La guerre de course, participant autant de la guerre "classique" que de la guerre économique en attaquant les interets commerciaux des puissances ennemies a été promue par les ministres de Louis XIV et fut encouragée encore longtemps par les régimes successifs. Pour preuve, cette affaire portée en justice et qui trouva sa conclusion en 1808. Un texte qui peut avoir quelque intérêt alors que Jean Bart a eclipsé ses contemporains comme ses successeurs.
PRECIS DE
FAITS ET CONCLUSIONS MOTIVEES
Pour le Sieur Nicolas-Joseph-Marie
BLAISEL, Avocat à dunkerque
Contre le Sr LAURENT-JOS.-JACQUES
MEUNYNCK, cy-devant apothicaire à dunkerque, de présent à Paris, et
MARIE-THERESE GODDEFROY, son épouse, celle-ci héritière pour un huitième de feu
PIERRE GODDEFROY.
En présence des Srs DEHAAN et
CORTISSOZ, négocians à Amsterdam, représentées par le Sieur AUGUSTIN DOURLEN, négociant
à Dunkerque, leur fondé de pouvoir.
Et en
celle du Sieur ROUSSILHE DE MORAINVILLE, oncle, ancien Négociant, demeurant à
Paris
M. PORTALIS, discussion du Code Napoléon au Conseil d’Etat,
séance du 11 brumaire an 12, dit : « un
avocat général du Parlement de Paris a établi avec raison que la déclaration du
majeur devient une cause suffisante, ce n’est que pour les mineurs que la cause
doit être prouvée »
M. TRONCHET, dit « qu’il n’est pas présumable qu’un homme
se constitue débiteur sans l’être en effet »
OBJET DE LA
CONTESTATION
Des lettres de change ont, dans l’intérêt des obligés, été souscrites
au nom et ordre d’un tiers, à qui l’on
savait ne pas devoir, mais être porteur de procuration du véritable
créancier ?
Ces lettres de change, par
contres desquelles le tiers a libéré les obligés d’une restitution, pour raison
de laquelle il y avait plainte, ont été
protestées, dénoncées et condamnations obtenues, le tout au nom du tiers
porteur, puisque c’était en son nom que l’on s’était obligé, et à lui que l’on
avait consenti de payer.
Ni l’un nu l’autre des obligés
n’ont réclamés, ni contre la légitimité de ces engagements, ni contre la
régularité des procédures exercées : au contraire, en plusieurs
circonstances ils se sont avoués débiteurs.
C’est, cinq années après la
création de ces lettres de change après la mort de l’un des obligés, qu’un
héritier se présente et en soutient la nullité pour défaut de cause.
EXPOSE
Une société s’est établie à
Dunkerque, en l’an 5, pour l’armement de plusieurs bâtimens marchands et corsaires,
entre les Srs Roussilhe de Morainville, oncle et neveu, de Paris, Pierre
Goddefroy, ancien tonnellier à Dunkerque, un Sr Dartigaux, avocat à
St-Domingue.
On observera que les deux
premiers avaient l’avantage d’avoir alors
de puissans amis près du Gouvernement, et cette protection, de circonstance, enflâme tellement
encore aujourd’hui l’imagination de Jean Roussilhe neveu, (instigateur de ce
procès), qu’il ne craint pas de faire entendre que la piraterie, que sa mauvaise foi nous force à rappeler, était le
secret du gouvernement (impudence insignifiante, qui ne servira qu’à le couvrir
de honte).
En l’an 6, un des bâtimens
marchands de cette société, nommé la Jeune Gertrude, naviguant simulément sous pavillon Prussien, armé
par Goddefroy, commandé par un nommé Denecker, de Dunkerque, à qui on donna le
nom de Pieter Holm s’expédie pour
Embden, et se rend directement à Londres
(on se croyait tout permis)n et étant là, il se charge de transporter moyennant
un frêt convenu, des marchandises, de Plymouth à Amsterdam, marchandises
achetées et expédiées d’ordre et pour compte des Srs Dehaan et Cortissoz.
Prenant route opposée, la Jeune
Gertrude se rend à Calais le 3 nivôse an 6.[1]
Après quelques arrangements pris
à Dunkerque, et qui seront plus amplement expliqués en plaidant, relativement à
l’armement, sous le nom d’un ami complaisant, du corsaire nommé le Crocodille, à qui, pour cette coupable
expédition, on donna le nom de l’Amour ;
ce corsaire, équipé de 17 hommes seulement, est parti de Dunkerque, en
apparance, pour aller croiser ;
mais étant plus prudent , il s’est rendu directement
au port de Calais.
Là étant, (ainsi que l’armateur
Goddefroy), le capitaine de la Jeune Gertrude et celui du corsaire l’amour,
eurent, cela est prouvé, des
conférences et s’accordèrent sur les faits dont il va être parlé.
Le 26 nivôse de ladite année 6,
vers neuf heures du matin, le navire la Jeune Gertrude sort du port de Calais,
le corsaire l’amour le suit.
A peine la dernière balise à l’est
du port est-elle franchie, que le corsaire l’Amour fait le simulacre d’abordage
du navire la Jeune Gertrude ; le complaisant Denecker, fidel à sa
promesse, jette une partie de ses papiers à la mer (ce qui, d’après
l’ordonnance, rend la confiscation inévitable) ; il se laisse capturer et
conduire à Gravelines ; et cette belle opération s’est terminée le même
jour, 26 nivôse, vers midi.
Les officiers de la douane
étonnés, dit leur procès-verbal, qu’un navire de la société Goddefroy est pris
par un corsaire de la même société, croyant que c’est une ruse employée pour
introduire frauduleusement des marchandises, venant d’un pays ennemi, saisissent
navire et cargaison.[2]
Le receveur principal des douanes qui, quand on voudra, donnera sur cette affaire des éclaircissements qui ne
feront pas l’éloge de la société Goddefroy), sans trop savoir qu’il s’agissait
d’une piraterie exercée envers des négocians
hollandais, ne partageant pas l’étonnement des uns et l’indignation des autres,
dit un mémoire foudroyant contre Goddefroy et ses adhérans, qu’il adressa au
ministre des finances.
Aussitôt que Dartigaux eut
connaissance du mémoire, il est parti pour Paris, et a rapporté la main-levée
de la saisie faite, sous prétexte de
fraude.
Durant cette saisie, le Juge de
Paix de Gravelines instruisit la prise suivant que les prescrivent les
réglemens sur la course.
Les pièces restées à bord, et
celles d’instruction étant adressées au tribunal de cimmerce de Dunkerque,
alors Juge des prises dans son arrondissement, le capitaine de la Jeune
Gertrude a été assigné, comme représentant né des chargeurs, pour voir
prononcer la confiscation du chargement.
A l’audience, le capitaine eut,
on le présume bien, la coupable précaution de ne pas dire un mot en faveur des
Srs Dehann et Cortissoz, propriétaires du chargement, mais il ne lui a pas
échappé de déclarer, non comme le Sr Roussilhe ke fait dire en sa consultation
des avocats de Paris, du 18 novembre dernier, page 13, qu’il avait jeté des connaissemens anglais à la mer, mais il
dit avoir jeté plusieurs lettres. Il eut pu dire avec plus de vérité, qu’il
s’était, pour donner plus certainement lieu à la confiscation de la prise,
débarrassé de certains papiers, qu’il savait justifier plus parfaitement le pour compte neutre.
Les coupables de cette infâme,
nous ne dirons pas baraterie, car ce
n’est pas le mot, mais piraterie, ont
réussi, et la cargaison, jugée sur les
seules pièces restées à bord, leur a été adjugée, en la personne de leur
prête-nom, Pierre Bricx.
Ce jugement, dont les Srs Dehann
et Cortissoz n’eurent pas plus connaissance qu’ils n’en avaient eu de l’arrivée
du navire au port de Calais, le 6 nivôse précédent, dut exécuté au vu et su du
capitaine de la Jeune Gertrude, qui ne fit ni appel ni reserves, ni
protestations, et l’on se partagera modestement 175 000 liv., montant de
la vente.
Les Srs Dehann et Cortissoz
furent très longtems à apprendre le sort de leurs marchandises, et plus
longtems encore à obtenir des renseignemens sur tout ce qui s’était
passé ?
Leurs amis, MM. Emmery, vanhée et
Dourlen, de Dunkerque, furent chargés de prendre des informations, Me
Varlet, avocat, s’en est d’abord occupé, et n’ayant pas suivi l’idée qu’il
avait donné de rendre plainte, le Sr Blaisel a été chargé de la suite de cette
affaire.
Un mémoire expositif des faits a
été présenté au Conseil des Prises, par les Srs Dehann et Cortissoz ; on y
discuta les moyens de parvenir à être reçu tiers opposans et subsidiairement les Sr Dehann et
Cortissoz observèrent que si, comme on ne pouvait en douter, cette prise ne
pouvait pas être considérée comme une prise faite par droit de guerre, c’était le cas de renvoyer les parties devant le
Tribunal de police correctionnelle de Boulogne, Juge du lieu du délit.
Ce n’est pas, comme in le fait
dire par la consultation, page 16, sur la dénonciation des Srs Dehann et
Cortissoz, que ce mémoire, en forme de plainte, a été renvoyé, le 23 germinal
an 10, au Ministre de la justice, mais bien du
propre mouvement du Conseil des Prises, ne lui appartenant pas d’indiquer
un Tribunal.
Ce renvoi a effrayé la société
Goddefroy, ils crurent donc convenable de chercher à arranger cette affaire,
pour, disait le sr Morainville, en éviter
la publicité.
En conséquence, le Sr Goddefroy
et autres, notamment le Sr Jean Roussilhe, neveu, se réunirent dans le cabinet
du Sr Blaisel, et là étant, le 3 thermidor an 10, après quelques explications,
auxquelles les adversaires peuvent donner, ou ne pas donner le nom de transaction, on paya à ce dernier une
somme de 73 510 liv. en sept lettres de change, à termes, tirées par
Goddefroy, sur son associé Morainville, oncle.
Ce paiement de 73 510 liv.,
alors que les inculpés en avaient touché plus de 150 000, était une très
grande faveur, il est aujourd’hui bien permis au Sr Blaisel de la regretter.
Les lettres de change furent
souscrites au nom et ordre du Sr
Blaisel, parce qu’il parut convenable, pour
ne pas exposer les obligés, de ne pas nommer les plaignans ?
Des nantissements furent aussi
donnés au Sr Blaisel, pour assurer le paiement des traites à leurs échéances,
avec la permission même d’en disposer, (nous parlons du navire et
cargaison L’Homme du nord), par vente, avant
l’échéance des traites, sauf compte.
On exigea du Sr Blaisel aucune
reconnaissance de ces engagemens ainsi faits en son nom et ordre ; mais, ce qui est important et décisif, il fut convenu que le Sr
Blaisel déposerait, le même jour, 3 thermidor an 10, chez Coquiller, notaire à Dunkerque, les pouvoirs qu’il avait des Srs
dehann et Cortissoz, pour rendre
plainte contre Goddefroy et autres s’en désister et recevoir, ce qui a été fait.
Il fut aussi convenu qu’aussitôt
après avis d’acceptation des lettres de change, le Sr Blaisel se rendrait à
Paris, pour signer le désistement de la plainte ?
Il s’y est rendu le 20 ou 21
dudit mois de thermidor, et après quelques explications, et un supplément
d’hypothèque donné par le sr Morainville, le 28, le lendemain 29, le Sr Blaisel
signa le désistement de cette manière : par procuration déposée chez Cocquillier, notaire à Dunkerque.
Ces lettres de change furent
protestées et dénoncées à leurs échéances respectives ; et lors de ces
actes, on n’allégua ni surprise, ni
fausse cause.
Des poursuites ont été exercées,
et est intervenu le jugement du 10 brumaire an 12, qui a condamné le Sr
Morainvielle, contradictoirement, et le Sr Godefroy, par défaut.
Morainville a demandé du tems
pour payer, tant au Sr Blaisel qu’aux Srs Dehann et Cortissoz et a laissé
acquérir au jugement la force de chose
jugée.
Goddefroy a donné délégation sur
des cuivres, à valoir sur ce qu’il devait,
et Morainville a promis de faire valoir cette délégation ?
Goddefroy est mort trois ans
après, sans réclamer.
Sa veuve s’est laissée exécuter sans réserves ni protestations ?
C’est cinq ans après la création
des lettres de change, que le Sr Jean Roussilhe, neveu, fait paraître le Sr
meunynck et son épouse, ayant droit pour un 8e en la succession de
Goddefroy : il leur fait former opposition au jugement du 10 brumaire an
12, et au principal demander la nullité des lettres de change pour défaut de cause.
Le Sr Blaisel soutien qu’on ne
peut arguer le défaut de cause sans
le prouver.
Il soutient, d’après les
principes, qu’il y a présomption de cause
suffisante, par cela seul qu’il y a titre, signé par des majeurs ?
Il soutient, avec le même
avantage que c’est à l’obligé de faire cesser cette présomption, en rapportant les preuves exigées par la loi, et sans
lesquelles les conventions ne peuvent être révoquées (Code Napoléon, art.
1134).
On l’accable d’infâmes calomnies,
on soutient par des écrits produits devant les premiers Juges « qu’il n’a
ces lettres de change dans ses mains parce qu’il se les a fait créer pour aider Godddefroy a frustrer ses
créanciers les plus acharnés d’une riche cargaison, attendue de Cayenne ;
et on ajoute que maintenant que les
motifs de cette SIMULATION, ne subsistent plus, le Sr Blaisel cherche, par un
abus de confiance impardonnable, à se les approprier. »
Le Sr Blaisel a donné à ses
adversaires et le donne encore le défi de prouver cette atroce imputation.
Surabondamment et quoique n’y étant tenu le Sr Blaisel a, pour sa propre satisfaction, expliqué et
fait connaître la cause des lettres de change, comment et pourquoi elles
étaient en son nom et à son ordre, et à qui l’importance en appartenait.
La justice, comme les règles
ordinaires de la procédure, imposaient aux premiers Juges l’obligation
d’ordonner, avant de faire droit, au
Sr Meunynck et son épouse, de faire preuves par titres, ou par témoins, des
faits par eux avancés, sauf preuve contraire ; et provisoirement les
engagemens devaient être maintenus ; ainsi le veulent les principes, ainsi
le veut la loi.
Cette marche, aussi simple que
juste, n’a pas été suivie par les premiers Juges.
Par une fatalité inconcevable,
ils ne s’occupèrent nu de la véracité des faits posés par le sr Blaisel, ni de
sa justification quant à ceux de complicité de banqueroute frauduleuse et
d’abus de confiance, qui lui étaient imputés.
Egarés par d’astucieux
raisonnemens et par des principes imaginés pour la cause, ou qui y sont
absolument inapplicables, on est parvenu à les engager à mettre à l’écart ceux
que la loi a tracé sur le respect dû aux conventions, notament l’article 1134,
qui ne permet de les révoquer que dans
les cas qu’elle a déterminé. En conséquence, après un délibéré qui a duré
soixante-dix jours, les lettres de change ont été déclaré nulles ; et
pourquoi ? Parce que, (c’est là le principal mobile du jugement) le Sr
Blaisel, en expliquant avec franchise et loyauté, (ce à quoi il n’était pas tenu, la loi l’en dispensait), la cause
des lettres de change, et pourquoi elles avaient été souscrites en son nom et ordre, a déclaré que, lui personnellement et de ses deniers,
il n’avait pas fourni de valeur. Voilà, dit-on, la preuve qu’ul n’y a cause,
donc nullité de poursuites au nom du Sr Blaisel, et nullité du jugement du 10
brumaire an 12.
Après cette injure aux principes
sur l’indivisibilité de la confession
judiciaire, on passe à quelques autres motifs, non moins absurdes, tels que
celui de présenter comme un preuve que les lettres de change n’ont pas eu pour
cause la réparation dudit délit commis et l’extinction de la plainte portée, à
cet égard, par les Srs Dehann et Cortissoz, parce que antérieurement à cette
plainte un jugement a, (grace à la
perfidie du capitaine de la Jeune Gertrude, l’un des accusés), déclaré de
bonne prise la cargaison de ce bâtiment.
Etablir les causes et moyens
d’appel d’un semblable jugement, ne sera pas chose difficile ; on en
trouvera les premières idées dans les conclusions motivées qui suivent.
CONCLUSIONS
A ce qu’il plaise à la Cour
adjuger au Sr Blaisel les conclusions par lui prises en son exploit du 22 août
dernier, et icelles reprenant, corrigeant et augmentant au besoin.
Rencontrant successivement chacun
des motifs du jugement dont est appel de la manière suivante :
« Une
obligation est nulle, si elle est sans
cause (Ier considérant) »
Attendu que le Sr Blaisel n’a
jamais eu la pensée de contester ce principe, qui est d’ailleurs consacré par
l’article 1131 du Code Napoléon ; qu’au contraire il a toujours voulu, en
dégageant la contestation de toutes les misérables subtilités dont les adversaires
l’ont entortillée, la réduire à ce seul point : « les engagemens dont il s’agit ont-ils une cause ?...
car enfin, qu’importe au nom et à l’ordre de qui ils ont été souscrits, si d’ailleurs il y a eu cause, et si
cette cause est licite.
« Une lettre
de change est nulle, si le créancier de la lettre de change n’est pas celui qui
en a fourni la valeur (2e considérant) »
Attendu qu’une lettre de change
n’est pas nulle parce que, par circonstance, ce qui arrive fort souvent en
faits d’engagemens de commerce, celui à l’ordre de qui elle est tirée n’a pas, de ses deniers, fourni la valeur.
Attendu que l’article Ier
du titre 5 de l’ordonnance du commerce n’est qu’indicatif de ce qui est
nécessaire pour constituer un contrat de
change, et lui en donner l’effet.
Attendu que les lettres de change
dont il s’agit comportent toutes les conditions exigées par l’ordonnance ;
et qu’encore l’une ou l’autre de ces conditions aurait été omise, on ne
pourrait en conclure qu’il y a nullité de l’engagement en lui-même, mais
seulement soutenir qu’il n’est pas un véritable contrat de change (vide
POTHIER). Aussi l’ordonnance ne prononce-t-elle pas cette nullité.
« les
sept lettres de change dont il s’agit sont toutes valeur en compte, le Sr Blaisel a déclaré n’en avoir pas fourni la
valeur, et être étranger à l’opération (3e considérant) »
Attendu que la circonstance
qu’elles ont été tirées valeur en compte,
alors (dit l’exploit introductif d’instance de Meunynck et son épouse), que le
Sr Blaisel n’avait aucun compte avec feu Goddefroy, tireur, n’est ni une fausse cause, ni, ce qui serait la même
chose, une preuve qu’il n’y a
cause ; car d’abord, outre qu’il est généralement reçu dans le
commerce que des expressions valeur en
moi-même, valeur en compte, valeur entendue, équivalent à celles valeur en argent comptant, sur quoi on
peut consulter SAVARI, POTHIER et la jurisprudence des Tribunaux ; c’est
que, dans l’espèce, ces expressions valeur
en compte, dont on s’est servi pour régulariser comme lettre de change les
engagemens dont il est question, étaient, à certains égards, assez convenables,
si l’on fait attention que le jour même de la création des lettres de change,
le Sr Goddefroy, pour en assurer le paiement, cédait au Sr Blaisel, à titre de
nantissement, le navire et cargaison l’Homme du nord, avec autorisation de
vendre, même avant l’échéance des traites, et de lui en rendre compte, sauf compensation.
Attendu, au surplus, qu’en
admettant même que ces expressions valeur
en compte, n’étaient qu’une fiction
de la véritable cause, qui eut dû être valeur
en restitution d’une cargaison spoliée, ce ne serait point encore là
une fausse cause, ni une preuve qu’il n’y a cause ; mais ce qui est
permis, un déguisement de la véritable
cause (BOICEAU, part. 2, chap.7 – DUROUSSEAU DE LA COMBE, v° billet – Jurisprudence de la Cour de
cassation).
« Par
cet aveu du Sr Blaisel, de n’avoir pas fourni valeur, il a lui-même reconnu
qu’il n’y avait cause ; donc point d’engagement (4e
considérant) ».
Attendu que l’on ne peut de
raisonnement plus absurde que de soutenir que les lettres de change dont il
s’agit, sont nulles, par cela seul que le Sr Blaisel a déclaré que, lui personnellement et de ses deniers,
il n’en a pas fourni la valeur ?
Attendu que ce n’est point là une
preuve qu’il n’y a eu de la part de Goddefroy et de Morainville, cause pour s’obliger ; mais que
seulement, de cette déclaration du Sr Blaisel, on peut induire, comme en même
temps il le dit, qu’il n’a fait que prêter son nom aux créanciers des obligés,
et en cela les deniers de ces derniers ne sont pas lésés, car encore une fois,
nous dirons, si d’ailleurs il y a cause,
peu importe à qui ils ont payé, dès
qu’ils devaient, et qu’ils sont libérés.
Attendu que si le Sr Blaisel
avait fait isolément, l’aveu de
n’avoir pas fourni valeur ; cette opération en lettres de change, que l’on
supposera un instant dénuée de toutes les circonstances et particularités qui
les ont précédées et suivies, et qui en justifient la cause, aurait pu être
regardée comme un de ces viremens de
parties, qui se pratiquent souvent dans le commerce. Mais il ne faut pas
perdre de vue qu’en même-tems que le Sr Blaisel a fait, de bonne foi, cet
aveu ; il a, sans y être obligé (il
y a titre, la loi l’en dispensait), expliqué, pour sa propre satisfaction,
et parce qu’il était accusé de surprise et d’abus de confiance, la cause de ces
lettres de change et fait connaître comment et pourquoi elles étaient en son
nom et ordre, et à qui leur importance appartenait.
Attendu, ainsi qu’il sera encore
sur les 13e, 14e et 15e considérans du
jugement dont est appel, que la division que l’on a cru pouvoir faire de la
déclaration du Sr Blaisel, pour, en prenant seulement droit de la première
partie, c’est-à-dire, de son aveu de n’avoir fourni valeur, et mettant à
l’écart la dernière, par laquelle il fait connaître la cause des
lettres-de-change, est une insulte au bon sens, comme aux principes sur l’indivisibilité de la confession
judiciaire.
« S’il
n’y a ni cause ni engagement, il s’ensuit que les traites sont nulles :
que le Sr Blaisel n’a pu en poursuivre le paiement, et que le jugement qu’il a
obtenu sur le fondement de ces mêmes traites, est nul, et par suite, le
nantissement de l’Homme du Nord et toutes autres sûretés (5e
considérant) »
Attendu qu’étant incontestable
qu’il y a eu cause, necessairement il
y a engagement, et engagement valable ; d’où il résulte que les
conséquences, que, par ce considérant, les Iers Juges tirent du défaut cause, ou d’engagement, tombent
d’elles-mêmes, ou doivent, en sens
contraire, être opposées aux adversaires, comme justifiant la validité des
poursuites exercées et jugement obtenu.
« le
Sr Blaisel, en faisant l’aveu de n’avoir pas fourni valeur des traites, a dit
qu’il était étranger à l’opération ; ajoutant qu’il ne faisait que prêter
son nom à des hollandais, les Srs Dehann et Cortissoz (6e
considérant) ».
C’est déjà ce qui a été dit et
répondu ;
« Cet
aveu du Sr Blaisel fait foi contre lui : or, ayant lui-même reconnu ne pas
être propriétaire, il était sans droit comme sans qualité, pour agir, et les
poursuites qu’il a exercé et jugement qu’il a obtenus, sont nulles (7e
considérant). Le système su Sr Blaisel, qu’il a pu agir et que ses poursuites
sont valides eut été bon, s’il avait fourni valeur, mais ayant reconnu ne pas
être le donneur de fonds et être étranger à l’opération, il a lui-même détruit
son titre (8e considérant) »
Attendu, ainsi qu’il est
ci-dessus dit, que cet aveu du Sr Blaisel, de n’avoir fait que prêter son nom
aux srs Dehann et Cortissoz, tenait à l’explication de la cause de ces lettres
de change ; que cette explication fait connaître comment et pourquoi elles
ont été souscrites, au nom et ordre
du Sr Blaisel, et conséquemment justifie le droit qu’a eu ces dernier, par le fait même des obligés, de les
poursuivre, à défaut de paiement.
« Inutilement
le Sr Blaisel se constituant le prête-nom des Srs Dehann et Cortissoz,
prétend-t-il qu’en sa qualité de mandataire, il avait pu acquérir des droits
personnels, sauf à ses mandans l’action en cession ou subrogation (9e
considérant), car en adoptant son allégation, il ne peut en résulter qu’il ait
eu le droit d’actionner en son nom, puisqu’il a lui-même avoué n’avoir pas
fourni valeur et n’avoir stipulé que pour un tiers, d’où il suit qu’il a
enfreint la maxime nul ne plaide par
procureur (10e considérant) »
Attendu que c’est moins comme
propriétaire, que comme porteur des lettres de change souscrites en son nom et
ordre, que, conformément à leur teneur, le Sr Blaisel a agi en son nom ?
Attendu qu’encore que comme le Sr
Blaisel en est convenu, il soit vrai que lui
personnellement et de ses deniers, il n’a pas fourni valeur, on ne peut en
conclure qu’il n’avait ni droit, ni qualité pour agir, alors surtout que, dans l’intérêt des obligés, ces mêmes
engagemens ont été librement et volontairement contractés en son nom et ordre.
Attendu que le Sr Blaisel,
recevant des obligés sept lettres de change en son nom et ordre, pour un objet qui concernait ses mandans, a
nécessairement acquis des droits personnels à la charge des obligés, et encore
celui de les poursuivre, saif à ses mandans de s’y faire subroger, ou à lui en
demander compte.
Attendu que ces droits personnels
sont tels, que, dans l’espèce, le Sr Blaisel ès mains et au nom duquel les
obligés se sont acquittés de ce qu’ils devaient aux Srs Dehann et Cortissoz, à
titre de restitution, était leur garant de toutes poursuites, que ces derniers
auraient voulu exercer, ou continuer à leur charge.
Attendu que les droits acquis par
le Sr Blaisel, sauf l’action de ses mandans, contre lui, en subrogation et tout
autrement, sont consacrés par la forme des engagemens souscrits par lesdits
Goddefroy et Morainville ; lesquels étant au nom et ordre dudit Blaisel,
lui ont incontestablement conférés le droit d’agir, et poursuivre en son
nom ; en quoi faisant, il a fait ce que la teneur des titres, dont il
était porteur exigeait et n’a nullement enfreint la maxime nul ne plaide par procureur, dont l’application n’est pas
déterminée par ce qui a rapport à l’engagement au fond, mais par le droit de
poursuivre, qui appartient naturellement et essentiellement à celui envers
lequel on s’est obligé, et a qui on a consenti de payer.
« Par
un jugement interlocutoire du 11 novembre 1807, dont il n’y a eu appel,
l’intervention que propose les Srs Dehann et Cortissoz se trouve rejetée puisqu’elle
n’est présentée que sous les mêmes motifs qu’avaient fait valoir le Sr Blaisel,
et dans lequel il n’a pas été écouté.
« Les
dispositions de ce jugement sont fondées (dit-on), sur ce que les traites dont
il s’agit ne font aucune mention que le contrat de change se soit opéré avec
les Sieurs Dehann et Cortissoz, et qu’ils y sont étrangers .
« Sur
ce que le Sr Blaisel en a poursuivi le paiement en son nom personnel, s’où il
suit que le Sr Blaisel soit soutenir seul s’il s’y croit fondé, ce qu’il a pu
faire et obtenir sous le même nom, sous lequel il a agi (11e
considérant). Et qu’admettre l’intervention des Srs Dehann et Cortissoz, ce
serait anéantir le jugement du 11 novembre 1807, qui a acquis la force de chose jugée, et supposer qu’un tiers
étranger au contrat, aurait droit de le convertir en son nom et profit, et de
se présenter en justice, pour, en se substituant au nom du tiers porteur,
régulariser des poursuites nulles, faute de titre et de qualité de la part de
ce tiers qui les a exercé (12e considérant). »
Attendu que Srs Dehann et
Cortissoz n’étaient point partie au jugement du 11 novembre 1807, et que
conséquemment il peut leur être opposé.
Attendu qu’en admettant même
qu’il était raisonnablement juste de refuser ay sr Blaisel d’appeler en cause
les Srs Dehann et Cortissoz, dont il demandait la présence, non pas comme on le
suppose , pour régulariser sa procédure, dont la validité ne peut faire la
matière d’un doute, mais seulement pour sa propre satisfaction, et afin
d’éclairer d’autant plus la religion de ses Juges, ce n’est point une raison
pour refuser d’admettre l’intervention volontaire des Srs Dehann et Cortissoz,
postérieurement à ce jugement, car autre chose est de refuser à une partie en
cause d’appeler en intervention un tiers, ou l’intervention de ce tiers de son propre mouvement.
Attendu que le fait que les srs
Dehann et Cortissoz n’étaient point parties aux lettres de change créées au nom et ordre du sr Blaisel, leur
mandant, et celui que le Sr Blaisel avait agi en son nom, n’étaient point un
motif pour lui refuser la permission d’appeler les Srs Dehann et Cortissoz,
puisqu’en expliquant la cause des
lettres de change (explications auquel il ne parait pas qu’il été fait beaucoup
d’attention, ni par le jugement du 11 novembre 1807, ni par celui dont est
appel), il avait fait connaître et justifié qu’elles avaient eu pour objet
d’arrêter les suites d’une plainte en spoliation d’une cargaison, dont les
Srs Dehann et Cortissoz étaient
propriétaires.
Attendu que ce motif était encore
moins admissible contre l’intervention actuelle des Srs Dehann et Cortissoz,
puisqu’ils ont, par leur requête, devant les premiers Juges, justifié leur
intérêt non seulement apparent, (ce
qui seul suffit), mais incontestable en la contestation, que conséquemment il
leur importait que les conclusions prises par le Sr Blaisel lui fussent
adjugées.
Attendu que ni de la part de ce
dernier, ni de celles des Srs Dehann et Cortissoz, il n’a jamais été entendu,
et ne l’est pas encore, que le Sr Blaisel devait cesser les poursuites en son
nom personnel, pour les faire exercer sous celui des Srs Dehann et Cortissoz.
Attendu que le Sr Blaisel
persiste à soutenir, ainsi et comme il l’a dit ci-dessus, que , porteur de
lettres de change en son nom et ordre, il a pu agir en son nom, et qu’il
continuera à agir de la même manière.
«
Inutilement le sr Blaisel a invoqué l’indivisibilité de sa confession et a
soutenu qu’en la recevant en son entier ou devait admettre l’existence d’une
transaction verbale, en laquelle il puise la cause déguisée des traites, et les
droits des Srs Dehann et Cortissoz ; car, dit-on, il n’y a lieu à
l’application du principe de l’indivisibilité,
puisque (suppose-t-on) l’article 1356 du Code Napoléon, n’envisage que la
personne même qui fait l’aveu, et ne renferme rien qui soit relatif à un tiers.
Or, continue-t-on, en examinant la confession du Sr Blaisel, on y trouve deux
parties ; la première, qui lui est personnelle, et la deuxième, concernant
des tiers Hollandais. Admettant toute sa déclaration à son égard, il ne
s’ensuit pas de la seconde partie, qu’il ait pu exercer sous son nom et au
profit d’étranger une action que son propre aveu lui dénie (13e, 14e
et 15e considérant) »
Attendu que la plus étrange
distinction qu’ont faites les premiers Juges, relativement au cas où un tiers
est intéressé en la confession judiciaire de la partie en cause, est une
infraction aux dispositions de l’article 1536 du Code Napoléon, lequel veut que
l’aveu judiciaire ne puisse se diviser
contre celui qui l’a fait.
Attendu qu’alors que la loi ne
dit pas qu’il y aura lieu à diviser lorsque l’aveu judiciaire contiendra
quelques faits qui peuvent intéresser une tierce personne, on ne peut, sans
s’écarter de cette règle de droit, où la
loi ne distingue pas, ou ne peut distinguer, suppléer à ce qu’elle n’a pas
décidée, et qu’au contraire, la clarté et la précision de ses expressions,
prouvent ne pas avoir été son attention ;
Attendu que le Sr Blaisel aurait
pû se dispenser d’avouer n’avoir pas, lui de
ses deniers, fourni valeur et fait connaître la cause des lettres de
change, et comment et pourquoi elles étaient en son nom et à son ordre, et à
qui en appartenait l’importance ? (ayant
titre, la loi l’en dispensait), lais qu’alors, que pour sa propre satisfaction, et pour repousser d’infâmes calomnies
répandues sur son compte, il donne sur la création de ces lettres de change,
les éclaircissements les plus satisfaisants, (non pour les adversaires) que la justice puisse exiger ; si on
fait tant que d’avoir recours à sa confession judiciaire, il faut (disent tous les auteurs) la prendre en son entier, ou ne pas s’en servir.
« s’il
est prouvé que l’indivisibilité d’une confession judiciaire ne concerne pas des
tiers, il reste à examiner si on peut supposer au profit des Srs Dehann et
Cortissoz, la prétendue transaction verbale alléguée par le Sr Blaisel, pour
leur donner le droit d’intervenir et de conclure avec lui, à l’adjudication des
conclusions qu’il à prises : (16e considérant) »
Attendu qu’étant hors de doute,
que la confession judiciaire du Sr Blaisel est indivisible, il demeure pour constant, jusqu’à preuve contraire, de la part des adversaires, qui ont
invoqué cette confession, que les lettres de change sont il s’agit, ont eu pour
cause l’extinction des poursuites en restitution de la cargaison de la Jeune
Gertrude ; conséquemment, ce n’est plus une question de savoir si les Srs
Dehann et Cortissoz, propriétaires de cette cargaison, ont un intérêt en la
contestation.
« Cette
prétendue transaction, où le Sr Blaisel puise la cause déguisée des traites, et
les droits des Srs Dehann et Cortissoz, est formellement déniée par les parties
auxquels on s’oppose ; et sous ce rapport, elle ne peut se présenter, elle
doit être approuvée par écrit ainsi
que le veut l’ord. de 1667, et le Code Napoléon (17e et 18e
considérant.) »
Attendu que l’obligation de
rapporter une transaction écrite, ne
peut s’opposer qu’à celui qui, assigné en continuation d’une instance,
prétendrait avoir transigé.
Attendu que tel n’est pas notre
cas, mais qu’il est de fait constant, qu’une plainte a été portée au conseil
des prises en spoliation d’une cargaison, que cette plainte a été renvoyée officiellement à son excellence le Grand
Juge, et que pour arrêter les suites de cette plainte, les Srs Goddefroy et
Morainville ont payé 73 510 liv. en lettres de change, au nom et ordre du
Sr Blaisel.
Attendu que ce payement est une
restitution (partielle) de la chose spoliée.
Attendu que rien n’obligeait à ce
que cette restitution fût précédée d’une transaction écrite ; c’est-à-dire d’un acte par lequel la société
Goddefroy se serait reconnu coupable d’un délit,
et qu’il est même autant absurde que ridicule d’en supposer la nécessité.
Attendu que s’il n’y a eu
transaction écrite, toujours est-il,
comme le Sr Blaisel, peuvent lui donner le nom de transaction, qu’il y a eu préalablement à la création des lettres
de change, et aux nantissements successivement donnés pour en assurer le
payement, quelques explications, car pour faire de pareils actes, il faut
nécessairement avoir un motif, se
parler et en convenir.
Attendu que la plus grande preuve
que l’on a transigé, c’est le payement en lettres de change, et ensuite le
désistement de la plainte.
Attendu que tout payement suppose
une dette (Code Napoléon, art. 1135)
« On
ne peut admettre l’existence du une transaction, car on ne transige que sur un
droit quelconque, et à une transaction qui résulterait de la capture,
prétenduement frauduleuse, du navire la Jeune Gertrude et de sa cargaison,
alors que par le jugement du 29 pluviôse an 6, passé en force de chose jugée, cette capture a été
déclarée valablement faite, alors que le Conseil des prises, a lui-même par son
arrêt du 23 germinal, rejetté la tierce-opposition des Srs Dehann et Cortissoz
à ce même jugement »
Attendu qu’à la vérité, longtems
avant la plainte portée au conseil des prises, en réclamation de la cargaison du
navire la Jeune Gertrude, un jugement, rendu avec le capitaine de ce navire,
assigné comme représentant né des chargeurs, les Sieurs Dehann et Cortissoz,
lors duquel jugement de ce capitaine, l’homme
de la société Goddefroy, et l’un des fauteurs de la piraterie, a eu la
coupable précaution de ne rien dire en faveur des chargeurs, et n’a pas oublié
de déclarer ce qui devait, d’après l’ordonnance de la marine, donner lieu à la
confiscation de leur cargaison, c’est-à-dire, le jet de papier à la mer, comme aussi de ne faire contre le jugement,
qui a prononcé cette confiscation ni protestation ni appel, et qu’il l’a laissé
exécuter purement et simplement.
Qu’il est encore vrai que par son
arrêté du 23 germinal an 10, le conseil des prises a rejetté la tierce-opposition
des Srs Dehann et Cortissoz.
Mais ce que l’on ne dit pas,
c’est que le Tribunal de commerce (établi en l’an 6), ne jugeant que sur les seules pièces restées à bord, le capitaine de la Jeune Gertrude
ayant eu la perfidie de jeter le surplus à la mer ; ce Tribunal enfin,
devant qui ce coupable mandataire b’a rien dit en faveur de ses mandans, se vit
obligé, de conformité à la rigueur des réglemens ALORS, de prononcer la
confiscation de la cargaison, comme propriété ennemie.
Ce que l’on ne dit pas, c’est que
les Srs Dehann et Cortissoz, domiciliés à Amsterdam, ignoraient alors, non
seulement la confiscation et vente de leur cargaison, mais encore son arrivée
au port de Calais.
Qu’il est encore vrai que le
conseil des prises, par son arrêté du 23 germinal an 10, sur la requête de
plainte, rejetta la tierce-opposition des Srs Dehann et Cortissoz, audit
jugement du 29 pluviôse an 6 ; mais que l’on examine ce mémoire de
réclamations ou plainte, on y remarquera quelques réflexions sur ce qu’il
aurait été juste d’admettre leur tierce-opposition, puisque celui-ci devait les
représenter pour la défense de la cargaison, était un des coupables de la
spoliation de cette même cargaison, et enfin, on verra que les Srs Dehann et
Cortissoz, par le Sieur Blaisel, alors chargé de leurs pouvoir, observent au surplus que sans doute, en ne
regardant cette prétendue capture que comme une prise faite par droit de guerre, il ne pouvait que,
d’après les reglemens sur la tierce-opposition, celle des Srs Dehann et
Cortissoz ne fût pas admise ; mais que si, comme il n’y avait lieu d’en
douter, d’après les faits et circonstances qui sont rapportés, cette capture
n’était en elle-même qu’une véritable
piraterie, concertée par la société Goddefroy et exécutée par les
capitaines du navire la Jeune Gertrude et du corsaire l’Amour, bâtimens
appartenans l’un et l’autre à cette même société ; cette affaire devait
être renvoyée au Tribunal de Police correctionnelle de l’arrondissement de
Boulogne, comme Juge du délit.
Attendu que c’est sous ce point
de vue que le conseil des prises a examiné cette affaire ; tellement que
par sondit arrêté du 23 germinal an 10, et sur les conclusions du commissaire
du gouvernement, il a décidé que le mémoire des Srs Dehann et Cortissoz serait
adressé à Son Excellence le Ministre de la Justice pour, vu la gravité des faits énoncés, ordonner ce qu’il trouverait
convenable.
Attendu que c’est l’existence de
cette plainte, et cette décision du conseil des prises, qui a déterminé
Godddefroy et Morainville à arranger cette affaire, pour, disait Morainville,
par l’entremise de son ami et conseil, M. Pérignon, en empêcher la publicité.
Attendu qu’alors, qu’à titre
d’arrangement, le St Goddefroy tira à l’ordre du Sr Blaisel, 73 510 liv.
en lettres de change, à huit, dix et douze mois de date, sur son associé
Morainville, à la condition par le Sr Blaisel, de déposer chez coquiller,
notaire à Dunkerque, la procuration spéciale qu’il avait de ses commantans,
pour rendre plainte, s’en désister et recevoir ; ce qu’il a fait le même jour des lettres de change, 3 thermidor an 10,
comme aussi à celle de se rendre à Paris pour y donner désistement de la
plainte, ce qu’il a aussi fait dans le
même mois, l’un et l’autre savaient, et notamment le tireur Goddefroy, que
le Tribunal de commerce de Dunkerque avait prononcé la confiscation de la
cargaison de la Jeune Gertrude et renvoyé au gouvernement pour statuer à
l’égard du navire, comme étant français.
Attendu que c’est parce qu’il y
avait plainte et renvoi officiel à
Son Excellence le grand Juge, que l’on s’est déterminé à payer, pour éviter
qu’il soit donné suite à la plainte ; à laquelle plainte on n’aurait pas
pu opposer la chose jugée, soit en raison de la nature du jugement, soit parce
que le Sr Dehann se plaignait, non d’une prise indûment faite, au mépris
seulement du règlement du 24 juillet 1778, sur la cargaison des neutres, mais
subsidiairement d’une capture faite hors
le droit de la guerre, en un mot, d’une piraterie.
Attendu qu’il y avait, de la part
des inculpés, motifs pour prendre des arrangemens afin d’éviter qu’il soit
donné suite à cette plainte.
Attendu enfin qu’encore qu’ils
n’eussent été que menacés, c’en était assez pour donner lieu à l’arrangement.
Attendu qu’ayant payé, ils ne
sont pas substituables. Tout paiement
suppose une dette (Code Napoléon, art. 1135) .
« S’il
y a chose jugée en dernier ressort, et si les Srs Dehann et Cortissoz n’avaient
plus d’action, il ne pouvait y avoir lieu à transaction ; et en la
supposant existante elle serait nulle de plein droit, et ce qui aurait été
payé, susceptible de restitutiton (23e considérant) ».
Attendu ainsi qu’il est ci-dessus
établi, que la prétendue chose jugée n’a pas ôté aux Srs Dehann et Cortissoz,
le droit de se plaindre pour fait de piraterie,
contre Goddefroy et autres, et même à la charge de celui qui, par perfidie
s’est prêté à ce prétendu jugement de confiscation ?
« Quant
à l’action publique, la transaction ne pouvait malgré la rétractation[3]
des Srs Dehann et Cortissoz, consignée au second arrêté du conseil des prises,
en empêcher l’exercice, puisque cette action peut s’exercer nonobstant
transaction ».
Attendu que c’est sans doute pour
que l’on s’égare dans la discussion, que l’on pose ici l’idée d’une action
publique, ce qui est supposer que cette piraterie
aurait été dénoncée à Son Excellence le grand Juge, pour la vindicte publique, car ce n’est pas
ainsi qu’il a été requis, ni prononcé au Conseil des prises ; seulement,
les Srs Dehann et Cortissoz, plaignans, ont dit au Conseil des prises, si d’après les faits vous regardez, comme on
ne peut en douter, cette capture, non comme une prise faite par droit de
guerre, mais comme une PIRATERIE ; renvoyez les parties devant le Juge de
police correctionnelle du lieu du délit. Et comme il n’appartenait pas au
Conseil des prises, qui n’est pas essentiellement une autorité judicaire,
d’ordonner ce renvoi, il a purement et simplement arrêté que le mémoire des Srs
Dehann et Cortissoz serait adressé à Son Excellence le grand Juge, pour, vu la gravité des faits, ordonner ce
qu’il trouverait convenable.
« En
supposant que la correspondance du Sr Morainville avec le Sr Blaisel, et avec
les Srs Dehann et Cortissoz, serait une reconnaissance que les lettres de
change dont s’agit, ont pour cause la prétendue spoliation de la Jeune
Gertrude, que cette reconnaissance étant personnelle au Sr Morainville, ne
pourrait être opposée au Sr Goddefroy (25e considérant) ».
Attendu qu’indépendamment que le
Sr Morainville est l’accepteur des lettres de change, il est aussi l’associé du
Sr Goddefroy, pour les armemens dont il s ‘agit.
Attendu que, soit le nantissement
de l’Homme du Nord et son chargement, soit la vaine promesse faite par
Goddefroy, à l’agard de 100 lingots de cuivre, ces propriétés étaient celles de
Goddefroy.
Attendu que le Sr Morainville
remarquant son co-associé Goddefroy, dans une espèce d’abandon du soin des
affaires de la société, s’est lui-même occupé de sa liquidation, tellement
qu’en demandant du temps pour elle, il annonça aux Srs Dehann et Cortissoz, et
au Sr Blaisel, les ressources de sadite société, et l’espoir qu’elle avait de
payer si on lui donne le tems de recouvrer.
Attendu que ce moyen n’est au
surplus qu’un pitoyable échappatoire qui, lorsque l’on fait attention à tous
les faits et circonstances de cette affaire, ne mérite aucun égard.
« les
lettres portantes propositions d’arrangemens, et d’où on veut induire la preuve
que les lettres de change ont pour excuse la prétendue spoliation (ou, dit-on
la transaction) ne doivent plus être prises en considération, puisque ces
lettres écrites par des tiers, n’ayant pas été avouées par les parties, peuvent
être contre-dites (26e considérant) »
Attendu qu’un semblable motif a
quelque chose qui répugne à la raison comme à l’aquité ; car de ce que le
Sr Meunynck, héritier de Goddefroy et son épouse, n’ont pas dit, parce qu’il a
été inutile de les en interpeller, qu’il était vrai que Pierre Goddefroy leur
Père, et le Sr Morainville avaient chargé MM Perignion, Calmelet et Montgey de
faire des propositions d’arrangemens, il est déraisonnable, pour ne pas dire
plus, de rejetter ces importantes lettres, sous le prétexte qu’elles peuvent
être contredites. Au moins (ce qui encore aurait été insignifiant,) devait-on
attendre qu’elles lussent été avec une apparence de justice.
« Encore
que l’évidence des faits et des principes ne dénierait pas l’existence d’une
transaction sur un délit, on ne pourrait encore présumer cette transaction,
puisqu’en la prescrivant, il faudrait supposer un délit et Goddefroy l’auteur, il faudrait anéantir des titres reconnus par le
jugement de confiscation de la prise la Jeune Gertrude ; il faudrait
méconnaître sans respect, l’arrêté du Directoire Exécutif du 29 pluviôse an 6,
sur les faits qui lui ont été transmis par les officiers des douanes ; a
ordonné la levée de la saisie et la remise du navire en la possession des
capteurs.
Il
faudrait enfin imputer ce prétendu délit à d’autres individus qui ne sont point
partie au procès (28e et dernier considérant)[4] »
Attendu que ces véritables faits
et circonstances qui ont précédé les lettres de change, et des lettres de
change elles-mêmes, suivies du désistement de la plainte, résulte la preuve que
pour arrêter cette plainte, on est convenu de payer, conséquemment transaction.
Attendu qu’un délit existe, et
qu’il est prouvé, et qu’encore que le preuve en eut été difficile à faire,
disons même impossible, ce ne serait pas encore un motif pour annuller les
lettres de change, il suffit qu’il y ait eu plainte, et une plainte dénoncée au
Ministre de la Justice, pour que les arrangemens pris pour en arrêter les
suites, c’est-à-dire les lettres, soient réputées valables.
Attendu qu’il résulte de la plainte
même et de la procuration déposée le 3 thermidor an 10, date des lettres de
change chez le notaire Coquiller à Dunkerque, que Goddefroy, Bricx, Denecker, dit Pieter
Holm, Deheer, et autres, étaient les inculpés.
Attendu qu’il est naturel de
croire que la société Goddefroy (par Goddefroy et Morainville), a dû se charger
de cet arrangement, puisque c’était cette société qui avait organisé ce
brigandage.
Attendu par l’arrêté du 29
pluviôse, dont on parle, et lors duquel, ni les Srs Dehann et Cortissoz, ni le
Sr Blaisel, n’ont pas été entendus, est étranger à la plainte, comme à la
piraterie qui en fait l’origine, puisqu’il ne s’y agissait que d’une saisie
pratiquée par la douane, laquelle ne pouvait concevoir, dit son procès-verbal,
qu’un navire de Goddefroy fut pris par un corsaire de Goddefroy, avait
considéré cette prétendue prise comme une manœuvre coupable, à l’effet
d’introduire en fraude des marchandises venant d’un pays ennemi.
Et indépendamment de ces causes
et moyens d’appel et autres à déduire plus amplement en tems et lieux.
Attendu que le Sr Blaisel est
porteur de titres souscrits par des majeurs.
Attendu que c’est un principe
incontestable, que par cela seul qu’il y a titre, il y a présomption de cause suffisante.
Attendu que c’est à l’obligé à faire
cesser cette présomption, en prouvant
que son engagement est dans l’un des cas qui, d’après la loi, donnent lieu à la
nullité des engagemens, tels que l’erreur,
dol, violence, surprise ou défaut de
cause.
Attendu que jusqu’à ce qu’il soit
fait preuve de l’un ou de l’autre de ces cas, l’engagement demeure en son
entier.
Attendu qu’à la vérité le Sr
Meunynck et son épouse, et le Sr Morainville, ont mis en fait « que les
lettres de change dont il s’agit avaient été créées pour aider feu Goddefroy à
frustrer ses créanciers les plus acharnés, d’une riche cargaison attendue de
Caïenne, et que maintenant les motifs de cette simulation ne subsistaient plus,
le Sr Blaisel, par un abus de confiance impardonnable, voulait se les
approprier mais n’en ont pas administré la preuve, ni même offert de
l’administrer »
Attendu que le Sr Blaisel, quoique n’y étant tenu, a,
surabondamment, fait connaître la cause de ces lettres de change, et expliqué
comment et pourquoi elles étaient en ses mains, en son nom et à son ordre, et à
qui l’importance en appartenait.
Attendu enfin, tout ce qui a été
être dit en première instance, et pourra l’être en cause d’appel, et sous
toutes réserves, d’autres et plus amples conclusions ; en ce qui touche le
Sr Meunynck et Delle Goddefroy son épouse, dire qu’il a été mal
jugé, bien appelé du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Dunkerque,
le 9 avril dernier (1808), entre de deuxième part, les Srs Dehann et Cortissoz,
de troisième part, et ledit Sr Morainville, de quatrième et dernière
part ; émandant, sans s’arrêter ni avoir égard à l’opposition formée de la
part dudit Sr et Dame Meunynck, par exploit du 13 janvier 1807. Audit jugement
rendu le 10 brumaire an 12, qui condamne feu Pierre Goddefroy leur père, par
défaut, et le Sr Roussilhe de Morainville, contradictoirement au paiement de la
somme de 73 510, avec intérêts et depens, en laquelle opposition ils
seront déclarés non recevables en tous les cas mal fondés, ordonner que ledit
jugement du 10 brumaire, passé en force de chose jugée, à l’égard dudit Sr
Morainville, et qui a été exécuté chez la veuve de Pierre Goddefroy, sans
réserves ni protestations de sa part, sera exécuté pour la somme qui reste à
payer desdites 73 510 l. (vu la déduction faite suivant décompte signifié
à parties du produit de l’Homme du Nord donné en nantissement), envers ledit Sr
Meunynck et son épouse, comme et ainsi qu’il eut pu l’être contre le Sr
Goddefroy, et qu’il l’a été contre sa veuve, et peut l’être encore, jusqu’à
parfait payement ?
Et à l’égard dudit Sr Roussilhe
de Morainville, dire que, nonobstant le surcis par lui surpris des premiers
Juges, au mépris de la chose jugée,
les poursuites encommencées, à sa charge, en vertu dudit jugement du 10
brumaire an 12, seront continuées.
Condamner ledit Sr Meunynck et
son épouse et même ledit Sr Morainville, aux dépens tant des causes principales
que d’appel ; lesquels dépens le Sr Blaisel, pourra en tous les cas
employer en frais et mise d’exécution du jugement du 10 brumaire an 12, et
arrêt à intervenir ; le tout sous réserves expresses de la part du Sr
Blaisel, de se pourvoir en tems et lieux, en réparations d’injures et dommages
d’intérêts, relativement aux imputations calomnieuses que l’on s’est permis à
son égard dont desquelles réserves il demande acte ;
BLAISEL
De l’Imprimerie de la veuve WAGREZ, sur la grand’place à
Douai .
[1]
Par sa consultation imprimée, le Sr Roussilhe a osé se permettre de faire
entendre que cette coupable déviation avait
eu lieu parce que, sans doute, la Jeune Gertrude devait remettre à Calais les
dépêches du gouvernement. Pitoyable subterfuge, qui n’a d’autre mérite en la
cause, de prouver l’embarras de la mauvaise foi.
[2]
M. Roussilhe neveu permettra qu’on lui observe qu’il a trompé les avocats qu’il
a consulté à paris, en leur faisant dire, page 13 de leur consultation, que la
douane avait saisi ce navire, pour cause
de baraterie de patron.
On sait pourquoi ce
mensonge ; c’est qu’il veut faire passer la main-levée de cette saisie,
que son associé Dartigaux, conjointement avec lui, ont obtenu du ci-devant
Directoire, comme étant une approbation de la coupable spoliation qu’ils ont
fait commettre par leur capitaine, mais la Cour saura apprécier cette petite
ruse.
[3] Ne vous
servez pas du mot rétractation, dites
désistement donné après que vous aiez
restitué
[4] Note du
transcripteur, le texte omet un 27e considérant.
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