Par André BASQUIN, in « Cent
grandes figures françaises », librairie Gründ, Paris, 1956, 574 p.pp 313-314
Frédéric Sauvage, né à Boulogne-sur-Mer e,
1786 fut d’abord employé au Génie militaire puis devint constructeur de
navires. C’est en cette qualité qu’il inventa l’hélice marine dont il étudia
longuement la forme et les proportions. Malheureusement, pillé par d’avides
plagiaires, il ne put profiter matériellement de sa découverte.
Alphonse KARR (écrivain
français, 1808-1890) racontait ainsi son
histoire, il y a juste cent ans : un soir d’été de 1843, on vit entrer
dans le port du Havre un magnifique bâtiment s’avançant majestueusement sur les
eaux. C’était le Napoléon, c’est-à-dire
le premier bateau à vapeur à hélice, la réalisation d’un problème longtemps nié
et traité d’absurdité et de folie.
D’après la chronique des journaux
du lendemain, le Napoléon, vapeur
nouveau modèle, construit au Havre pour le compte de l’Etat par M. Normand,
revenait de Cherbourg où il était allé pour éprouver sa marche et ses machines.
Il avait fait le trajet en sept heures. « C’était, ajoutaient les journaux »
le premier bâtiment auquel est appliqué le « nouveau système » de
propulsion consistant en un « vis » ou « hélice » mue par
la vapeur et qui, placée à l’arrière et immergée, tourne dans l’eau avec une
vitesse incomparable. Il y avait à bord du Napoléon
toutes les notabilités scientifiques et maritimes. »
Un homme cependant n’était pas à
bord, un homme qui aurait dû compter parmi ces « notabilités » et
prendre, le premier, part à cette petite promenade triomphale : c’était
Frédéric Sauvage.
Et savez-vous où il se trouvait
au moment où l’on prônait – enfin ! – son invention et où on escomptait
ses avantages et ses bénéfices ? En prison. Pour une misérable dette
contractée justement pour mettre son hélice au point !
Alphonse KARR en fut vivement péiné
et alla le voir dans sa prison. Sauvage, seul et isolé du monde, ignorait son
triomphe. Il s’était installé dans sa cellule aussi confortablement que
possible. On l’avait autorisé à jouer du violon. Avec les cordes qui se
cassaient, il faisait toutes sortes de machines ingénieuses. Il trouva aussi,
en construisant un bateau avec son couteau, le moyen de réduite presque à rien
le poids d’un bâtiment remorqueur.
Bref, M. Normand, le constructeur
du Napoléon, fut décoré de la main de
Louis-Philippe, et Sauvage – tiré de sa prison par on ne sait qui – se vengea
en démontrant que son hélice, altérée par de mauvais copistes, avait été mal
appliquée au Napoléon ! On
découvrit vite alors les défauts de ce navire et l’on perfectionna ceux qui lui
succédèrent d’après le système complet du véritable inventeur.
Il n’en eut même pas la gloire ni
les profits ! Son brevet, expiré, était tombé dans le domaine public sans
qu’il eût le moyen de le continuer et l’hélice triomphante s’appliquait à
toutes les marines de l’Europe, consommant l’œuvre de Watt et de Papin et
rapportaient des millions à d’autres, tandis que Frédéric Sauvage mourait fou
et inconnu à l’hospice de Picpus, à Paris, en 1857, avec une pension de 2.000
francs… par an !
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