."
Commines était croyant, voire
théologien à l'occasion, et ayant accompli le pèlerinage de Compostelle, c'est
justement que sa statue tombale - aujourd'hui au Louvre - le représente portant
coquille sur son camail. "
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire