In Henri Cons – Le Nord
pittoresque – édition de 1888, Les éditions du bastion, réédition 1989, 318
pages, pp 121-123
« Les desséchements
classiques de la Hollande, les luttes si fameuses que l’homme soutient sur ses
côtes contre les menaces de la mer, les alternatives de gain et de perte que
font l’un sur l’autre l’Océan et la terre ferme, se retrouvent sur ce curieux
coin de terre. A l’époque romaine, il faisait partie du continent ; et la
ligne du rivage est encore reconnaissable un peu en arrière du littoral actuel.
Au IVe ou au Ve siècle, une brusque invasion de la mer, analogue à celle qui au
XIIIe siècle a créé le Zuyderzee, engloutit toute cette plaine marécageuse, ne
laissant surnager au milieu de ce golfe marin que quelques îlots, comme le banc
de galets qui porte Saint-Pierre, Marck et Oye, les buttes de Bergues et de
Socx, le haut fond de Loon et de Grande-Synthe. Depuis Sangatte (P.-de-C.)
jusqu’à l’embouchure actuelle de l’Yser, en longeant la base du mont de Watten
et de ses prolongements, plus de 80.000 hectares furent ainsi ravis au
continent. Mais la mer ne tarda pas à abandonner sa conquête.
Les deux grands
bras du Gulf Stream qui enserrent les îles britanniques et viennent se heurter
dans la mer du Nord, déterminent, on le sait, par leur rencontre, une série de
phénomènes qui donnent à cette mer intérieure sa physionomie propre et son
régime. La branche du courant chaud qui a forcé l’entrée de la Manche et vient
frapper et ronger avec tant de violence les falaises de la Normandie, s’engouffre
dans le Pas-de-Calais et, s’épanouissant à sa sortie du détroit, poursuit d’ouest
en est par une de ses branches sa marche rectiligne le long du littoral franco-belge.
Un des bras de l’éventail sous-marin qui enserre aujourd’hui les rades de
Dunkerque, vint s’amorcer au banc de galets et, le prolongeant à l’est, dessina
bientôt la ligne actuelle de côte. Les sables qui affleuraient à marée basse,
soulevés et poussés par les vents du sud-ouest parallèles au grand courant de
la Manche, élevèrent bientôt une véritable rangée de dunes, à l’abri desquelles
les alluvions de l’Aa se déposèrent dans le golfe désormais presque fermé, se
groupant d’abord autour des îlots, en formant de nouveaux, s’amoncelant enfin
sur tout le fond du golfe jusqu’à former en trois ou quatre siècles une couche
de sédiments de 2m 25 d’élévation. En même temps, par suite d’une des
oscillations du sol dont le littoral des mers nous fournit tant de preuves
intéressantes, un mouvement d’exhaussement succédant au mouvement descendant de
la période précédente, et grâce à ce double travail, vers 800, le golfe était
déjà comblé. Ce ne fut cependant que par un travail incessant que cette boue se
solidifia. La rareté des pluies dans cette partie du littoral facilita l’assèchement,
que venaient contrarier par intervalles les grandes crues de l’Aa. Les parties
les plus creuses du golfe formèrent de vastes marais, de petites mers (les
Moëres), dont l’existence facilita l’écoulement des eaux. La population qui se
pressait dans les villes et les campagnes voisines fournit les bras nécessaires
à la transformation du sol, et bientôt à l’intérieur du golfe reconquis, comme
sur le littoral, s’élevèrent des abbayes et des villes.
Bientôt l’Aa, gêné dans
son expansion à travers le golfe par ses propres dépôts, se fraya dans cette
boue liquide une double route de chaque côté de la masse qu’il avait accumulé
devant son embouchure ; une partie de ses eaux, la moindre s’enfuit à
gauche dans la direction d’Ardres et Calais, pour gagner la mer par Frethun et
Sangatte ; l’autre, la plus considérable tant à cause de la pente générale
des terres émergées et au fond marin que par suite de la tendance naturelle de
tous nos fleuves, à se porter sur leur droite, longea la base septentrionale
des coteaux de Watten, et par le lit qu’occupe aujourd’hui la Colme, alla
rejoindre l’Yser, pour déboucher avec lui à l’autre extrémité du golfe, que
cette circonstance maintenait encre ouverte. Quelquefois aussi, par les grandes
crues, la rivière ouvrait d’autres sillons au milieu de son delta et allait
aboutir plus directement à la mer. Il fallut ici, comme en Hollande, lutter
pied à pied contre les obstacles. A ceux qu’offraient la nature même du sol, à
ceux qui résultaient des intempéries, venaient s’ajouter d’autres fléaux. Des
épidémies meurtrières, des pestes dont les émanations fétides d’un sol
fraichement remués, d’eaux croupissantes et de débris en décomposition
facilitaient la naissance et la propagation, décimaient les hardis pionniers ;
en vain les wateringues ou « rigoles d’eau » étaient creusées pour le
drainage des terres ; des écluses, construites pour faciliter l’écoulement
des eaux dans la mer à marée basse et s’opposer à l’invasion des eaux salées ;
l’existence des Moëres étaient une menace perpétuelle pour la vie humaine, et
le pays ne fut véritablement reconquis que lorsque ces terres putrides eurent
été, eux aussi, desséchés et livrés à la culture. »
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