lundi 17 juin 2019

Les miracles de Saint-Ursmar ou le retour de la paix en Flandre par des reliques


Plus on avance dans le XIe siècle, plus les chevaliers font l'objet de récits de leurs violences et de les exactions comme de leurs réactions de vengeance personnelle. Les luttes internes dans la classe chevaleresque se font de plus en plus fortes et seule l'Eglise est susceptible, à cette époque, de mettre un terme à ces conflits, quitte à user de moyens surnaturels comme en Flandre, lorsque les moines de Lobbes, en Brabant, font circuler de bourg en bourg, de château en château, mes reliques de saint-Ursmar pour rétablir la paix avec le soutien du comte.

de Miracula S. Ursimari in tinere per Flandriam facta, dans MGH tome XV/2 chap 5 6 et 12

" S'il est bon de vanter les œuvres de Dieu, il est mauvais de passer sous silence les mérites des saints qui sont les œuvres du Christ. C'est en eux qu'il est juge digne de glorifier ses volontés. Aussi, bien que le risque d'être injuste nous en dissuade, la chose l'exige et l'obéissance nous exhorte à instruire la postérité par l'écrit sur la manière dont saint Ursmar, avec l'aide de Dieu, voulut circuler en Flandre [...]
 
Nous prîmes la route et marchâmes, nous arrivâmes à une ville appelée Nieuwekerke, près de Strazeele.  Là, certains chevaliers se haïssaient les uns les autres à un tel point qu'aucun mortel ne pouvait établir la paix entre eux. En effet, une telle discorde s'était élevée entre eux durant les années passées qu'à l'instigation du diable les pères perdaient leurs fils, les fils leurs pères, les frères leurs frères. Alors que les populations confluaient de partout vers le saint, il arriva que tous ces chevaliers également, venus de leurs contrées respectives, se rassemblèrent. Tous ceux qui étaient à l'écart de cette discorde nous firent connaître la chose et nous commençâmes à rencontrer chacun à leur tour ceux qui s'étaient séparés les uns des autres pour qu'ils abandonnent à dieu et au saint cette querelle afin que le nombre des morts ne croisse pas davantage. Certains acquiescèrent, malgré eux, par crainte de Dieu et par amour du saint ; mais une minorité commença à s'y opposer. Comme nous ne pouvions d'aucune façon les amener à s'accorder : " Eh bien, dit le doyen Baudouin, faisons circuler le saint, pour que ceux qui sont d'accord obéissent à notre conseil, mais que ceux qui ne le sont pas suivent leur chef le diable, en quittant notre assemblée." Nous avons élevé le sainte de terre, circulé avec précaution et en psalmodiant afin que tous soient inclus dans le cercle de la procession, aussitôt sortirent du cercle seulement les opposants à la paix, ignorant tout à fait ce que nos compatriotes avaient débattus entre eux. Car on pensa, tant grande était la foi dans le saint que nous suivions, que ceux qui ne pouvaient être inclus dans la procession, ne feraient pas ensuite prévaloir en eux le pouvoir de la haine. Sans retard voici que la ruse du diable se déclara ouvertement. En effet, un chien très noir traversa entre nous et eux, et les conduisit à s'éloigner de nous pour le suivre. Puis, ceux qu'il ne lâcha pas de son emprise, il les fit prendre part à un combat à peine trois mois après; aucun de tous ces contradicteurs n'en réchappa.
 
Nous avions quitté ceux que l'on ne pouvait convaincre en prêchant la paix. Et sur tout notre itinéraire nous faisions entrer la paix dans les cœurs de beaucoup, grâce à l'intervention du saint. Quelques jours après, nous choisîmes de nous arrêter au village fortifié (castrum) de Blaringhem. Nous n'aurions pu savoir qui du hasard ou de la providence divine nous y avait conduits, si le jour suivant ne nous l'avait appris. Il y avait à la tête de cet endroit un jeune du nom d'Hugues, que l'on pouvait vanter tant par la noblesse de ses mœurs que par celle de sa famille; il allait s'acquitter le jour même d'un règlement de justice qui n'aurait pu être apaisé sans verser beaucoup de sang si, si par la clémence de Dieu, saint Ursmar ne l'avait prévenu. Hugues avait en effet dans sa suite deux chevaliers qui s'étaient un jour injuriés très durement, comme le font les jeunes. La querelle n'échappa à leur seigneur, il fit venir les chevaliers, réclama un jugement à leur sujet, fit conclure une paix entre eux et leurs fit échanger un baiser.
 
Mais l'un d'eux, qui avait davantage été blessé en paroles, n'accepta pas en son cœur le baiser de la paix conclue; il le dissimula un temps certes, mais pas longtemps cependant, jusqu'à ce que l'occasion lui soit fournie. Car il était de petite famille mais de grande réputation de chevalier [...]
 
Il attendit deux jours que son seigneur Hugues s'absente; il chercha l'autre, qui ne se méfiait pas, pour parachever la paix et le trouva assis en sûreté dans une pièce basse. Il transperça sa poitrine d'un coup de lance pour réparer le tort causé, donnant la mort pour un seul mot. Cris et tumultes s'ensuivirent. Il entra aussitôt dans l'église, ne pouvant seul résister à un grand nombre? Les chevaliers voulaient le tuer dans l'église, mais un chevalier, qui était son seigneur après Hugues, donna des gages et le fit sortir, promettant de le rendre, dans cette même église, en armes, le 15e jour, en présence d'Hugues. C'est cette nuit-là que le saint confesseur arriva dans l'église, c'est-à-dire la nuit de l'Ascension du Seigneur. Lorsque ce fit ce matin, une très grande foule de chevaliers en armes, venus de toutes parts, se rassemblèrent. Ils étaient là pour s'emparer de l'homme par la force, si ce n'était pas possible par la raison. Hugues et les siens ne voulaient pas que l'accusé leur fût ravi. Tout l'aître [enclos sacré entourant l'église et comprenant le cimetière] rougeoyait d'écus, l'acier des armes étincelait sous le reflet du soleil du matin, le grondement et le hennissement des chevaux ajoutaient à la confusion. Les hommes d'Hugues se tenaient là, autour de l'église, les épées dégainées, avides de répandre le sang d'un pêcheur. Nous sommes entrés enfin dans l'église, passant au milieu d'eux, et nous avons trouvé le misérable, déjà presque mort, prostré devant l'autel. Nous avons d'abord célébré la messe pour les fidèles; en face d'un si grand péril, nous avons imploré la clémence divine, en larmes, par les litanies et de toutes les façons. Puis, revêtus des aubes et des chapes, nous avons fait une procession comme pour célébrer la messe principale. Nous sommes allés avec humilité à la rencontre d'Hugues, lui demandant de ne pas permettre que tant d'armes de chevaliers s'affrontent pour verser le sang d'un seul pêcheur. Mais nos prières n'y firent rien car les sanglots et les larmes interrompaient les mots d'excuse, contre le saint et nous-mêmes. Nous sommes entrés dans l'église, nous avons de nouveau porté de nouveau le corps saint au milieu d'eux, sans qu'ils le sachent? Ils furent stupéfaits, tous baissèrent les yeux humblement, qui avait été porté au milieu d'eux, même s'ils ne le savaient pas, ils le montrèrent suffisamment par leur contenance. Les larmes coulaient de tous les yeux. La piété et la colère se livraient combat dans le cœur des ennemis. Finalement, la piété triompha chez Hugues et il permit à ce malheureux de s'en aller, lui accordant la vie, ses membres et même sa grâce. A cette occasion, on apaisa ce jour-là presque cent raisons de se haïr entre les chevaliers rassemblés là [...]. "

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