« 30 MAI :
Et la route me paraît interminable ! J’hésite à faire des haltes, la fatigue est telle qu’à peine assis les hommes s’endorment ! Le départ vient alors difficile ! Très peu de monde sur la route, presque tous se sont arrêtés à Uxem.
Nous arrivons à Malo-les-Bains. Au
lieu de m’arrêter là, j’ai la malencontreuse idée de vouloir aller à Dunkerque
et vais imposer de ce fait 12 kilomètres de plus à mes hommes. Oui, quelle
déconvenue j’aurai dans une heure en apprenant que les Français embarquent à
Malo-les-Bains et que Dunkerque est réservé aux Anglais.
Dunkerque ! Les maisons sont
effondrées et de celles-ci ne demeurent debout que les cheminées de briques,
les rues sont obstruées par les décombres et à travers ces ruines, il faut nous
frayer un passage. Je cherche la mer ! Enfin nous apparaît un grand
terrain vague… du sable ! Des voitures abandonnées encombrent ce terrain.
Ne sachant plus où aller et afin
d’éviter des fatigues supplémentaires à mes hommes, je commande repos sur
place, tandis que j’irai avec mon fidèle GALLET, à la recherche de
renseignements.
Les lueurs rouges qui des docks
bondissent par intermittence vers le fabuleux panache de fumée noire confondu
maintenant avec le ciel même, me permettent de distinguer dans le fond unpont
métallique.
J’arrive à ce pont qui est gardé
par des Anglais. Par bonheur, ils parlent français et comme je leur demande où
se font les embarquements, ils me répondent : « Les Anglais
embarquent près d’ici, mais vous, Français, il faut aller à Malo-les-Bains ».
Catastrophe ! Et cependant
pourquoi attendre ? Bientôt ce sera le jour ! Je réveillai mes hommes
à grand’peine, vérifié que nul n’avait été oublié et nous reprimes notre triste
marche. C’était la grande solitude, quelques maisons finissant de brûler, le
ronronnement de quelque avion, quelques lueurs provenant des départs et des
arrivées d’obus, mais tout cela loin de nous.
Enfin la mer : dans le
sable, ma marche devient très pénible, aussi je cherche le sable humide.
Blessé au talon, j’eus la
malencontreuse idée d’aller pieds nus. Bien mal m’en prit, car la marche ne s’en
trouva pas facilitée et voulant remettre mes brodequins, j’eus la désagréable
surprise de sentir pieds et jambes entièrement enduits de mazout. Sur la mer
flottait le mazout des navires coulés !
Les Anglais s’embarquent. Entrant
dans l’eau jusqu’à mi-corps, ils sont hissés sur des embarcations qui vont les
conduire de là au bateau stationnant à quelque distance de la plage. J’aborde
un officier anglais en lui demandant si je peux me joindre à eux. Réponse
négative : les Français embarquent à Malo-les-Bains.
Cette plage est immense et mes
pauvres hommes n’en peuvent plus. Sur le sable nous nous étendons et bien vite
je m’endors en invoquant Dieu de sortir de là, tandis que mon fidèle GALLET
part seul en direction de Malo à la recherche de renseignements.
C’est déjà le petit jour lorsque
je suis réveillé par un de mes hommes qui me fait remarquer que des Anglais
embarquent tout à côté de nous. Je dois tout tenter, aussi je vais à l’officier
qui dirige l’opération et pour bien me faire comprendre qu’il n’y a rien à
faire, il sort son revolver et me le braque sur la poitrine.
Très gentlemen !
Et nous reprenons notre marque
rendue plus pénible encore par cette soif que vous avons et que nous ne pouvons
pas satisfaire. Il me reste encore quelques cachous, j’en distribue quelques
pastilles à ceux qui me paraissent les plus déprimés. Je ne parviens plus à les
faire avancer et cependant la digue de Malo n’est plus loin. Une fois sur cette
digue, nous aurons la sensation d’être moins seuls et d’avoir atteint notre but !
Je vois une médicale devant un poste de secours. Je demande de l’eau et je prie
le Médecin-colonel qui, très aimablement, me tend un verre d’eau, de la mettre
à ma disposition pour conduire mes hommes à 1.500 mètres de là, à l’hôtel que j’aperçois.
Hôtel du Casino, si mes souvenirs sont exacts.
J’arrive à cet hôtel. Une roulante !
J’installe mes hommes dans les couloirs du 1er étage et moi-même au
milieu d’eux je m’étends sans rien demander. Il me semble que nous soyons au
bout de nos peines. En tout cas, nous nous sentirons désormais moins seuls !
J’espère que nous retrouverons notre Groupe, notre Régiment. L’impression de
solitude, d’isolement est la plus pénible qui soit. On sent alors peser sur ses
épaules la responsabilité totale. Tandis que, normalement, elle se retrouve tellement
répartie qu’elle est presque inexistante.
Je ne puis dormir et laissant là
tous mes hommes, je descends et je rejoins GALLET. Dans l’impossibilité de
marcher, je lui demande de me trouver deux bicyclettes afin de pouvoir
augmenter nos moyens d’investigation.
D’autre part, je l’envoie
réveiller mes dépanneurs pour qu’ils mettent au plus vite en ordre de marche
une voiture légère et deux camions afin de pouvoir véhiculer mon personnel ;
les voitures abandonnées se touchaient, voitures anglaises pour la plupart.
Certaines étaient irréparables, mais en prenant sur l’une ce qui manquait à l’autre
on devait pouvoir y arriver. »
In Capitaine SERRIGNY : « Souvenir
des onze mois de campagne de la 8e batterie du 104e
Régiment d’Artillerie , septembre 1909-août 1940 », dactylographié,
n.d. entre 1940 et 1944
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