Michel HÉLUWAERT
Docteur en science politique.
Inspecteur (h) de la Jeunesse & des Sports.
m.heluwaert@cegetel.net
Montpellier, juin 2014
Dix
sept bâtiments de la Royale ont porté le nom du héros des Dunkerquois.
Il n’en subsiste qu’un seul. Il sera, d’ici quelques années, désarmé.
Dans les errements de la tradition il a toutes les chances d’être
ferraillé ou océanisé. Il attendra alors, simple numéro de coque, au
mouroir de Landévennec, le moment où, lentement, la pourriture et la
rouille en auront fait un objectif de tir. Le cas le plus symbolique de
cette absence d’intérêt pour nos unités navales est celui du
Dugay-Trouin qui, capturé par les Anglais à Gibraltar, devint
chez eux l’Implacable. L’Amirauté n’en ayant plus d’emploi proposa, à
la France, en 1947, de le lui rendre afin qu’elle en fit, à l’instar du
Victory, un navire-musée. Pays maritime dirigé par des ruraux, la France
déclina l’offre et le brave vaisseau fut sabordé, avec tous les
honneurs militaires dus à son rang, le 2 décembre 1949, au large de
l’Île de Wight.
La Duchesse Anne a failli subir un sort identique, mais Dunkerque l’a
sauvée. La frégate Jean Bart doit, comme elle, être l’objet de
la sollicitude de sa ville marraine. Il est indispensable de lui
trouver un sort correspondant à l’intérêt que les Dunkerquois portent à
leur héros. Il ne peut se résumer à une statue et à un hymne entonné
lors des grandes occasions locales. Descendant de Josse Elewart, matelot
dans les équipages des navires de Jean Bart, dont les fils ont
été déchargeur (Pierre Josse) et charpentier de navires
Matthieu), je pourrai, ce qui peut expliquer l’intérêt que je
porte aussi au Musée Portuaire, n’avoir que cet argument à pousser.
Je suis, surtout, soucieux de valoriser et améliorer l’image de ma
Cité natale. C’est ainsi que j’ai retrouvé la Princess Elisabeth
en espérant qu’on en fit le mémorial Dynamo. Comme je sais qu’il
faut, face aux décideurs, défendre des options autres que
sentimentales, je vais m’efforcer, au long des pages qui
suivent, de démontrer l’utilité de ce projet et d’en exposer les
modalités de réalisation. La transformation de la frégate en monument
historique (navire-musée) est une option positive sur le plan
mémoriel et économique. Support de la mémoire de laguerre de
courses et des corsaires dunkerquois, elle attirera ces nombreux
touristes en quête de souvenirs historiques. En synergie avec les
autres sites muséaux de la Ville, elle confortera le développement de
ses structures d’accueil touristique et participera à l’expansion de
l’économie locale.
Un mémorial Jean Bart doit s’appuyer sur l’exemple du Musée
Portuaire, c'est-à-dire disposer d’un site à terre et d’un autre à flot.
Le site à terre doit présenter plusieurs axes thématiques.
- La guerre de course.
- L’histoire des corsaires dunkerquois.
- Jean Bart, sa fratrie et sa légende.
- Les maquettes des unités navales ayant porté son nom.
Le
site à flot doit être facile d’accès pour la diversité des
publics (groupes,individuels et handicapés) souhaitant la visiter et
disposer de zones de stationnement.
Si le Musée Portuaire met en valeur les activités civiles, du port, le
Mémorial Jean Bart doit rappeler l’importance de son histoire navale.
J’ai évalué deux options de placement. Le placement en cale
sèche m’est apparu a priori intéressant car il évite le carénage
décennal, il est exploité pour le Victory, le Cutty Sark et, le Fram
présenté au sein d’un immeuble monumental. Il génère cependant des coûts
d’aménagement lourds, solution difficile à envisager en période
d’indispensables économies. J’ai donc opté, à l’instar de la
Duchesse Anne pour le placement à flot qui permet au visiteur,
suivant l’angle où il se place, d’admirer l’unité dans ses lignes d’eau.
L’idéal eût été que la frégate soit symboliquement placée dans le
Bassin de la Marine, mais les contraintes physiques du site en rendent
l’accès impossible.
Deux
solutions d’amarrage me sont apparues envisageables. La première
consistait à amarrer la frégate au long de l’avenue Maurice
Schumann, à l’extrémité Est du Freycinet 2. Elle permettait
d’apercevoir les superstructures du navire depuis le Parc de la
Marine. Cependant, l’étroitesse relative du site, pollué par un axe
de circulation important, ne facilite pas une réelle mise en valeur
proche du navire. On y trouve cependant trop de véhicules stationnés
dont la présence interdit, comme c’est le cas pour la
Duchesse Anne, une vision optimale du navire.
La
seconde, pour laquelle j’ai finalement opté est un amarrage à
l’extrémité Est du Freycinet 1, l’emplacement qu’elle occupe lors de ses
visites. Le site bénéficie d’un espace de quai assez large permettant
d’apprécier le navire dans ses lignes. La vue n’en sera pas bloquée par
un véhicule en stationnement car il existe, Place de l’Yser un espace
suffisant et extensible. Il offre également une autre vue depuis le quai
de départ. Lorsque la frégate est vue depuis le quai de Départ sa
masse s’harmonise avec les toits des immeubles Piquet, ceux de l’ancien
entrepôt des tabacs, ceux des petits immeubles à gâbles traditionnels
de la place de l’Yser et les huniers de la Duchesse Anne dépassant
l’ensemble des toits. Cette conjonction de symboles valorise l’image de
Dunkerque.
Il reste à définir son organisation, deux options sont possibles.
- La première consiste à créer, entre la rue de l’Université
et le quai du Freycinet 1 Est, un site (sur un seul niveau soit # 100
m sur 15 à 20 => 1500 à 2000 m 2) comprenant les salles de
présentation, la billetterie et l’inévitable boutique
librairie-souvenirs. Son avantage réside dans une jonction physique
entre le navire et le musée. Les visiteurs pénètrent dans le musée,
suivent un circuit les initiant à l’histoire et aux missions
de la Royale, embarquent à bord du navire et…. sortent par la
boutique. Elle impose la construction d’un immeuble… avec les coûts
afférents….
-
La seconde réside dans le développement, au sein du Musée Portuaire,
d’un très vaste espace dédié à Jean Bart à partir de l’extension de ses
surfaces d’exposition dans l’actuel bâtiment des Archives qui seront
prochainement libérées par l’aménagement de la Halle aux Sucres,
voire même du bâtiment voisin. Apparemment moins coûteuse et
pouvant se concrétiser assez vite, elle a pour défaut de disjoindre
les présentations à flot et à terre de la partie navale.
La gestion de la frégate-musée.
Le
Musée Portuaire, issu d’un projet des acteurs économiques et sociaux du
Port, est confié à une association de gestion qui pourrait prendre la
responsabilité de la frégate. Il existe, à Dunkerque, une association de
la communauté des marins de Flandres-Artois-Picardie, apte à assurer la
gestion et l’animation d’un navire-musée et de prendre un tel dossier
en main. Il suffit de lui faire confiance. La gestion du dossier «
frégate ». Diverses négociations sont à engager, dès lors que la
collectivité et la future association gestionnaire auront passé un
accord de principe sur la gestion du dossier.
-
Il faut obtenir l’accord de la Royale. Il devrait être a priori
favorable car une frégate-musée sera, dans la grande région Nord-Est, un
lieu de promotion de ses missions.
- Il faut obtenir des Affaires Culturelles que le navire soit classé au titre des Monuments Historiques.
- Il faut obtenir du Grand Port Maritime la décision de lui
affecter cette partie du quai sans lui imposer des taxes
insupportables.
- Il faut obtenir l’aval des services de sécurité (sanitaire => amiante et accueil du public)
Ces
opérations, longues en raison des viscosités administratives,
imposent d’engager très vite l’ensemble des négociations afin que tout
soit prêt au moment où la frégate arrivera à Dunkerque pour être
désarmée. Il ne reste que quatre à cinq ans. Les partisans du projet
doivent donc, par paroles et par écrits, convaincre et mobiliser
l’ensemble des autres acteurs.
Les réponses aux critiques.
Les opposants à ce genre de projet sont souvent pétris de
principes à partir desquels ils objecteront bien des choses
négatives. Tout est bon pour tenter de détruire ce à quoi on ne
croit pas.
-
En premier lieu, on avancera le problème de l‘amiante. On dira que le
navire en est bourré et que cette situation est préjudiciable à la santé
du visiteur qui y
passera une heure ou deux. C’est même, parfois, le discours de la
Royale… On peut faire observer aux détracteurs que les actuels
membres de l’équipage y sont confrontés bien plus longtemps à
l’année et que l’on n’a pas encore constaté chez eux de problèmes y
afférents.
- En second lieu, on évoquera le soi-disant cas d’école du Croiseur
Colbert. Il est nettement plus vicieux car il insinue qu’une grande
ville comme Bordeaux a su se débarrasser d’un tas de ferraille.
Une étude du problème avec des bordelais, notamment un ancien
ingénieur du port et un universitaire m’a apporté trois réponses :
- Technique : Le premier problème résidait dans l’amarrage du Colbert
aux Chartrons avec la gestion des variations de hauteurs d’eau
à un quai soumis à la marée. Le second s’est posé lorsqu’il a fallu,
comme pour la Duchesse Anne, envisager un grand carénage. Alors
qu’il a suffi, à Dunkerque, de déplacer le navire sur une
faible distance. Alors qu’il suffit, pour le Maillé-Brézé, d’un
simple remorquage à Saint Nazaire, le carénage du Colbert imposait de le
conduire soit à Saint Nazaire, soit à Brest. Le coût étant
insupportable, il semble qu’on ait, dans la tradition de la Royale,
choisi l’aller simple pour Landévennec.
- Politique : Le problème est différent. Le Colbert a conduit le
Général de Gaulle à Québec lors des évènements que l’on sait.
Pour Jacques Chaban-Delmas il était, un symbole de la politique
du Général, un mémorial de son action. Le souvenir du Québec libre
s’estompe….
- Économique : La vision d’Alain Juppé est tout autre qui a souhaité
libérer les quais des Chartrons pour accueillir des paquebots. Si le
Colbert était, dans les années 1990, le musée le plus visité de Gironde
(90 000 visistes annuelles), les retombées des escales de croisiéristes
sont sans commune mesure avec ce qu’il rapportait à la Ville.
- En troisième lieu on évoquera les coûts et la rentabilité. La
question vaut d’être posée surtout dans une période de
nécessaires économies. Un dossier de ce type induit des
dépenses d’investissement et de fonctionnement. On estime souvent,
dans le cas d’un investissement (sportif, culturel, scolaire,…)
relevant d’une collectivité territoriale que l’investissement ne
peut, à l’instar d’un investissement privé, être repris en
amortissement. On se penche alors sur le ratio frais de
fonctionnement/recettes, rarement positif sauf à considérer les
revenus sociaux immatériels des pratiques. Il me semble donc préférable
de commencer par l’évaluation des recettes afin de voir comment elles
peuvent atténuer, voire annuler les dépenses. Quelle qu’elle soit, la
contribution du visiteur ou de l’usager participe peu à
l’amortissement des frais de fonctionnement. Il existe une constante
économique et sociale. L’achat d’un billet d’entrée dans un site
public, culturel ou sportif, n’est, généralement, qu’une simple
participation aux frais. L’important d’un dossier de ce type
reste, pour qui se sent concerné par les problèmes économiques,
que l’importance de la durée et du nombre de visites d’un site conduit
le visiteur à consommer au moins un repas et, si possible, mais en
raison de la qualité des offres locales, une nuit car cela
signifie, outre l’hébergement, un repas supplémentaire.
La visite gratuite du Belfast est offerte dans le London Pass. La
visite gratuite du Maillé-Brézé est offerte dans le pass de Nantes.
Lors de l’escale de 2014, la frégate a accueilli (informations
données par la Marine) 1800 visiteurs le simple après-midi du samedi 1
er juin et 3 000 le dimanche. Or, un simple flux quotidien de
150/180 visiteurs extérieurs signifierait une fréquentation annuelle
moyenne de 45/54000 visites, soit 0,06% des 90 000 000 de personnes
résidant au sein de l’espace-temps des deux heures de TGV ou d’autoroute
pour atteindre Dunkerque.
C’est pourquoi je suggère cette petite anaphore d’évaluation.
- 50 000 visites à € 6.- rapportent € 300 000.-
- 50 000 repas à € 20.- rapportent € 1 000 000.-
- 50 000 nuitées à € 100.- (nuit + repas/personne) rapportent € 5 000 000.-
Ce
sont des paramètres à prendre en compte lors de la décision. La réponse
se niche dans le professionnalisme de l’Office du Tourisme. Je ne puis,
simple concepteur, que reprendre la vieille formule de la Royale.
Á vous le soin !
Annexe (Crédit photo Jean-Luc DELAETER)
La frégate, telle qu'elle serait vue du quai du départ
La frégate, telle qu'elle serait vue depuis le Freycinet 3
Qui a dit que la Royale n'intéressait personne ?
4.800 visiteurs sur un jour et demi !!!!
La photo ci-dessus montre la capacité du quai à accueillir un espace muséal dédié.
source de l'article : http://www.sous-mama.org