In E. Coornaert, « La Flandre
Française de langue flamande »,
Les éditions ouvrières, Paris, p, pp 59-61
Pendant les deux derniers tiers
du XIVe siècle, à travers les heurts et les drames qui relèvent de la grande
histoire, une femme d’un caractère exceptionnel mis sans aucun doute les
esprits en fréquent émoi dans le Westhoek : par la cascade déconcertante
de sa vie, par ses conflits incessants avec les plus hautes autorités civiles
et religieuses, par ses revirements politiques, et néanmoins par ses services
et bienfaits pour les communautés et habitants de ses domaines.
Fille du parfois douteux Robert
de Cassel et dame de cette ville, Yolande de Bar était née en 1326. En 1339,
elle fut mariée à Henri, comte de Bar. Elle fut veuve en 1344, à l’âge de 18
ans, ayant deux enfants. Elle se remaria en 1353, avec Philippe de Navarre,
frère de Charles le Mauvais, l’ennemi du roi Charles V. Philippe mourut dix ans
plus tard. Le fils d’Henri, Robert, fut investi en 1357, du Barrois, érigé en
duché. Yolande vécut la plus grande partie de sa vie, surtout au château de la
Motte-au-Bois. Elle le fit restaurer en 1380-1381, y reçut le poète français
Eustache Deschamps qui en célébra la beauté. Elle avait aussi une maison à Paris,
près de la rue Cassette, - déformation moderne de Cassel. Obligée de s’enfuir
devant l’expédition anglaise de 1383, elle alla d’abord à Paris, puis à Bar,
revint en 1384 et mourut à la Motte-au-Bois en 1395.
A la fin de sa vie, alors qu’elle
s’était déjà vu reprendre, par les Comtes de Flandres, Bergues, Furnes et
Nieuport, ainsi que Bailleul, ses « terres et possessions » étaient
composées des « châtellenies et villes de Dunkerque, château, châtellenie
et terre du bois de Nieppe, château, ville et châtellenie de Warneton, ville de
Gravelines, pont d’Estaires, ville et châtellenie de Bourbourg avec appendance
et dépendance, ville et châtellenie de Cassel, etc… ».
L’auteur qui lui a consacré l’étude
la plus développée a écrit : « il n’y a pas de personnage dont les
papiers existent à l’hôtel des archives du Nord qui ait fourni pendant plus de
cinquante années autant de lettres et autres pièces intéressantes. » Cette
dame de Cassel, en dehors de nombreux renversements de situation dans sa
famille, témoigna d’une criante désinvolture pour la loi morale et multiplia
les exemples de palinodies politiques.
En 1357, elle avait fait battre
de la fausse monnaie ; elle faisait jeter dans un puits deux chanoines de
Verdun, puis assassiner un troisième, lequel, à la vérité, était devenu un
brigand. En 1359, elle ravageait son comté de Bar où s’étaient produits de
troubles. En 1366, elle payait la rançon de son fils retenu à Metz pour dettes ;
en 1371, elle le faisait prisonnier. Cette même année, elle faisait périr un
sergent ou huissier du roi de France et un chevalier. Du coup, Charles V la fit
emprisonner au Temple, d’où elle ne sortit qu’en 1373, moyennant une rançon de
18.000 livres, payée par ses gens de Cassel. En 1377, elle faisait arracher de
l’église de Vieux-Berquin un homme qui s’y était réfugié, comptant sur le droit
d’asile, et le faisait mettre à mort. Aussi subit-elle en série excommunications
pour elle-même – en 1357, 1366, 1377 – et interdits sur ses terres – en 1366 et
1379. Encore en 1395, l’année de sa mort, de passage à Alost, elle était
arrêtée pour dettes.
Du point de vue politique, ses
relations et engagements connurent des vicissitudes tout aussi singulières. En 1344-1345,
après la mort du comte de Bar, Philippe VI de Valois l’avait soutenue contre
des compétiteurs. En 1349, elle prenait parti contre le même roi de France, lié
au comte de Mâle. En 1357, elle se rangeait aux côtés de Charles le Mauvais,
son beau-frère, contre Charles V – et le roi d’Angleterre faisait garantir ses
possessions en France par le Traité de Brétigny (1360). En 1379, après de
nouvelles difficultés, le roi lui accordait une amnistie et c’est d’abord à
Paris qu’elle s’enfuit devant les Anglais. Tout au long de son règne, elle fut
en procès avec les comtes. Louis de Nevers avait commencé à « retraire »,
morceau par morceau, les apanages de la seigneurie de Cassel. En 1391-1392,
Yolande cédait à Philippe le Hardi ce qui lui restait encore contre « recompensation »
(note : nous avons vu pourtant qu’au XVe siècle, le duc de Bar s’appelait
encore seigneur de Cassel) ; en 1395, le château de la Motte-au-Bois était
remis aux commissaires du duc de Bourgogne.
Les péripéties contrastées de la
vie et de l’action de Yolande offrent aussi des aspects moins dramatiques. Elle
était parfaitement capable d’œuvres de piété, de générosités diverses (lorsqu’elle
attendait une levée d’excommunication ou d’interdit ?). Son crédit dans la
région la fit choisir plusieurs fois comme arbitre entre des familles engagées
dans des guerres privées. Elle octroya des privilèges à Dunkerque en 1377, à Cassel
en 1378. En 1381, Dunkerque, Gravelines et Nieuport célébraient en son honneur
des réceptions solennelles. Elle aurait assisté à la messe chaque jour – voor goed, pour de bon, assurait
benoîtement le narrateur –, elle observait l’abstinence du vendredi ; en
1395, elle léguait par testament 100 livres de gros (une somme considérable) « à
pôvres filles pour engager à marier avec povres ouvriers » dans toute l’étendue
des terres qu’elle possédait. Sans doute ne faut-il pas juger d’un pièce. Les consciences
du Moyen Age (alors seulement ?) s’accommodaient souvent de failles
transitoires successives.
Evidemment singulière, la destinée
d’Yolande de Bar, dame de Cassel, n’en est pas moins riche d’enseignements. Elle
fut une féodale entichée de ses droits et de ses pouvoirs. Elle représente bien
pour nous une époque finissante : encore capable de mener une action
indépendante, elle se heurtait aux entreprises d’un Etat qui peu à peu
réduisait, absorbait dans tous les domaines les forces capables d’autonomie.
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