mercredi 5 juin 2019

Sur l’album des souvenirs de St-Pol-sur-Mer : les pompiers


In LA VOIX DU NORD, édition de Dunkerque, dimanche 2 et lundi 3 avril 1989
 
les pompiers saint-polois de retour à saint-Pol-sur-mer (rue Rambout, 1945, coll. personnelle)

« …
M. Oddone a recueilli les souvenirs de M. Vanhoutte sur cette époque (nota : seconde guerre mondiale) et il nous a confié le texte que l’on lira ci-dessous avec intérêt :
 
« Sous l’Occupation, le hurlement des sirènes déclenche un réflexe troglodytique : la population se précipite dans ces caves plus ou moins bien étayées ou dans des abris aménagés qui sont loin d’assurer une sécurité totale lorsqu’ils sont touchés de plein fouet. Comme dans les autres communes de l’agglomération dunkerquoise durement éprouvées par les journées de mai-juin 1940, puis par les bombardements alliés ultérieurs, les alertes fausses ou vraies, même si elles ne sont pas quotidiennes, rythment la vie des Saint-Polois. Malheureusement, l’Histoire n’a trop souvent retenu que les hauts faits, laissant au bord du chemin le rôle pourtant essentiel par ceux qui ont œuvré dans la Défense Passive, notamment les pompiers et les équipes de la Croix Rouge.
 
Les souvenirs de Roger Vanhoutte donnent un éclairage intéressant et particulier sur ces hommes auxquels incombait une part de la gestion de malheur. A 19 ans, ce jeune Saint-Polois connaît sa première expérience professionnelle par une convocation péremptoire qui lui est adressée au titre du S.T.O. et lui intime l’ordre de rejoindre les chantiers Ziegler où il est affecté à des travaux de réparation sur les bâtiments de guerre allemands. Une blessure accidentelle survient à propos pour l’extraire du régime de travail forcé et c’est à ce moment que Charles Garein, responsable du corps des sapeurs-pompiers de Saint-Pol-sur-Mer lui demande de remplacer l’un de ses hommes parti rejoindre sa famille dans l’Aube.
 
En souscrivant le 1er avril 1944 cet engagement pour la durée de la guerre, Roger Vanhoutte sait qu’il devra affronter la dure réalité des hostilités et le difficile apprentissage du temps des épreuves. Le corps des sapeurs-pompiers de Saint-Pol-sur-Mer compte alors trente membres qui se répartissent par moitié en équipe de jour et de nuit. Dès le crépuscule, six guetteurs prennent place sur le clocher de l’église Saint-Benoît, surveillant les habitations de la ville et prévenant immédiatement par téléphone le poste d’incendie de la place Carnot dès que l’aviation alliée apparaît à l’horizon.
 
En avril et mai 1944, Saint-Pol-sur-Mer essuie de violents bombardements destinés en fait aux installations portuaires et à la base sous-marine allemande. Après le passage des forteresses volantes qui déversent des centaines de bombes atteignant notamment les cités des Cheminots, Saint-Gobain et la plaine Bayard, il faut procéder au sauvetage des personnes ensevelies et à l’enlèvement des victimes. Parmi ces évènements tragiques, la chute d’un avion américain dans la nuit du 6 au 7 juin 1944, détruisant deux habitations de la rue Raspail, est restée gravée dans la mémoire collective.

Les piquets Rommel
 
A ces tâches difficiles et moralement éprouvantes accomplies par les sapeurs-pompiers vient s’ajouter la pression exercée par l’occupant en matière de main-d’œuvre. Le 22 avril 1944, le directeur urbain de la Défense Passive de la ville se Saint-Pol-sur-Mer, M. Maurice Van Waefelghem reçoit l’ordre du sous-préfet de Dunkerque de mettre 15 sapeurs à la disposition de la Standorstkommandatur installée rue Gittinger. Il est précisé que ces hommes doivent être « munis d’outils et à manger pour la journée ». L’armée allemande craint en effet un débarquement allié sur les côtes de la Manche et de la Mer du Nord et réquisitionne à outrance pour la construction d’ouvrages défensifs. Le chef du corps des sapeurs-pompiers n’ayant pas répondu à cette injonction, Charles Delacre est arrêté par la Feldgendarmerie et menacé d’être remplacé dans ses fonctions par un officier de l’armée allemande.
Finalement, contraints et forcés, les hommes de la Défense Passive vont rejoindre les rangs de tous ces requis dont beaucoup étaient raflés dans les rues. Le premier magistrat est libéré et les pompiers saint-polois sont principalement affectés à la pose des piquets Rommel sur le secteur côtier. Les arbres du parc du château Vancauwenberghe sont abattus, tronçonnés puis transportés sur la plage par des camions militaires. L’eau sous pression d’une lance à incendie actionnée par une motopompe creuse alors dans le sable les excavations destinées à recevoir les pieux dont l’implantation est parachevée par un minage systématique.
 
Avec l’avance des Alliés, l’ardeur au travail déjà d’un niveau faible, ne cesse de décroître. Les sapeurs-pompiers saint-polois, passés maîtres dans l’art de perdre leurs outils et de procéder à divers sabotages sur le matériel, sont facilement repérés par la Feldgendarmerie. Prévenus de leur arrestation imminente par le lieutenant Charles Garein, les six « coupables » parmi lesquels Roger Vanhoutte, vont trouver refuge dans le clocher de l’église Notre-Dame de Lourdes. Après avoir endossé des vêtements civils, ils parviendront à se fondre dans la masse des habitants de la poche qui, à la fin de septembre 1944, empruntent le champ de betteraves de la ferme Wemaere à Armbouts-Cappel pour rejoindre une terre libérée. Quant aux autres membres du corps des sapeurs-pompiers de Saint-Pol-sur-Mer, ils partiront les derniers, dans les premiers jours d’octobre 1944, après la trêve officielle et l’évacuation de la population. »

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