Plus on avance dans le XIe siècle, plus les chevaliers font l'objet de
récits de leurs violences et de les exactions comme de leurs réactions de
vengeance personnelle. Les luttes internes dans la classe chevaleresque se font
de plus en plus fortes et seule l'Eglise est susceptible, à cette époque, de
mettre un terme à ces conflits, quitte à user de moyens surnaturels comme en
Flandre, lorsque les moines de Lobbes, en Brabant, font circuler de bourg en
bourg, de château en château, mes reliques de saint-Ursmar pour rétablir la
paix avec le soutien du comte.
de Miracula S. Ursimari in tinere
per Flandriam facta, dans MGH tome XV/2 chap 5 6 et 12
" S'il est bon de vanter les
œuvres de Dieu, il est mauvais de passer sous silence les mérites des saints
qui sont les œuvres du Christ. C'est en eux qu'il est juge digne de glorifier
ses volontés. Aussi, bien que le risque d'être injuste nous en dissuade, la
chose l'exige et l'obéissance nous exhorte à instruire la postérité par l'écrit
sur la manière dont saint Ursmar, avec l'aide de Dieu, voulut circuler en
Flandre [...]
Nous prîmes la route et
marchâmes, nous arrivâmes à une ville appelée Nieuwekerke, près de Strazeele. Là, certains chevaliers se haïssaient les uns
les autres à un tel point qu'aucun mortel ne pouvait établir la paix entre eux.
En effet, une telle discorde s'était élevée entre eux durant les années passées
qu'à l'instigation du diable les pères perdaient leurs fils, les fils leurs
pères, les frères leurs frères. Alors que les populations confluaient de
partout vers le saint, il arriva que tous ces chevaliers également, venus de
leurs contrées respectives, se rassemblèrent. Tous ceux qui étaient à l'écart
de cette discorde nous firent connaître la chose et nous commençâmes à
rencontrer chacun à leur tour ceux qui s'étaient séparés les uns des autres
pour qu'ils abandonnent à dieu et au saint cette querelle afin que le nombre
des morts ne croisse pas davantage. Certains acquiescèrent, malgré eux, par
crainte de Dieu et par amour du saint ; mais une minorité commença à s'y
opposer. Comme nous ne pouvions d'aucune façon les amener à s'accorder : "
Eh bien, dit le doyen Baudouin, faisons circuler le saint, pour que ceux qui
sont d'accord obéissent à notre conseil, mais que ceux qui ne le sont pas
suivent leur chef le diable, en quittant notre assemblée." Nous avons
élevé le sainte de terre, circulé avec précaution et en psalmodiant afin que
tous soient inclus dans le cercle de la procession, aussitôt sortirent du
cercle seulement les opposants à la paix, ignorant tout à fait ce que nos
compatriotes avaient débattus entre eux. Car on pensa, tant grande était la foi
dans le saint que nous suivions, que ceux qui ne pouvaient être inclus dans la
procession, ne feraient pas ensuite prévaloir en eux le pouvoir de la haine.
Sans retard voici que la ruse du diable se déclara ouvertement. En effet, un
chien très noir traversa entre nous et eux, et les conduisit à s'éloigner de
nous pour le suivre. Puis, ceux qu'il ne lâcha pas de son emprise, il les fit
prendre part à un combat à peine trois mois après; aucun de tous ces
contradicteurs n'en réchappa.
Nous avions quitté ceux que l'on
ne pouvait convaincre en prêchant la paix. Et sur tout notre itinéraire nous
faisions entrer la paix dans les cœurs de beaucoup, grâce à l'intervention du
saint. Quelques jours après, nous choisîmes de nous arrêter au village fortifié
(castrum) de Blaringhem. Nous n'aurions pu savoir qui du hasard ou de la
providence divine nous y avait conduits, si le jour suivant ne nous l'avait
appris. Il y avait à la tête de cet endroit un jeune du nom d'Hugues, que l'on
pouvait vanter tant par la noblesse de ses mœurs que par celle de sa famille;
il allait s'acquitter le jour même d'un règlement de justice qui n'aurait pu
être apaisé sans verser beaucoup de sang si, si par la clémence de Dieu, saint
Ursmar ne l'avait prévenu. Hugues avait en effet dans sa suite deux chevaliers
qui s'étaient un jour injuriés très durement, comme le font les jeunes. La
querelle n'échappa à leur seigneur, il fit venir les chevaliers, réclama un
jugement à leur sujet, fit conclure une paix entre eux et leurs fit échanger un
baiser.
Mais l'un d'eux, qui avait
davantage été blessé en paroles, n'accepta pas en son cœur le baiser de la paix
conclue; il le dissimula un temps certes, mais pas longtemps cependant, jusqu'à
ce que l'occasion lui soit fournie. Car il était de petite famille mais de
grande réputation de chevalier [...]
Il attendit deux jours que son
seigneur Hugues s'absente; il chercha l'autre, qui ne se méfiait pas, pour
parachever la paix et le trouva assis en sûreté dans une pièce basse. Il
transperça sa poitrine d'un coup de lance pour réparer le tort causé, donnant la
mort pour un seul mot. Cris et tumultes s'ensuivirent. Il entra aussitôt dans
l'église, ne pouvant seul résister à un grand nombre? Les chevaliers voulaient
le tuer dans l'église, mais un chevalier, qui était son seigneur après Hugues,
donna des gages et le fit sortir, promettant de le rendre, dans cette même
église, en armes, le 15e jour, en présence d'Hugues. C'est cette nuit-là que le
saint confesseur arriva dans l'église, c'est-à-dire la nuit de l'Ascension du
Seigneur. Lorsque ce fit ce matin, une très grande foule de chevaliers en
armes, venus de toutes parts, se rassemblèrent. Ils étaient là pour s'emparer
de l'homme par la force, si ce n'était pas possible par la raison. Hugues et
les siens ne voulaient pas que l'accusé leur fût ravi. Tout l'aître [enclos
sacré entourant l'église et comprenant le cimetière] rougeoyait d'écus, l'acier
des armes étincelait sous le reflet du soleil du matin, le grondement et le
hennissement des chevaux ajoutaient à la confusion. Les hommes d'Hugues se
tenaient là, autour de l'église, les épées dégainées, avides de répandre le
sang d'un pêcheur. Nous sommes entrés enfin dans l'église, passant au milieu
d'eux, et nous avons trouvé le misérable, déjà presque mort, prostré devant
l'autel. Nous avons d'abord célébré la messe pour les fidèles; en face d'un si
grand péril, nous avons imploré la clémence divine, en larmes, par les litanies
et de toutes les façons. Puis, revêtus des aubes et des chapes, nous avons fait
une procession comme pour célébrer la messe principale. Nous sommes allés avec
humilité à la rencontre d'Hugues, lui demandant de ne pas permettre que tant
d'armes de chevaliers s'affrontent pour verser le sang d'un seul pêcheur. Mais
nos prières n'y firent rien car les sanglots et les larmes interrompaient les
mots d'excuse, contre le saint et nous-mêmes. Nous sommes entrés dans l'église,
nous avons de nouveau porté de nouveau le corps saint au milieu d'eux, sans
qu'ils le sachent? Ils furent stupéfaits, tous baissèrent les yeux humblement,
qui avait été porté au milieu d'eux, même s'ils ne le savaient pas, ils le
montrèrent suffisamment par leur contenance. Les larmes coulaient de tous les
yeux. La piété et la colère se livraient combat dans le cœur des ennemis.
Finalement, la piété triompha chez Hugues et il permit à ce malheureux de s'en
aller, lui accordant la vie, ses membres et même sa grâce. A cette occasion, on
apaisa ce jour-là presque cent raisons de se haïr entre les chevaliers
rassemblés là [...]. "
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