mardi 14 mai 2019

l'as de la chasse Adolf Galland juge la bataille de Dunkerque


In Général Adolf Galland, commandant la Chasse allemande, Jusqu'au bout sur nos Messerschmitt, Robert Laffont, paris, 1955
 

" Pour ma part, j'affrontai les pilotes de la R.A.F. pour la première fois au-dessus de Dunkerque, Lord Gort, commandant en chef des forces britanniques sur le continent, était alors en train de ramener en Angleterre son corps expéditionnaire, et en plus, quelque cent vingt mille Français, en tout trois cent trente-huit mille hommes - un exploit remarquable, bien que les Britanniques eussent perdu la presque totalité de leur équipement. Pendant ce temps, la R.A.F. faisait des efforts désespérés - et couronnés de succès - pour couvrir l'évacuation dans les airs.
 
Dunkerque fut, certes un coup terrible pour l'Angleterre, non seulement du point de vue militaire, mais, surtout, par ses répercussions sur l'alliance avec la France. Cependant, pour l'Allemagne, cette bataille ne constituait nullement un succès total. Göring, que la victoire facile de la Luftwaffe en Pologne et en France avait confirmé sa foi dans les théories de Douhet, s'était engagé à achever la destruction des forces britanniques. L'armée de terre dont les unités blindées avaient été stoppées, à quelques kilomètres du périmètre fortifié, par un ordre de Hitler, cachait mal sa déception. On murmurait même que Hitler voulait ménager l'Angleterre afin d'arriver après la défaite de la France, à une paix honorable avec l'Empire britannique.
 
En réalité, Hitler avait surtout obéi à des considérations militaires. Malgré les énormes succès des troupes allemandes, il gardait, comme tous les combattants de la première guerre mondiale, un respect pour la valeur du soldat français. De ce fait, il ne se fiait pas trop à sa propre victoire. Il craignait que ses forces blindées, bifurquant vers le nord-ouest, ne fussent coupées par une offensive brutale des armées françaises débouchant du sud-est - un plan que Gamelin avait effectivement conçu, mais qu'il ne devait plus avoir le temps de réaliser. De la première guerre mondiale également, Hitler conservait le souvenir tragique des champs de bataille des Flandres, dont la boue tenace pouvait, pensait-il, devenir fort bien la tombe de ses chars. Et finalement, il y eut l'orgueil démesuré de Göring qui lui déclara : "La Luftwaffe aura vite fait d'achever l'encerclement de la poche". Après la guerre, Guderian devait d'ailleurs affirmer : "Je suis persuadé que c'est la vanité de Göring qui amena Hitler à prendre cette grave décision". En tout cas, on devait bientôt se rendre compte que Göring avait promis plus qu'il ne pouvait tenir. La Luftwaffe fut incapable d'accomplir sa tâche. Manifestement, ses forces étaient insuffisantes pour venir à bout d'un adversaire résolu, bien commandé, tenace et extrêmement habile. En somme, Dunkerque aurait pu être, pour le haut commandement allemand, un premier et sérieux avertissement.
 
Le 29 mai [1940], je patrouillais avec l'escadre d'état-major aux abords de la ville, quand nous découvrîmes, cinq cents mètres plus bas, une formation de bombardiers Bristol-Blenheim. Ceux d'entre eux, incendiés dès la première rafale, s'abattirent immédiatement dans la mer. Un troisième que j'avais pris pour cible échappa pendant longtemps à mes balles, grâce à des manœuvres adroites. Ce fut seulement à quelques mètres des vagues que je réussis à le toucher de façon décisive. Le réservoir crevé d'huile, le Blenheim frappa l'eau en angle aigu et coula sur-le-champ. Lorsque quelques minutes plus tard, je me posai à St-Pol, je découvris que mon Messerschmitt était tout éclaboussé d'huile.
 
En tant qu'officier d'état-major de l'escadre, je devais aussi servir de second de section à notre commodore, un lieutenant-colonel qui avait encore connu les combats tournoyants de la première guerre mondiale. N'étant plus très jeune, il avait gagné notre estime par ses efforts tenaces pour ne pas se laisser distancer par la nouvelle génération? Le 30 mai, comme nous traversions l'énorme nuage de fumée qui pesait sur la ville, nous fûmes attaqués par une escadrille de Spitfires. Nous les aperçûmes en même temps, mais nos réactions furent différentes- ce qui ne devrait pas arriver dans une section digne de ce nom. Mon commodore fonça à toute vitesse dans le banc de fumée. Tout en lui souhaitant bonne chance, je montai, tirant comme un possédé, à la rencontre des Anglais. A vrai dire, je tirais surtout pour remonter mon moral quelque peu ébranlé. Les Spitfires ne s'y trompaient pas. Sans même se déranger pour m'expédier une giclée de balles, ils me croisèrent et filèrent, à la poursuite de mon chef. Je n'arrivai pas à les rattraper et, après avoir erré tout seul pendant une dizaine de minutes, je jugeai préférable de rentrer. Le coin devait être malsain pour un promeneur solitaire.
A notre terrain de Saint-Pol, je ne vis que des visages consternés : aucune nouvelle du commodore! Ce fut seulement à la tombée de la nuit que nous le vîmes revenir... à pied. Les Spitfires l'avaient eu mais il avait réussi à se poser, in extremis, et sur le ventre dans un champ marécageux. Comme tout bon aviateur, il avait perdu l'habitude de marcher, si bien qu'il rentrait en boitant, les pieds couverts d'ampoules. Une situation plutôt humiliante pour un pilote!
 
Après la chute de Dunkerque, la R.A.F. disparut presque complétement du ciel français. La Luftwaffe s'apprêtait à donner le coup de grâce à l'armée de l'air française, par une attaque massive des terrains et usines d'aviation de la région parisienne...."

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