In A. Chatelle & L. Moreel « Dunkerque libérée,
juin 1944-mai 1945 », éditions SILIC, Lille, 1954, 203 p., pp. 68-70
« D’ouest en est, la poche
allemande s’étend sur 20 kilomètres de côtes, de Mardyck à Bray-Dunes. Au sud,
elle atteint les abords de Bergues. Elle affecte la forme d’un rectangle de
vingt kilomètres sur huit, dont une grande partie est submergée.
S’il est une place qui justifie
la « promotion » au titre de forteresse (comme disaient avec ironie
Von Rundstedt et con état-major ) dont le Führer s’est plu à honorer les
ports qui jalonnent le mur de l’Atlantique, c’est bien sans conteste Dunkerque.
Lorsqu’après la guerre, l’on fit l’inventaire des défenses de la côte de la Mer
du Nord, on trouva le secteur littéralement truffé de batteries de tous
calibres, allant jusqu’au 210. De Zuydcoote à Fort-Mardyck, ce n’était pratiquement
qu’une batterie continue. Le secteur de la pointe du Clipon, tombé entre les
mains des Canadiens après la chute de Gravelines, ne comportait pas moins de 19
pièces de 210 : la batterie des Dunes, avec six canons pouvant tirer sur
tout l’horizon, la batterie de la Chapelle, avec neuf pièces, la batterie de la
ferme Masson, aux Huttes, avec quatre 210. A Loon-Plage, il y avait quatre 155.
Plus, bien entendu, toute la DCA, radar, postes de direction de tir sous béton,
nids de mitrailleuses, champs de mines, etc… A juste titre, les Allemands
avaient particulièrement fortifié cette pointe de terre qui commande
étroitement l’entrée du chenal de Dunkerque.
Déjà en 1940, sitôt forcé le
passage de l’Aa à Gravelines, ils s’étaient empressés de mettre en position au
Clipon leur artillerie de 105 tractée pour interdire le chenal ouest de
Dunkerque aux navires de l’évacuation. Ceux-ci avaient dû en conséquence
prendre la route directe à travers les bancs, ce qui ne leur évitait pas d’ailleurs
de passer sous le feu allemand car ils devaient tourner à la bouée 6 W, presque
en face de Mardyck.
Cette puissante artillerie du
Clipon ne nous intéresse déjà plus. Elle est tombée aux mains de la 2e
Division Canadienne, et c’est maintenant le colonel Leakey, commandant le 7th
royal tank régional britannique qui a établi son PC dans l’énorme blockhaus
édifié à la sortie de Loon-Plage.
Mais l’amiral Frisius en a de
reste pour se défendre. Il n’est pas nécessaire d’infliger au lecteur la longue
et fastidieuse énumération des pièces de tout calibre qui lui permettent encore
de battre profondément la périphérie du camp retranché de Loon-Plage à Socx,
Quaedypre, Hondschoote et Adinkerke. (…)
On evaluait au début d’octobre (1944)
les forces de Frisius à plus de 13.000 hommes. C’était bien plus que le
maréchal Montgomery n’avait l’intention de laisser en barrage devant Dunkerque,
lorsqu’il avait donné l’ordre au général Crerar, le 27 septembre, de pousser
toutes ses forces le plus vite possible en direction des bouches de l’Escaut.
Nous verrons tout à l’heure de quoi se composent ces forces d’investissement et
comment elles vont s’accroitre progressivement sans atteindre jamais le chiffre
des forces allemandes qui compteront encore au moment de la reddition, 12.000
hommes dont 2.000 appartenant à des formations de SS.
Or, au début du mois de septembre
1944, lorsque Von Zangen avait commencé sa retraite vers l’Escaut maritime, la
garnison allemande de Dunkerque s’élevait à peine à 3.000 hommes. Si le 21e
Groupe d’Armées avait pu lancer une partie de ses forces directement sur
Dunkerque au moment de son avance sur Anvers, il est vraisemblable que la place
serait tombée presque sans coup férir. Les passages de la Lys avaient été forcés
dès le 6, et la presque totalité des Flandres françaises libérées. Au prix d’un
dernier effort, on pouvait peut-être atteindre Dunkerque et couper du même coup
de l’Escaut une partie de la 15e Armée allemande.
(…)
Au contraire, Montgomery, en 1944,
a comme objectif essentiel Anvers et la côte belge. En poussant ainsi vers le
Nord-Est, il a laissé plus de champ à Von Zangen pour sa retraite, et nous
savons comment celui-ci en a profité. D’autre part, la Iere Armée canadienne n’est
pas assez forte pour mener de front l’attaque du Havre qui va retenir tout le
Ier Corps jusqu’au 12 septembre, et celle des ports du Nord, qui sera l’œuvre du
IIe Corps. C’est pourquoi Boulogne et
Calais ont été attaqués l’un après l’autre. Il eût peut-être été d’un meilleur
rendement de commencer par Dunkerque qui se trouvait, à cette époque, la place
la moins garnie de troupes. Mais Boulogne et Calais, c’était les grosses
batteries de Gris-Nez, les aires de lancement des V-1, et nous savons ce que
cela représentait de terrifiant pour les Anglais.
Pendant tout ce mois de
septembre, les choses ont changé à Dunkerque. Dès avril 1944, la Kriegsmarine
avait procédé – au Freycinet VI – à de savant essais de destruction. Les pionniers
enfoncèrent à 2 m.50 de profondeur, tous les 20 mètres, des obus de 70
centimètres de diamètre. Ils les placèrent à trois mètres des quais. Leurs
premières tentatives n’ayant pas donné les résultats escomptés, ils
augmentèrent les charges des explosifs et les enterrèrent plus profondément.
Des brèches de 26 mètres de
longueur et de 12 mètres de largueur s’ouvrirent dans les quais lors de chaque
explosion. Ils parvinrent par la suite à les détruire systématiquement.
L’amiral Frisius qui s’attendait
à subir l’assaut allié avait donné l’ordre de poursuivre les démolitions
portuaires, tandis que ses forces s’accroissaient rapidement. De Boulogne et de
Calais, il lui arriva 2 à 3.000 hommes. Il s’en replia d’Ostende, de Nieuport.
Finalement, tout ce qui n’avait pas réussi à gagner la poche de Breskens revint
faire tête sur Dunkerque, exactement comme les armées alliées en 1940. Non plus
pour s’échapper par mer, les Allemands n’en avaient pas les moyens, mais avec l’ordre
d’y résister jusqu’au bout. »
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