In Cne CATOIRE – « La défense
de Lille en 1914 », 1934, Les Défenseurs de Lille / Les amis de Lille, 168
pages, pp 134-145
L’aube du 12 octobre s’est donc
levée sur une ville en flammes que l’ennemi, pressé d’en finir, va s’efforcer d’enlever
de vive force.
En face des faibles effectifs
français, le XIXe Corps s’est déployé sur tout le front Sud et Sud-Est de Lille
et s’est approché, à la faveur du brouillard annonciateur d’une belle journée d’arrière-saison
de la ligne des fortifications.
La Brigade Baerensprung, à deux
régiments, a pour objectif la porte de Douai et la gare St-Sauveur ; elle
se relie vers la gare centrale au détachement Wanschaffe.
La ½ Division Falkenstein (une
brigade de cette Division est restée en Champagne), également à deux régiments,
doit d’emparer des portes d’Arras et des Postes. Enfin, la Brigade Seydewitz,
masquant les sorties Sud-Ouest de Lille, s’efforcera de s’emparer de la Citadelle.
Elle a mission, dans tous les cas, d’interdire à la garnison française tout
mouvement de retraite vers l’Ouest.
Ces éléments, renforcés de compagnies
du Génie, sont soutenues par toute l’artillerie du Corps d’Armée, dont le
commandant, le Général von Laffert, a installé son PC à la sortie Nord de Wattignies.
De bonne heure, devant les trois portes
de Douai, d’Arras et des Postes, l’ennemi s’est efforcé de venir border le
glacis. Contenu à distance devant les portes d’Arras et des Postes, il est
parvenu, dès 10 heures, à occuper la demi-lune et la contre-escarpe en avant de
la porte de Douai, mais ses efforts pour forcer la porte sont restés vains.
Vers 9h, le commandement allemand
a encore fait une nouvelle tentative pour obtenir la reddition de la ville :
deux parlementaires ! Le Capitaine Fiedler et le Lieutenant Goeppert,
accompagnés d’un trompette et d’un gradé, se sont présentés sous le couvert du
drapeau blanc à la porte de Douai et ont annoncé qu’ils étaient porteurs d’une
sommation de reddition à l’adresse du Gouverneur de Lille. Le poste de garde
les a aidés à passer la barricade élevée sous la porte, dont ils ont pu
constater la faible résistance, et les quatre Allemands se sont bientôt trouvés
sur la place Fernig où on leur a bandé les yeux – trop tard malheureusement
pour qu’ils n’aient pu constater l’effectif dérisoire des défenseurs.
Puis les parlementaires ont été
amenés, sous escorte, rue des Stations, où le commandant de Pardieu a refusé purement
et simplement de les recevoir. On les a ensuite reconduits à la porte de Douai
d’où ils ont rejoint les lignes allemandes vers 10h30. Leur promenade en ville
a eu au moins le résultat de faire cesser le bombardement pendant près d’une
heure et demie.
Pendant ce temps, le combat n’en
pas moins continué à faire rage devant les portes d’Arras et des Postes.
La porte d’Arras a subi, à partir
de 10 h une violente attaque du 139e Régiment d’Infanterie allemande.
Renforcée par trois sections de la compagnie Clerc (7e compagnie du
régiment Caron) et de plusieurs caisses de cartouches que lui a fait envoyer le
Commandant de Pardieu, la compagnie Degrelle n’a pas pu empêcher l’ennemi de s’emparer
de la porte extérieure, mais elle l’a arrêtée au débouché du glacis. D’ailleurs,
expose la relation allemande « le large et profond retranchement rendait
impossible tout assaut… et toutes les tentatives faites par l’artillerie de
campagne pour le rendre franchissable demeurèrent sans succès ».
Le régiment allemand perdit, en
cet endroit, 20 morts et 68 blessés.
A la porte des Postes, un assaut
des plus violents a été livré dès 9h40, par le 179e Régiment d’infanterie,
fortement appuyé par les sections d’accompagnement immédiat d’artillerie. Mais
le Lieutenant Hautefeuille, qui commande cette porte, vient d’être, sur sa
demande, renforcé de la section de Wambrechies (3e compagnie du
Bataillon Caron) ainsi que des pelotons Vallette (du 2e Chasseurs)
et Coppin (du 46e Chasseurs). Obligé d’abandonner la contre-escarpe,
le Lieutenant Hautefeuille a disposé ses hommes derrière la crête du rempart,
mais cette crête rectiligne est balayée par les balles et les pertes sont
sévères.
Le Lieutenant Vallette, à peine
arrivé, et à qui le Lieutenant Hautefeuille a confié le commandement de l’aile
gauche de son détachement, est grièvement blessé et emporté. Il est aussitôt
remplacé par le sergent Wuilmart (qui se tirera avec honneur de son commandement).
Le Lieutenant de Wambrechies est tué.
Beaucoup d’autres braves tombent,
mais l’attaque allemande est enrayée, une tentative pour faire sauter la porte a
échoué. Là non plus, les unités d’active bien entrainées du corps saxon n’ont
pas pu avoir raison de nos territoriaux et d’une poignée de cavaliers
retranchés derrière les vieux remparts de Vauban.
Sur les fronts Sud-Ouest et
Sud-Est de Lille, devant les portes de Béthune et de Canteleu, comme celles de
Valenciennes, de Louis XIV et de Tournai, l’ennemi a seulement durant cette
matinée du 12, pris le contact de notre ligne de défense.
C’est à la porte de Douai que va
se jouer la partie décisive mais auparavant, les défenseurs de Lille ont reçu,
par la voie des airs, un léger réconfort, et le Commandant de Pardieu a pu
croire un instant que sa résistance ne serait pas désespérée.
Vers midi, un avion français a
atterri sur le Champ de Mars. Le Lieutenant Ménard, qui en est descendu, a
demandé à être conduit auprès du Commandant de Pardieu et il lui a remis un
message ainsi conçu, du Commandant de la Xe Armée :
« Au Commandant de Pardieu,
commandant le détachement mixte de Lille
« Vous adresse mes félicitations
pour l’énergie avec laquelle vous avez ramené votre détachement à Lille. Tenez
dans Lille jusqu’au bout. Une attaque allemande sur la ville doit se produire
aujourd’hui, vraisemblablement par le Sud. Toute l’armée se porte à votre
secours. La cavalerie peut être à Lille dès ce soir. Je vous nomme Lieutenant-colonel
et vous accorde une Croix de la Légion d’Honneur et trois Médailles Militaires
à décerner à votre choix. Le 20e Chasseurs est-il avec vous ? Envoyez
nouvelles par pigeons voyageurs.
Signé : Général de
Maud’huy
PCC Le Chef d’EM
Colonel de Vallières »
Nous verrons plus loin à quoi
correspondait la promesse contenue dans ce message.
Le nouveau Lt-Colonel, dans sa
réponse, a promis de tenir jusqu’au soir coûte que coûte, mais ne peut rien
garantir au-delà, en raison de l’incendie de la ville, de l’épuisement des
munitions et de l’exorbitante inégalité de la lutte.
Cette réponse, le Lieutenant
Ménard ne pourra pas la rapporter au Général de Maud’huy. Terrassé par une
crise d’appendicite aigüe, au moment de reprendre son vol, il sera transporté d’urgence
à l’hôpital qu’il ne quittera que quelques semaines plus tard pour le camp des
prisonniers.
Cependant, la nouvelle du secours
prochain, portée à la connaissance des défenseurs de Lille, a redoublé leur
ardeur.
Mais l’ennemi veut en finir :
un radio du Kaiser, dont la teneur vient d’être communiqué au Commandant de Pardieu :
« je donne l’ordre de prendre Lille à tout prix » ne peut lui laisser
aucun doute à cet égard, et c’est maintenant contre la porte de Douai qu’il va
concentrer ses efforts.
A 3 heures, après une préparation
d’une demi-heure par l’artillerie lourde du Corps d’Armée, sur la porte et ses
alentours immédiats ; 2 bataillons du 181e Régiment d’infanterie
se sont lancés à l’assaut. Un moment, leur progression est ralentie par le feu
nourri qui les accueille. Mais les mitrailleuses allemandes balayent la crête du
rempart forçant les défenseurs à se terrer. Une équipe de sapeurs peut alors se
glisser jusqu’au pont-levis et faire sauter la légère barricade que l’on a
entassée sous les voûtes. Bientôt la porte elle-même est forcée.
Nos territoriaux se sont alors
retranchés dans les maisons de la place Fernig et interdisent aux Allemands de
déboucher sur la place. Ceux-ci sont d’ailleurs pris de flanc par les Chasseurs
de l’escadron de Galbert qui les fusillent de l’entrée du boulevard de Belfort.
Bientôt deux pièces d’artillerie sont amenées sous la porte et canonnent à bout
portant les maisons de la place Fernig. Le Lieutenant Elssner, qui les
commande, est tué, mais, de notre côté, les munitions se sont épuisées et la
retraite commence vers le centre de la ville et le boulevard des écoles (ndlr :
aujourd’hui boulevard JB Lebas) pour les territoriaux, par le boulevard de
Belfort vers la porte de Valenciennes pour les Chasseurs.
De ce côté aussi, les défenseurs
de la porte de Valenciennes, de la gare St-Sauveur, de la porte Louis XIV et de
la porte de Tournai, ont repoussé toutes les tentatives faites par le 2e
Régiment de la Brigade Baerensprung (le 104e I.R.).
Bien qu’à bout de munitions
territoriaux, douaniers, spahis et chasseurs ont pu maintenir partout leurs
positions.
Aux portes d’Arras et des Postes,
les éléments confiés au Capitaine Degrelle et au Lieutenant Hautefeuille ont
encore eu à faire face, dans l’après-midi, à de nouvelles attaques de l’ennemi.
A la porte d’Arras, le Capitaine Degrelle a même dû, après la chute de la porte
de Douai, contre-attaquer des éléments ennemis débouchant du boulevard d’Alsace.
Quant au Lieutenant Hautefeuille,
il a réussi à clouer au sol un dernier assaut allemand, en tirant ses dernières
cartouches provenant de caisses retirées de la Deûle.
Mais la lutte a été chaude et, au
total, la garnison de la porte des Postes a perdu 28 tués dont un officier.
Contre le secteur Sud-Ouest de
Lille, la 89e Brigade allemande n’a fait que des démonstrations. Dans
l’après-midi, le 13e Bataillon de Chasseurs Saxons est venu border l’avenue
de l’Hippodrome, face au champ de courses, où les hommes ont même commencé à
creuser quelques éléments de tranchées, mais il n’a pas osé se lancer à l’attaque
de la Citadelle, qui n’est pourtant occupée que par quelques Chasseurs, ultimes
réserves du Lt-Colonel de Pardieu.
Les fantassins allemands ont donc
pris pied dans la ville par la porte de Douai et progressent lentement par les
rues adjacentes. Pour assouvir la rage que leur a causée la résistance de nos
troupes, ils ont mis le feu aux maisons qui avoisinent la place Fernig.
A ce moment, la ville n’est plus
qu’un vaste brasier où une quarantaine d’incendies cherchent à se rejoindre. Le
canon qui qui s’est fait entendre dans l’après-midi à l’Ouest de Lille s’est
éloigné et, avec lui, tout espoir de secours avant la nuit s’est évanoui.
La Citadelle pourrait encore
offrir aux défenseurs de Lille un dernier refuge, pour prolonger la résistance,
mais pour cela, il faudrait des cartouches.
Or, de toutes les portes,
parviennent au Commandant d’Armes des demandes de munitions. Les premières ont
pu être satisfaites, au moyen de caisses trouvées à la Citadelle, à la
Gendarmerie ou même retirées de la Deûle. Mais toutes les réserves sont
épuisées et les hommes ne vont bientôt plus avoir entre les mains que d’inutiles
fusils.
Dans ces conditions, après avoir
examiné la triste situation, le Lt-Colonel de Pardieu, convaincu d’avoir accompli
tout son devoir, s’est cru obligé, en conscience, d’éviter la destruction d’une
des plus belles et des plus riches cités françaises et l’anéantissement dans
résultat des troupes qui lui avaient été confiées.
Il capitula.
Le drapeau blanc fut hissé sur l’église
du Sacré-Cœur, et le Commandant Delorme, du 20e Chasseurs, fit envoyer
en parlementaire, pour prévenir l’ennemi que la place mettait fin à la
résistance.
La réponse fut apportée par le
Général Baerensprung en personne, et bientôt confirmée par le Général Goetz von
Olenhusen, fut la capitulation sans conditions.
Les troupes de la défense devaient
se rendre à la Citadelle pour être désarmées.
(depart de la Citadelle pour les premiers prisonniers de guerre français)
Il n’y avait plus qu’à s’incliner.
Les éléments de la Brigade
Saxonne, qui avait pénétré ans Lille, n’osèrent pas s’aventurer trop avant dans
l’obscurité et se cantonnèrent dans le voisinage de la Place de la République
et des Halles. L’artillerie n’en continua pas moins, en dépit de la capitulation,
à bombarder, jusqu’à deux heures du matin les quartiers excentriques. Il faut
jouer d’ailleurs que toutes les liaisons téléphoniques ayant été interrompues
par le bombardement, nombreuses furent les unités, tant françaises qu’allemandes,
demeurées au contact à la périphérie des remparts, qui ignorèrent tout de la
situation, jusqu’aux premières heures de la matinée.
A la porte Louis XIV et devant la
gare St-Sauveur, la fusillade continuera même toute la nuit.
Et vers 6 heures du matin, le
Lieutenant Hautefeuille sera encore blessé par un éclat d’obus, en allant
prendre la liaison avec la garnison de la porte de Béthune. »
(tombes des assaillants allemands tombés le 12 octobre 1914, carré allemand, cimetière de Lille - Sud)
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