In Henriette Walter – L’aventure des langues en Occident –
Robert Laffont, Paris, 1994
La Belgique, pays de
transition
La Belgique a des attaches extrêmement étroites avec les
Pays-Bas, dont elle a partagé l’histoire et la langue depuis des siècles ;
mais, voisine de la France, elle a également avec cette dernière des affinités
qui remontent aux temps lointains de l’Empire romain. Sur le plan plus général
de l’Europe, la Belgique constitue de ce fait un point de rencontre privilégié
entre les deux grands groupes linguistiques : langues germaniques et
langues romanes.
Le Flamand : une
cohabitation difficile
Comme le Luxembourg, la Belgique constitue donc une zone de
jonction entre domaine roman et domaine germanique mais, contrairement à la
cohabitation douce qui règne dans le grand-duché entre le français, l’allemand
et le luxembourgeois, la situation en Belgique reste conflictuelle depuis la
naissance de l’Etat belge en 1830.
Cette situation résulte de circonstances historiques
anciennes. Au moment où la Belgique acquiert son indépendance en 1830, le pays
est depuis des siècles divisé par une ligne horizontale en deux zones
linguistiques de souches différentes : au nord on parle le flamand, qui est une variété locale du
néerlandais, c’est-à-dire une langue germanique, et au sud le Wallon, une variété des dialectes romans
d’oïl. En plus de ces langues, c’est le français qui était alors utilisé dans
la vie publique, et c’est aussi le français que parlaient les classes sociales
supérieures.
Territorialité et
personnalité
Du fait de pressions diverses, économiques et
démographiques, le flamand devient, en 1898, avec le français, l’une des deux
langues officielles, et plusieurs lois linguistiques sont votées au cours du
XXe siècle. Elles consacrent le principe
général de territorialité, chacune des deux langues officielles jouissant
d’un territoire dont les limites sont fixées par la loi : le flamand au
nord, le français au sud, et l’allemand à la limite orientale, entre les deux
zones, dans les cantons de Saint-Vith, Eupen et Malmédy.
En outre, un statut linguistique spécial est accordé à des
minorités voisines de la frontière linguistique : douze enclaves
francophones dans la partie flamande et treize enclaves flamandes dans la partie
française. Mais la situation y reste explosive, et les six villages des Fourons
(communautés francophones ayant été rattachées à la région flamande) se sont
signalées à plusieurs reprises par des manifestations violentes.
Après des années de conflits linguistiques encore mal
apaisées, les relations semblent s’être améliorées depuis quelques années grâce
à des lois qui protègent les diverses communautés.
Le Flamand en France
Le flamand ou westvlaamsch « flamand
occidental », est parlé aujourd’hui dans ce qu’on nomme le Westhoek « le coin ouest »,
qui recouvre l’extrême nord du département du Nord, entre la mer, la frontière
belge, la Lys et l’Aa.
Cette langue remonte au germanique que parlaient les
populations installées dans la région, probablement dès le IIe siècle av.
J.-C., c’est-à-dire avant même l’occupation romaine. A partir du IVe siècle
apr. J.-C., ce groupe est composé en majeure partie de Francs Saliens venus de
l’est et du nord, et dont la langue se rattache au bas-germanique. Mais le
flamand a aussi subi l’influence latine pendant plusieurs siècles, ce qui
explique, à côté de mots comme stake
« pieu », bush
« forêt », berre
« lit », d’origine purement germanique, la présence de nombreux mots
d’origine latine comme kaes
« fromage », straete
« rue », peper « poivre »
ou puut « trou » (de puteus « puits »).
L’influence du français a ensuite été constante, mais le
flamand a aussi influencé le français.
C’est depuis l’annexion du territoire par Louis XIV en 1713
par le traité d’Utrecht que la Flandre française a été séparée de la Flandre de
Belgique et de la Flandre Zélandaise des Pays-Bas, ce qui l’a coupée des
évolutions que le néerlandais a connu depuis en Belgique et aux Pays-Bas. On
trouve donc dans le flamand de France le maintien de formes linguistiques
anciennes, absentes ailleurs.
Le territoire occupé par le flamand en France s’est
lentement rétréci au cours des siècles. Il s’étendait avant le XIIIe siècle
bien loin au sud de Boulogne comme on peut le constater par la répartition de
noms de lieux en –ghem (-ghen, -hen), un suffixe germanique qui
est l’équivalent de l’allemand –heim
« village ».
N’ayant pas bénéficié de la loi Deixonne (1951), le flamand
n’est enseigné que depuis 1982 (circulaire Savary) à l’Ecole Normale de Lille
et depuis 1983 dans le secondaire, mais dans le primaire cet enseignement a du
mal à s’organiser. Une enquête menée en 1984 dans la petite ville frontalière d’Hondschoote
montre comment les usages linguistiques se sont modifiés en l’espace de trois
générations : le flamand y est parlé par 38% des grands-parents, par 25%
des parents, mais en concurrence avec le français, et jamais avec leurs
enfants, ainsi que par seulement 2% des enfants, qui déclaraient pouvoir parler
couramment les deux langues.
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