In Hector BOLITHO « Mission exécutée »,
collection Ciel et terre, Charlot éditions, Paris 1946
« L’autre groupe, le 605e,
part pour le Sud demain et l’on nous dit que nous en aurons un autre venant de
France. Je ne puis le croire. Les groupes ne peuvent pas déjà revenir, à moins,
naturellement, qu’ils aient subi des pertes terribles. Je souhaite tellement
qu’ils nous envoient là-bas où je sais que nous ferions du bon travail.
J’apprends que Dickie a fait des
étincelles, vous voyez comme ces hommes que l’on considère toujours comme de
mauvais garçons font des prouesses. Il aura fallu une guerre pour convaincre
les vieux messieurs de Whitehall. Vous souvenez vous que Dickie a failli se
faire mettre à pied pour avoir volé trop bas ? Le même vol à basse
altitude semble lui avoir rendu service. J’ai rencontré plusieurs garçons de
groupe de Walter Churchill, tous débordants d’histoires de la Belgique, ils
disent tous que Dickie a fait des merveilles. Au cours des dix premiers jours
de l’invasion de la Belgique et de la Hollande par les Allemands, son groupe
descendit entre soixante et soixante-dix boches. Dickie a même été fait
prisonnier le deuxième jour. Il fut blessé le premier jour mais il continua son travail. Cela lui ressemble
bien. Le lendemain il descendit deux avions et fut ensuite touché par la D.C.A.
allemande. Il atterrit dans un champ et demanda son chemin à un homme qui lui
dot d’aller jusqu’à des tanks belges qui se trouvaient tout près. Dickie a été
trop crédule et, accompagné d’un officier belge, il se dirigea sur les tanks
armé d’une mitrailleuse. Les tanks étaient allemands et la mitrailleuse ne fut
pas très utile. Dickie portait un pardessus et les boches ne se sont pas
aperçus qu’il était des nôtres. Ils l’ont enfermé dans une grange avec des
réfugiés. Voici maintenant le trait qui le caractérise si bien. La grange avait
une fenêtre tout en haut. Dickie grimpa le long du mur pour regarder au dehors.
Il a toujours eu de la chance. Il y avait une échelle sous la fenêtre, il
l’enjamba tranquillement, fit dix kilomètres à pied, puis de l’auto-stop avec
des Belges et le lendemain il était de retour à sa base, prêt à se battre de
nouveau.
31 mai
Un mot en hâte. Nous retournons
aujourd’hui à ce cher vieux Tangmere, pour aider à l’évacuation de Dunkerque.
Je décolle dans une heure. Nous n’avons pas beaucoup de temps pour emballer et
tout le monde est un peu énervé. Les rampants sont ravis, ils adorent Tangmere,
ils sont un peu dépités quand d’autres s’y trouvent. Crackers Carswell, notre
deuxième Néo-Zélandais, qui tomba à la mer il y a environ un mois, est sorti de
l’hôpital aujourd’hui. Lors de sa chute, il est allé au fond de l’eau et il a
réussi à sortir de son avion, c’est incroyable. Il en réchappa néanmoins et
l’un des navires qu’il protégeait le repêcha. Il chante toujours des chants de
guerriers maoris quand il est un peu paf, nous n’y comprenons riens, alors nous
l’appelons « Crackers » [NdE : dingo] ; il a une idée fixe
à propos de la propreté de ses mains, il les lave tout le temps ; il est
ravi que nous déménagions car il n’a pas encore eu l’occasion de taper sur le
boche. Je viens d’apprendre par l’officier de renseignements du camp que le
groupe 605 est parti d’ici pour couvrir l’évacuation de Dunkerque. La nouvelle
nous est parvenue qu’ils ont perdu presque tous leurs types le premier jour, y
compris leur commandant, Georges Perry.
J’ai honte de penser que j’ai eu
la moindre pitié en descendant mon premier boche. Il y avait tant de braves
types au 605e et j’avais beaucoup d’amis parmi eux, et la plupart
ont disparu. »
* * *
Le 5 juin, nous eûmes tous deux
vingt-quatre heures de répit, moi avec mes classeurs à Whitehall et John après
avoir joué son rôle dans l’étonnante victoire morale de Dunkerque.
La journée était belle et nous la
passâmes au jardin dans l’Essex.
Je n’ai connu personne aussi
capable que John de se jeter corps et âme dans l’aventure du moment. Je restais
silencieux et étonné en le voyant entrer dans la maison, mettre de vieux
vêtements puis se promener dans le jardin qu’il avait aidé à créer et qu’il
aimait tant. Il vint jusqu’à Debben à bord de son Hurricane. Norman, notre
jardinier, fut si ému quand je lui dis que John arrivait, qu’il siffla pour la
première fois de sa vie autant que je puisse m’en souvenir. « C’est un
fier moment pour nous, dit-il, d’avoir un héros à la maison ». John était
rentré de Dunkerque la veille à sept heures du soir, l’évacuation était
terminée. Moins de vingt minutes après son arrivée dans la maison, il se
promenait dans le jardin, critiquant un peu trop et m’assurant que de Londres
je pouvais facilement faire un saut de temps en temps, afin de m’assurer que
chaque pouce du terrain était utilisé. L’aisance avec laquelle il passait de
son rôle de pilote à son rôle initial de fils de fermier me stupéfiait. Nous
ouvrîmes une bouteille de Bordeaux au dîner pour fêter son retour. Maintenant
qu’il y a un locataire dans la maison et que tous les petits objets que nous
aimons sont nettoyés et astiqués par des mains étrangères, ce dîner a une
valeur sentimentale. J’aime que la verrerie ait le brillant du cristal et que
le linge de table soit éblouissant. Le rite du diner est pour moi une habitude
agréable. Mais tout cela appartient à la paix que nous avons perdue et que nous
ne retrouverons peut-être jamais. Nous fîmes de ce diner une fête. Les
cendriers grecs en argent étaient sur la table, il y avait des bouteilles de
porto et de madère qui luisaient dans l’ombre derrière nous, à côté de gros
fruits rouges. John s’était distingué, il fallait célébrer son retour.
Tant de choses s’étaient passées
dans son âme et il avait tant d’autorité tranquille dans la voix que j’avais
l’impression d’être un écolier écoutant un vieux soldat. Il venait d’abattre
deux avions ennemis et n’y avait même pas fait allusion la veille en me parlant
au téléphone.
Le 43e groupe avait
reçu l’ordre de participer à l’évacuation de Dunkerque pendant les derniers
jours. Je notai l’histoire quand John me l’écrivit plus tard.
« Le premier jour de notre
patrouille au-dessus de Dunkerque, nous décollâmes de Tangmere au petit jour.
Je n’oublierai jamais la masse de ballons tout le long de la Tamise depuis
Londres ; nous les apercevions au loin, scintillant dans la lumière du
matin. Ils étaient si rapprochés qu’ils semblaient former une ligne continue
comme des navires de guerre argentés, en suivant les anneaux du fleuve. Nous
déjeunâmes à Manston et nous attendîmes l’heure de la patrouille à côté de nos
taxis. Nous étions étendus dans l’herbe en train de lire les journaux et je
suis tombé sur un entrefilet annonçant que ce brave George avait obtenu la
D.F.C. [ndHDN3 : Distinguished Flying Cross]. Il était là, allongé à
côté de moi, et j’ai réalisé, je ne sais comment, par une sorte d’instinct,
qu’il avait lu aussi et n’en avait soufflé mot.
Je le félicitai et il me
répondit : « Dieu sait pourquoi je l’ai obtenue. Aucune décoration ne
pouvait me faire plus plaisir. » George est un type extraordinaire et il
la mérite bien. Derrière ses manières lentes et calmes se cachent un grand
courage et un esprit remarquable. A notre retour de patrouille il demanda à son
ordonnance d’acheter un ruban de D.F.C. pour sa vareuse et l’imbécile acheta un
ruban de D.F.M. [ndHDN2 : Distinguished Flying Medal] par mégarde. George
le porta sans même s’en apercevoir jusqu’à ce que nous lui fissions remarquer.
C’était trop gentil.
«Ce premier matin nous fîmes
route au-dessus de la mer jusqu’à Dunkerque. Le 43e groupe volait
au-dessus et derrière. Nous survolâmes la mer au-dessus des nuages et ne vîmes
rien de l’évacuation qui s’effectuait en bas. Mais la fumée des réservoirs de
carburants était venue jusqu’à Tangmere et nous savions à quoi nous attendre.
Nous avions senti l’odeur dans le Sussex en la traversant. Vous pouvez voler de
Brighton à Dunkerque sur la traînée de fumée. Suivez-là et vous trouverez
Dunkerque à l’autre bout. Tout le port de Dunkerque semblait être en feu. Les
torpilleurs avaient un air irréel en sortant de derrière le rideau de fumée,
enfoncés dans l’eau et lourdement chargés de troupes. Je survolais la mer à une
altitude d’environ trois cents mètres et de là, je voyais les navires en bas.
La « Belle de Brighton », des bateaux munis de roues à aube et ce
genre de joyeux petits navires que le voit à quai dans les villes de la côte le
dimanche après-midi. Des centaines de bateaux : barques de pêche,
vedettes, embarcations de la Tamise et des files de you-yous remorqués par de
plus grands bateaux, tous bourrés de troupes. Il y avait des gens debout dans
l’eau et d’énormes entonnoirs de bombes dans le sable, et de longues lignes
d’hommes et des groupes assis qui attendaient sans doute des embarcations. Sur
les plages il y avait des épaves de navires de toutes les tailles qui
émergeaient de l’eau. J’ai vu un torpilleur coupé en deux par une bombe !
Un Junkers 87 est venu très bas au-dessus de l’eau pour lâcher la bombe, on
avait l’impression qu’il allait s’écraser sur le torpilleur. C’était affreux.
Dieu merci, il fut descendu un peu plus tard. Je vis le torpilleur se fendre
par le milieu, je vis aussi des hommes sauter en parachute, des avions
endommagés et tomber dans l’eau, sur la plage et plus loin dans les terres.
Au cours des patrouilles de la
première journée, nous étions neuf du même groupe à suivre une route sinueuse
au-dessus de la côte entre trois et six cents mètres d’altitude. Nous faisions
trois kilomètres au-dessus de la mer et
ensuite trois kilomètres au-dessus de la terre.
Tout d’un coup je m’aperçu qu’il
y avait autour de moi plus d’appareils que quand nous traversâmes la Manche.
C’était inquiétant. Un groupe de Messerschmitt 109 s’était joint à nous et
s’était tranquillement collé à notre patrouille en attendant le moment
d’attraper un traînard. Il y avait de quoi être secoué ! Dès que je les
reconnus, je les signalai à mon chef de patrouille. Dans le Nord, nous n’avions
eu à faire qu’à des bombardiers. Avant que le commandant n’ait eu le temps de
donner l’ordre d’attaquer, un Messerschmitt isolé piqua droit sur lui et la
bataille se déclencha. Nous choisîmes nos adversaires tandis qu’une escadrille
de nos chasseurs volait à faible altitude pour protéger les navires. Après
avoir évité plusieurs boches qui me cherchaient par-dessous, j’en pris un en
chasse et j’ouvris le feu. Nous volâmes de-ci de-là, descendant à une altitude
de quinze cents mètres. Pendant qu’il était en piqué, je réussis à lui envoyer
une bonne rafale et il se brisa comme s’il était en carton. Il tomba en flammes
sur un terrain de golf. Je repris de l’altitude et découvris que de nouveaux
chasseurs allemands, des Messerschmitt 110, encore inconnus, s’étaient joints à
la mêlée. Je me mis derrière l’un d’eux, il tirait sur un hurricane que
pilotait Crackers. J’étais si près de lui quand je tirais sous la rafale son
empennage s’envola dans les airs. Crackers flambait aussi, mais il sauta en
parachute et il fut ramené par un torpilleur deux jours plus tard.
Ensuite je piquai vers la mer et
pris le chemin du retour. Je croyais que tout allait bien mais je commis une
erreur idiote. Dans l’énervement général, je pris la direction de Calais au
lieu de prendre celle de Douvres. En m’en apercevant je virai de bord, me
croyant seul pour le voyage du retour. Mais je regardai derrière moi et
m’aperçus qu’un avion ennemi me suivait, nous n’étions pas à plus d’un mètre
au-dessus de l’eau, je naviguai en zig-zag pour éviter les balles. Dieu me fut
clément. Nous continuâmes ce voyage fou, zigzaguant au ras de l’eau, et il me
poursuivit jusqu’à huit kilomètres de Douvres, où il vira de bord et repartit
chez lui. C’était notre premier combat contre plus de cinq appareils à la fois…
Notre premier combat contre des chasseurs, nous en descendîmes neuf, plus deux
autres probables, et nous en perdîmes deux nous-mêmes. »
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