Bourbourg était le siège d'une châtellenie du comté de Flandre: ses
origines remonteraient à un château construit contre les Normands à la fin du
XIe siècle. Depuis les environs de 1115, le châtelain était Henri, qui avait
épousé en premières noces Sibille, fille de Manassès, comte de Guînes: en 1128,
il participa aux luttes qui opposèrent les prétendants au comté de Flandre et
il se rallia finalement à Thierry d'Alsace, dont il fut connétable de 1151 à
1155. Bourbourg était également le siège d'une importante abbaye qui, dans la
première moitié du XIIe siècle, participa, avec les comtes de Flandre, à la
reconquête des territoires qui avaient été envahis par la transgression marine
des environs de l'an 1000. Or, dans cette frange occidentale du comté de Flandre,
une crise, vers la fin du Xe siècle, avait favorisé la formation de comté
vassaux, à peu près indépendants: l'un de ceux-ci fut le comté de Guînes, qui
fut démembré du comté de Boulogne et dont les comtes durent faire face eux-mêmes
aux intrigues de certains seigneurs tel Almarus, qui tenta de construire un
château pour son propre usage (§ 56). A la mort de Manassès, en 1137, le comté
de Guînes échut à un des neveux du défunt, Arnoul de Gand, qui dut s'imposer
par les armes: vers 1139, Arnoul de Gand, en conflit avec Henri de Bourbourg,
attaqua Audruicq, dont il fortifia l'église et dont son adversaire dut évacuer
le château; Arnoul occupa tous les châteaux de la terre de Guînes (§ 55). Au
nord de Guînes se trouvaient les terrassements d'un ancien château détruit (§
56) : Henri de Bourbourg, désireux de reprendre l'offensive, fit construire des
superstructures en bois et il les fit transporter de nuit sur l'ancien site, où
il construisit un nouveau château appelé "la Fleur" (§ 57); Arnoul
s'en empara et le rasa (§ 58).
" § 55 - Henri, châtelain de
Bourbourg (...) accourt rapidement vers Audruicq avec ses chevaliers et une
foule armée d'hommes du peuple (...). Ayant réuni avec lui autant de chevaliers
et de fantassins qu'il le pouvait, Arnoul de Gand (Comte de Guînes) se hâte
vers Audruicq et il assiège le château (...) Donc Arnoul fortifie la tour de
l'église en y plaçant des chevaliers et, avec eux, il s'enferme dans cette tour
comme dans un bâtiment militaire. Alors, comme, par des opérations militaires,
il avait presque contraint à se rendre ceux qui étaient à l'intérieur de
l'enceinte de la forteresse (d'Audruicq) (...), Henri, pris de crainte au cours
de la nuit, se retire à Bourbourg et laisse le rempart de la forteresse vide
sans hommes, ni troupes. Arnoul s'empare de l'enceinte de la forteresse et
franchit avec promptitude le rempart. Il se rend maître, région par région, de
toute la terre de Guînes et il place dans toutes les fortifications de cette
terre autant de chevaliers et de soldats qu'il parut nécessaire (...).
Lorsqu'Arnoul eut complétement soumis et occupé toutes les forteresses de cette
terre de Guînes, Henri, comme il n'y avait plus d'endroit où il puisse mettre
les pieds en sécurité, réfléchit à la manière dont il pourrait et fortifier et
renforcer, à l'aide de quelque équipement militaire, le rempart ou enceinte
d'Aumerval: par la mise en état de défense de cette forteresse, il ne doutait
pas de pouvoir soumettre à son autorité toute la Brendenarde et toutes les
parties de la terre de Guînes.
§ 56- Dans la Brendenarde, jadis
un homme très riche, appelé Almarus, avait tellement confiance dans ses forces
et dans ses alliés qu'il eut l'audace de faire construire, dans la partie
septentrionale du village d'Audruicq, une motte (agger) et de fortifier un
donjon contre le comte de Guînes. Mais comme Almarus, à cause de sa témérité et
de l'audace de sa révolte, avait été chassé de sa terre d'une façon méritée par
le comte de Guînes, la construction militaire et les aménagements installés
auparavant par Almarus sur la motte furent ensuite détruits par le comte et
renversés à terre; mais la motte dépouillée de sa construction et de sa
palissade subsista. C'est pourquoi beaucoup de temps après ce lieu fut appelé
le rempart ou la motte d'Almarus (Aumerval).
§ 57 - Henri, châtelain de
Bourbourg, envoya secrètement des arpenteurs et des charpentiers au rempart et
à la motte d'Almarus, avec mission de parcourir le site avec leurs règles de
géomètres et d'estimer les proportions de la motte: conformément à ces données,
ils devaient construire secrètement (...) près de Bourbourg un donjon, des
défenses extérieures et d'autres organes de défense, puis dans le silence de la
nuit profonde, avec l'aide de chevaliers, d'hommes et de soldats, les installer
à Aumerval. Tout fut ainsi préparé, fabriqué, élevé et mis en place. Il nomma
le château La Fleur, non parce qu'une lance dressée était plantée au sommet du
donjon et que des fleurs des champs avaient été liées au sommet de la lance,
ainsi que certains le racontent, mais parce que, dans la fortification de ce
château, il installa la fleur et l'élite des chevaliers, des archers et des
autres guerriers pour combattre les hommes de Guînes. Arnoul, en se levant le
matin et en voyant le donjon et les dispositifs de tir avec les autres organes
de défense construits et élevés subitement et de manière inopinée à Aumerval,
appela aux armes toute sa terre. Les barons de toute la terre de Guînes qu'il
avait appelé et beaucoup d'autres convoqués en grand nombre de plusieurs lieux
vinrent [auprès du comte]. Après s'être regroupés en une troupe unique à
Audruicq, ils assiégèrent le château appelé La Fleur ...
§ 58 - Le châtelain de Bourbourg,
apprenant que Baudoin, seigneur du château d'Ardres, avait été mortellement
blessé, n'osant demeurer plus longtemps à La Fleur, se retira de nouveau
honteusement à Bourbourg avec les siens. Arnoul le poursuivit vivement avec les
siens. Lorsqu'il arriva à La Fleur et qu'il apprit que le châtelain et les
siens s'en étaient retirés, il détruisit complétement le donjon, les
constructions de bois, les dispositifs de tir ainsi que le rempart et les
renversa à terre: il les dispersa çà et là et il en fit transporter la plus
grande partie à Audruicq. Ainsi, le rempart et la motte d'Almarus, comme jadis,
restèrent jusqu'à aujourd'hui privés et dépouillés de leurs tours et de leurs
organes respectifs. "
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