In A. CHATELLE « Dunkerque
pendant la guerre 1914-1918 », Paris, Librairie Picart, 1925, 247 pages +
planches H.T., pp 12-13
Si à la fin août 1914, le
Gouverneur fait pousser activement l’achèvement des tranchées autour de la
ville, il ne néglige pas pour cela la traditionnelle et suprême mesure de
défense : l’inondation.
Traditionnelle certes, car
l’histoire locale a conservé le souvenir de multiples inondations protectrices
de la ville et notamment celle si tragique de 1646 où, en l’espace d’une nuit,
les Moëres furent mises sous les eaux de la mer afin d’arrêter les troupes du
duc d’Enghien. La plupart des malheureux habitants de cette partie du pays
n’eurent pas le temps de s’enfuir et périrent noyés en plein sommeil. De toutes
les habitations il ne resta que la tour de l’église qui servit longtemps de
repaire à une bande de brigands espagnols.
La dernière inondation
« défensive » remontait à la chute de l’Empire en 1814, lors de
l’invasion des coalisés.
En 1914, point ne fut besoin de
recourir à une mesure aussi brutale. L’on commença vers le 25 août par
« gonfler » les canaux. Les écluses de l’Aa à Gravelines restèrent
fermées ainsi que celles de l’Yser à Nieuport si bien que lorsque l’ordre
arriva de tendre les inondations, l’opération put se faire très rapidement sans
avoir recours à l’eau de mer.
A partir de Watten, où le niveau
normal de l’Aa est de cinq mètres au-dessus du zéro des cartes marines, on
éleva d’un mètre le niveau de la Haute et Basse-Colme. En peu de jours, toute
la plaine des Petites Moëres de Coudekerque à Ghyvelde, au nord de la
Basse-Colme, les territoires d’Hondschoote, au sud de la Basse-Colme et les
plaines basses aux alentours de Bergues jusqu’à Watten, disparurent sous les eaux.
Des pluies incessantes augmentèrent encore l’étendue des inondations. Celles-ci
à fin septembre couvrirent toutes les parties basses de l’arrondissement soit
près de 7.000 hectares appartenant aux communes de Watten, Millam, Merckeghem,
Eringhem, Drincham, Looberghe, Pitgam, Steene et Bierne pour la 3e
section des Wateringues et Hoymille, Warhem, Hondschoote, les Moëres, Ghyvelde,
Uxem, Téteghem et Coudekerque pour la 4e section des Wateringues.
Des récoltes entières de
betteraves pourrirent submergées sans que les cultivateurs aient eu le temps de
les mettre en lieu sûr et sec.
Il convient de remarquer que les
Moëres proprement dites, en raison de la rapidité avec laquelle on pouvait les
couvrir d’eau, ne furent jamais englobées dans les inondations « préventives ».
Dans la journée du 25 octobre,
aux heures les plus critiques de la bataille de l’Yser, le général Foch
convoque à Cassel le Gouverneur de Dunkerque et le commandant du Génie de la
Place pour aviser aux moyens de tendre largement les inondations en utilisant
cette fois l’eau de mer. Le général Bidon revient de Cassel avec l’ordre
d’ouvrir les écluses de Dunkerque à la prochaine haute mer, c’est-à-dire le
soir même à minuit. Mais de son côté, le baron de Brocqueville, premier
ministre belge, avisé par le Q.G. belge, très inquiet de voir que les nouvelles
inondations prévues pour protéger la vile se trouveraient aussi tendues
derrière les troupes belges, les mettant ainsi entre le feu des Allemands et
l’eau des Alliés, avait téléphoné directement au général Foch : « que
si l’on continuait à tendre une inondation aussi préventive, il ne resterait
plus qu’une ressource à l’armée belge, mettre bas les armes et évacuer le dernier lambeau de son territoire,
c’est-à-dire ouvrir à l’ennemi la route de Dunkerque ».
A la suite d’une intervention
aussi importante et aussi justifiée, ordre fut donné au général Bidon le soir
même à 23 heures, de ne pas ouvrir les écluses de Dunkerque à minuit.
En mai 1915, la stabilisation du
front permis de supprimer l’inondation « protectrice » de Dunkerque
qu’il ne faut pas confondre avec les inondations de l’Yser. L’asséchement
commença le 7 juin, sous la direction du service du Génie et avec la
collaboration du Service de Santé. Le plan d’eau fut progressivement abaissé,
des équipes de soldats circulant dans les zones inondées à l’aide de petits
bateaux métalliques appartenant à la distillerie Collette, utilisèrent quatorze
tonnes de chaux vive, d’huile et de pétrole pour la désinfection des terrains.
Finalement les 25 et 26 juin un
dernier et puissant tirage à la mer termina les opérations. Grâce aux mesures
sanitaires prises, l’on observa aucun cas de paludisme dans la population. Les cultivateurs
suivaient « pas à pas » le retrait des eaux et bien souvent avant de
labourer ils furent obligés de faucher les roseaux qui couvraient des centaines
d’hectares.
* * *
En 1918, lors de la grande
offensive allemande dans les Flandres, les inondations paraissent à nouveau
indispensables à la protection du camp retranché.
La Sous-Préfecture organise un
service prêt à recueillir les populations et les bestiaux des villages qui
seraient totalement inondés. En prévision de ces nouvelles inondations, l’on
avait exécuté des levées de terre sur près de dix kilomètres aux limites des
terrains inondables. Les chaussées des routes avaient été relevées jusqu’aux
approches de Saint-Omer. Tout était prêt lorsque le général Foch ordonna aux
général Pauffin de Saint-Morel de tendre les inondations. Les précautions
avaient été si bien prises que le soir même (13 avril 1918) les inondations
commencèrent à se répandre dans la région Bergues-Watten. Les eaux atteignirent
bientôt la ligne Ghyvelde-Hondschoote et les terrains avoisinant un vaste dépôt
de munitions de l’armée belge sur le territoire de Loon-Plage. L’inondation est
alors si importante que l’armée belge doit exécuter des travaux, levées de
terre, digues, éclusettes, etc. pour éviter que les eaux ne pénètrent sur le
territoire belge entre Houtem et le canal de Furnes à Dunkerque.
Une tranchée avait été ouverte
pour relier directement le canal de Furnes avec les fossés des fortifications
en communication avec la mer. Près de cette « coupure », les Anglais
installent de puissantes pompes pouvant débiter jusqu’à 60.000 mètres cubes à
l’heure pour augmenter la rapidité des inondations.
Quatre mois s’écoulent et le 2
août arrive du G.Q.G. un ordre du maréchal Foch apportant une nouvelle attendue
impatiemment par les cultivateurs : « L’on peut faire baisser
dès maintenant et progressivement le niveau des inondations. »
Les méthodes d’asséchement et
désinfection de 1915 entrèrent en application. Au fur et à mesure que les
terrains émergent, des équipes de travailleurs recouvrent de chaux vive les
amas de détritus organiques. Sur la surface des flaques d’eau qui persistent
dans les bas-fonds l’on verse du pétrole pour la destruction des moustiques.
Le 25 août, les inondations
« défensives » n’existaient plus qu’à l’état de souvenir. Elles
avaient rejoint, dans l’histoire, leurs grandes devancières de 1583, de 1648,
de 1657, de 1793 et de 1814.
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