lundi 17 juin 2019

Des conflits seigneuriaux à Bourbourg, Audruicq, Ardres et Guînes vers 1140, d'après Lambert d'Ardres


Bourbourg était le siège d'une châtellenie du comté de Flandre: ses origines remonteraient à un château construit contre les Normands à la fin du XIe siècle. Depuis les environs de 1115, le châtelain était Henri, qui avait épousé en premières noces Sibille, fille de Manassès, comte de Guînes: en 1128, il participa aux luttes qui opposèrent les prétendants au comté de Flandre et il se rallia finalement à Thierry d'Alsace, dont il fut connétable de 1151 à 1155. Bourbourg était également le siège d'une importante abbaye qui, dans la première moitié du XIIe siècle, participa, avec les comtes de Flandre, à la reconquête des territoires qui avaient été envahis par la transgression marine des environs de l'an 1000. Or, dans cette frange occidentale du comté de Flandre, une crise, vers la fin du Xe siècle, avait favorisé la formation de comté vassaux, à peu près indépendants: l'un de ceux-ci fut le comté de Guînes, qui fut démembré du comté de Boulogne et dont les comtes durent faire face eux-mêmes aux intrigues de certains seigneurs tel Almarus, qui tenta de construire un château pour son propre usage (§ 56). A la mort de Manassès, en 1137, le comté de Guînes échut à un des neveux du défunt, Arnoul de Gand, qui dut s'imposer par les armes: vers 1139, Arnoul de Gand, en conflit avec Henri de Bourbourg, attaqua Audruicq, dont il fortifia l'église et dont son adversaire dut évacuer le château; Arnoul occupa tous les châteaux de la terre de Guînes (§ 55). Au nord de Guînes se trouvaient les terrassements d'un ancien château détruit (§ 56) : Henri de Bourbourg, désireux de reprendre l'offensive, fit construire des superstructures en bois et il les fit transporter de nuit sur l'ancien site, où il construisit un nouveau château appelé "la Fleur" (§ 57); Arnoul s'en empara et le rasa (§ 58).


" § 55 - Henri, châtelain de Bourbourg (...) accourt rapidement vers Audruicq avec ses chevaliers et une foule armée d'hommes du peuple (...). Ayant réuni avec lui autant de chevaliers et de fantassins qu'il le pouvait, Arnoul de Gand (Comte de Guînes) se hâte vers Audruicq et il assiège le château (...) Donc Arnoul fortifie la tour de l'église en y plaçant des chevaliers et, avec eux, il s'enferme dans cette tour comme dans un bâtiment militaire. Alors, comme, par des opérations militaires, il avait presque contraint à se rendre ceux qui étaient à l'intérieur de l'enceinte de la forteresse (d'Audruicq) (...), Henri, pris de crainte au cours de la nuit, se retire à Bourbourg et laisse le rempart de la forteresse vide sans hommes, ni troupes. Arnoul s'empare de l'enceinte de la forteresse et franchit avec promptitude le rempart. Il se rend maître, région par région, de toute la terre de Guînes et il place dans toutes les fortifications de cette terre autant de chevaliers et de soldats qu'il parut nécessaire (...). Lorsqu'Arnoul eut complétement soumis et occupé toutes les forteresses de cette terre de Guînes, Henri, comme il n'y avait plus d'endroit où il puisse mettre les pieds en sécurité, réfléchit à la manière dont il pourrait et fortifier et renforcer, à l'aide de quelque équipement militaire, le rempart ou enceinte d'Aumerval: par la mise en état de défense de cette forteresse, il ne doutait pas de pouvoir soumettre à son autorité toute la Brendenarde et toutes les parties de la terre de Guînes.
 
§ 56- Dans la Brendenarde, jadis un homme très riche, appelé Almarus, avait tellement confiance dans ses forces et dans ses alliés qu'il eut l'audace de faire construire, dans la partie septentrionale du village d'Audruicq, une motte (agger) et de fortifier un donjon contre le comte de Guînes. Mais comme Almarus, à cause de sa témérité et de l'audace de sa révolte, avait été chassé de sa terre d'une façon méritée par le comte de Guînes, la construction militaire et les aménagements installés auparavant par Almarus sur la motte furent ensuite détruits par le comte et renversés à terre; mais la motte dépouillée de sa construction et de sa palissade subsista. C'est pourquoi beaucoup de temps après ce lieu fut appelé le rempart ou la motte d'Almarus (Aumerval).
 
§ 57 - Henri, châtelain de Bourbourg, envoya secrètement des arpenteurs et des charpentiers au rempart et à la motte d'Almarus, avec mission de parcourir le site avec leurs règles de géomètres et d'estimer les proportions de la motte: conformément à ces données, ils devaient construire secrètement (...) près de Bourbourg un donjon, des défenses extérieures et d'autres organes de défense, puis dans le silence de la nuit profonde, avec l'aide de chevaliers, d'hommes et de soldats, les installer à Aumerval. Tout fut ainsi préparé, fabriqué, élevé et mis en place. Il nomma le château La Fleur, non parce qu'une lance dressée était plantée au sommet du donjon et que des fleurs des champs avaient été liées au sommet de la lance, ainsi que certains le racontent, mais parce que, dans la fortification de ce château, il installa la fleur et l'élite des chevaliers, des archers et des autres guerriers pour combattre les hommes de Guînes. Arnoul, en se levant le matin et en voyant le donjon et les dispositifs de tir avec les autres organes de défense construits et élevés subitement et de manière inopinée à Aumerval, appela aux armes toute sa terre. Les barons de toute la terre de Guînes qu'il avait appelé et beaucoup d'autres convoqués en grand nombre de plusieurs lieux vinrent [auprès du comte]. Après s'être regroupés en une troupe unique à Audruicq, ils assiégèrent le château appelé La Fleur ...
 
§ 58 - Le châtelain de Bourbourg, apprenant que Baudoin, seigneur du château d'Ardres, avait été mortellement blessé, n'osant demeurer plus longtemps à La Fleur, se retira de nouveau honteusement à Bourbourg avec les siens. Arnoul le poursuivit vivement avec les siens. Lorsqu'il arriva à La Fleur et qu'il apprit que le châtelain et les siens s'en étaient retirés, il détruisit complétement le donjon, les constructions de bois, les dispositifs de tir ainsi que le rempart et les renversa à terre: il les dispersa çà et là et il en fit transporter la plus grande partie à Audruicq. Ainsi, le rempart et la motte d'Almarus, comme jadis, restèrent jusqu'à aujourd'hui privés et dépouillés de leurs tours et de leurs organes respectifs. "

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