jeudi 6 juin 2019

La Belgique et ses langues


In Henriette Walter – L’aventure des langues en Occident – Robert Laffont, Paris, 1994
 
La Belgique, pays de transition
La Belgique a des attaches extrêmement étroites avec les Pays-Bas, dont elle a partagé l’histoire et la langue depuis des siècles ; mais, voisine de la France, elle a également avec cette dernière des affinités qui remontent aux temps lointains de l’Empire romain. Sur le plan plus général de l’Europe, la Belgique constitue de ce fait un point de rencontre privilégié entre les deux grands groupes linguistiques : langues germaniques et langues romanes.
 
Le Flamand : une cohabitation difficile
Comme le Luxembourg, la Belgique constitue donc une zone de jonction entre domaine roman et domaine germanique mais, contrairement à la cohabitation douce qui règne dans le grand-duché entre le français, l’allemand et le luxembourgeois, la situation en Belgique reste conflictuelle depuis la naissance de l’Etat belge en 1830.
 
Cette situation résulte de circonstances historiques anciennes. Au moment où la Belgique acquiert son indépendance en 1830, le pays est depuis des siècles divisé par une ligne horizontale en deux zones linguistiques de souches différentes : au nord on parle le flamand, qui est une variété locale du néerlandais, c’est-à-dire une langue germanique, et au sud le Wallon, une variété des dialectes romans d’oïl. En plus de ces langues, c’est le français qui était alors utilisé dans la vie publique, et c’est aussi le français que parlaient les classes sociales supérieures.

Territorialité et personnalité
Du fait de pressions diverses, économiques et démographiques, le flamand devient, en 1898, avec le français, l’une des deux langues officielles, et plusieurs lois linguistiques sont votées au cours du XXe siècle. Elles consacrent le principe général de territorialité, chacune des deux langues officielles jouissant d’un territoire dont les limites sont fixées par la loi : le flamand au nord, le français au sud, et l’allemand à la limite orientale, entre les deux zones, dans les cantons de Saint-Vith, Eupen et Malmédy.
 
En outre, un statut linguistique spécial est accordé à des minorités voisines de la frontière linguistique : douze enclaves francophones dans la partie flamande et treize enclaves flamandes dans la partie française. Mais la situation y reste explosive, et les six villages des Fourons (communautés francophones ayant été rattachées à la région flamande) se sont signalées à plusieurs reprises par des manifestations violentes.
 
Après des années de conflits linguistiques encore mal apaisées, les relations semblent s’être améliorées depuis quelques années grâce à des lois qui protègent les diverses communautés.
 
Le Flamand en France
Le flamand ou westvlaamsch « flamand occidental », est parlé aujourd’hui dans ce qu’on nomme le Westhoek « le coin ouest », qui recouvre l’extrême nord du département du Nord, entre la mer, la frontière belge, la Lys et l’Aa.
 
Cette langue remonte au germanique que parlaient les populations installées dans la région, probablement dès le IIe siècle av. J.-C., c’est-à-dire avant même l’occupation romaine. A partir du IVe siècle apr. J.-C., ce groupe est composé en majeure partie de Francs Saliens venus de l’est et du nord, et dont la langue se rattache au bas-germanique. Mais le flamand a aussi subi l’influence latine pendant plusieurs siècles, ce qui explique, à côté de mots comme stake « pieu », bush « forêt », berre « lit », d’origine purement germanique, la présence de nombreux mots d’origine latine comme kaes « fromage », straete « rue », peper « poivre » ou puut « trou » (de puteus « puits »).
 
L’influence du français a ensuite été constante, mais le flamand a aussi influencé le français.
C’est depuis l’annexion du territoire par Louis XIV en 1713 par le traité d’Utrecht que la Flandre française a été séparée de la Flandre de Belgique et de la Flandre Zélandaise des Pays-Bas, ce qui l’a coupée des évolutions que le néerlandais a connu depuis en Belgique et aux Pays-Bas. On trouve donc dans le flamand de France le maintien de formes linguistiques anciennes, absentes ailleurs.
 
Le territoire occupé par le flamand en France s’est lentement rétréci au cours des siècles. Il s’étendait avant le XIIIe siècle bien loin au sud de Boulogne comme on peut le constater par la répartition de noms de lieux en –ghem (-ghen, -hen), un suffixe germanique qui est l’équivalent de l’allemand –heim « village ».
 
N’ayant pas bénéficié de la loi Deixonne (1951), le flamand n’est enseigné que depuis 1982 (circulaire Savary) à l’Ecole Normale de Lille et depuis 1983 dans le secondaire, mais dans le primaire cet enseignement a du mal à s’organiser. Une enquête menée en 1984 dans la petite ville frontalière d’Hondschoote montre comment les usages linguistiques se sont modifiés en l’espace de trois générations : le flamand y est parlé par 38% des grands-parents, par 25% des parents, mais en concurrence avec le français, et jamais avec leurs enfants, ainsi que par seulement 2% des enfants, qui déclaraient pouvoir parler couramment les deux langues.

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