In F. PHARAON – 26-27-28-29-30 août 1867, Voyage impérial
dans le Nord de la France – Lille, imprimerie Danel, 1868
« Le train impérial arriva à Dunkerque à deux heures.
Leurs majestés furent reçues à l’arrivée par les autorités civiles, judiciaires
et militaires, ayant à leur tête M. Delelis, maire de Dunkerque, et M. le
vicomte de Jessaint, sous-préfet.
M. Delelis présenta les clefs de la ville à l’Empereur et lui
adressa le discours suivant :
« Sire
Lorsque vous fûtes porté sur le trône par la volonté
nationale, le front couronné de l’auréole glorieuse du plus grand nom des
temps modernes, le peuple français
conçut l’espérance que votre règne serait marqué du sceau de la grandeur et de
la prospérité.
Ses pressentiments ne l’ont point trompé, nos aigles
victorieuses et les merveilles exposées en ce moment au Champ-de-Mars attestent
à l’univers entier que la France est toujours la grande nation.
La patrie de l’héroïque Jean Bart, devenue par son
importance commerciale, le quatrième port de l’Empire, doit au gouvernement de
Votre Majesté l’agrandissement de son enceinte, le développement de ses bassins
à flot.
Sire, les cris d’enthousiasme et de dévouement qui retentissent
de toutes parts, témoignent des sentiments d’amour et de fidélité de cette
population reconnaissante envers le Souverain qui, pour une seconde fois,
daigne l’honorer de sa visite.
Confiante dans la haute sagesse du Prince qui, depuis
bientôt seize ans, préside avec tant d’éclat aux destinées d’un grand peuple et
qui entoure d’une égale sollicitude toutes les provinces de son empire, notre
cité ose espérer, Sire, que vous mettre le comble à vos bienfaits pour elle, en
imprimant une active impulsion aux travaux ordonnés par le décret de 1861.
Sire, avant de déposer ces clefs entre les mains de Votre
Majesté, qu’il me soit permis de confondre dans mes sentiments d’admiration
sincère et de profond respect pour votre personne, l’Auguste Souveraine
qui par les charmes qu’elle répand sur
le trône impérial, par ses vertus, par ses bienfaits, est la douce et puissante
auxiliaire de votre belle mission.
Sire, puisse la Providence exaucer les vœux que, du fond du
cœur, nous formons pour la conservation des jours si précieux de Votre Majesté,
pour ceux de l’Impératrice et du Prince Impérial, dont les destinées sont à
jamais unies à celle de la France. »
Ce discours fut couvert par les acclamations de la réunion
d’élite qui avait été admise à assister dans l’intérieur de la gare à l’arrivée
de Leurs majestés.
Lorsque les vivats eurent cessé de retentir, l’Empereur
répondit dans les termes suivants :
« Monsieur le Maire,
Je n’ai point voulu passer près de Dunkerque sans visiter
dette ville qui a joué un si grand rôle dans nos annales nationales et donné
tant de preuves de patriotisme.
Je fonde de grandes espérances sur l’avenir commercial et
industriel de Dunkerque, et, pour prouver l’intérêt que j’attache au
développement de sa prospérité, j’ai amené, avec moi, le ministre des travaux
publics, pour étudier une combinaison qui permettra le prompt achèvement des
travaux commencés.
Je vous remercie, Monsieur le Maire, de l’accueil chaleureux
qui m’est fait ainsi qu’à l’Impératrice, je vous remercie également des sentiments
patriotiques qui vous exprimez pour le Prince Impérial, et des témoignages de
votre dévouement sur lequel j’aime à compter. »
Leurs majestés sont ensuite montées en voiture et se sont
rendues directement à l’église de Saint-Eloi où elles ont été reçues sur le
parvis par le clergé de la circonscription paroissiale de Dunkerque ayant à sa
tête M. le curé-doyen Delaeter.
Après avoir entendu le Domine
Salvum fac Imperatorem, Napoléon III et l’Impératrice Eugénie se dirigèrent
vers l’hôtel de la Sous-Préfecture.
La plume ne saurait décrire les splendeurs de la
ville ; les ruelles les plus écartées étaient pavoisées, et quant aux rues
qui étaient traversées par le cortège impérial, elles étaient littéralement
couvertes de pavillons appartenant à toutes les nations du monde, depuis le
disque japonais jusqu’au ciel étoilé de l’Amérique ; la ville de Jean
Bart, fière de sa renommée, avait mis au vent tous les drapeaux que son
activité maritime lui donnait le droit d’arborer ce jour-là ; les filets
de pêche harmonieusement suspendus formaient des girandoles gracieuses dont
l’uniformité était rompue par des guirlandes de fleurs aux couleurs éclatantes.
Jamais semblable exhibition de pavillons et de fleurs ne se vit nulle part et
l’imagination fantastique d’un poète arabe n’eût pu rêver toilette plus
complète pour une fille de la mer.
A leur arrivée à la Sous-Préfecture, Leurs Majestés furent
reçues par M. le sous-préfet et Mme la vicomtesse de Jessaint ainsi que par M.
le maire de Dunkerque et Mme Delelis dont la fille vint, à la tête d’une
députation de quarante jeunes personnes de la ville, offrir un magnifique
bouquet à l’Impératrice en lui adressant quelques paroles gracieuses. Le corps
des pêcheuses vint à leur tour prier Sa Majesté de bien vouloir accepter au nom
de cette corporation un poisson en or dans une corbeille de fleurs. Notre
gracieuse Souveraine daigna accepter avec sa bonté habituelle les modestes
offrandes, et trouvant dans sa sollicitude pour toutes les classes laborieuses
des paroles pleines de charme pour remercier les pêcheuses de Dunkerque. Elle
remit, souvenir pour souvenir, un très beau médaillon à Mlle Delelis, une fort
jolie bague, perles et diamants forme coquille à la femme Catteau, et une très
belle croix, or et diamants, à la femme Delalande.
Les femmes des principaux fonctionnaires et notables de la
ville ainsi que les dames qui s’occupent tout particulièrement des œuvres de
bienfaisance, eurent l’honneur d’être présentées ensuite à Sa Majesté par Mme
la vicomtesse de Jessaint.
Aussitôt après eut lieu la réception officielle des corps
constitués et des fonctionnaires de toutes les administrations de
l’arrondissement. Nous avons remarqué en outre quelques étrangers de
distinction, notamment l’alderman Cottor qui était venu féliciter l’Empereur au
nom de la cité de Londres, M. le commissaire de l’arrondissement de
Furnes-Dixmude (Belgique), MM Plichon et Seydoux, députés, le comte Dubois et
Lestiboudois, conseillers d’Etat, avaient accompagnés Leurs Majestés à
Dunkerque. Pendant le cours de ces présentations l’Empereur a daigné remettre
la croix d’officier de la légion d’Honneur à MM. de Clebsattel, ancien député,
membre du Conseil général, président de la Chambre de Commercer, et Mollet,
ancien maire de Dunkerque, la croix de Chevalier à MM. Delelis, maire de
Dunkerque, l’abbé Delautre, archiprêtre de Bergues, l’abbé Delaeter, doyen-curé
de Saint-Eloi, Lemaire, docteur, médecin des épidémies.
Pendant les quelques instants que leurs majestés ont daigné
passer au buffet, qui avait été préparé dans un des salons de la
Sous-Préfecture, les diverses sociétés chorales de la ville, sous la direction
de M. Manotte, ont chanté avec beaucoup d’ensemble une cantate en l’honneur de
l’Empereur.
Leurs majestés sont remontées en voiture pour aller visiter
le chenal, les bassins, les nouvelles fortifications ainsi que les immenses
travaux du port en voie d’exécution. L’Empereur et l’Impératrice furent suivis
sans cette excursion, par toute la population dunkerquoise, et c’est au milieu
d’une ovation continue et des plus spontanées que Leurs majestés, accompagnées
de personnes de leur Maison, du ministre des travaux publics, de M. le
sous-préfet vicomte de Jessaint, de MM. les ingénieurs du port et d’un grand
nombre de fonctionnaires, visitèrent l’emplacement où doit être creusé le
nouveau bassin, qui en assurant l’avenir de Dunkerque, dotera la France d’un
établissement maritime de premier ordre.
En rentrant en ville, le cortège impérial s’arrêta chez M.
Broquant pour visiter sa fabrique de filets de pêche. Avant de quitter
l’atelier de cet honorable industriel, l’Empereur lui remit la croix de
Chevalier de la Légion d’Honneur, pour le récompenser des efforts persévérants
à l’aide desquels il est parvenu à créer une industrie réclamée depuis
longtemps par les mariniers et si utile à l’extension et à la prospérité de nos
entreprises de pêche.
Après cette visite, Leurs Majestés se dirigèrent vers la
gare et le départ eut lieu vers six heures passées, aux cris mille fois répétés
comme à l’arrivée de VIVE L’EMPEREUR !
VIVE L’IMPERATRICE ! VIVE LE PRINCE IMPERIAL !
L’Empereur laissait à Dunkerque M. de Forcade de la
Roquette, ministre des travaux publics, avec mission de se rendre le lendemain
à Gravelines pour visiter le port, en reconnaître l’importance et s’enquérir
des besoins de la population.
En terminant ce compte-rendu, n’oublions pas de mentionner
ici que l’Empereur, dans son inépuisable bonté pour la classe nécessiteuse,
adressa peu de temps après, à M. le sous-préfet, par l’entremise de M. le
préfet du Nord, la somme de 7.000 francs à répartir entre le bureau de
bienfaisance, les salles d’asile, la crèche Sainte-Eugénie, les pêcheuses et
les ouvriers du port et des fortifications. Les médaillés de Sainte-Hélène
furent ainsi compris dans les générosités impériales.
Enfin Sa Majesté daigna également adresser à Mme la
vicomtesse de Jessaint un très beau bracelet comme témoignage du bon souvenir
qu’elle avait conservé de sa visite à Dunkerque, et l’Impératrice voulut bien
aussi envoyer un charmant médaillon à Mlle Broquant qui lui avait offert un
bouquet à l’arrivée. »
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