Le bulletin N°2 de l'Amicale des Anciens de Marine-Dunkerque dresse le panorama de la ville entre la reddition allemande et le retour des habitants.. Il n'y a pas deux mois que la ville a été libérée et l'ampleur de la reconstruction est à peine appréhendée par les visiteurs...
Dunkerque… 5 ans après !
Bulletin mensuel de l’Amicale des
Anciens de Marine-Dunkerque, n°2 Juillet-août 1945, 6 pages, pp 4-5
« Après le dernier siège de
8 mois, au cours duquel 400.000 obus furent tirés sur l’agglomération
dunkerquoise, la désolation et le chaos le plus complet règnent sur la cité. Les
ruines du siège de 1940 ont disparu depuis longtemps et ont fait place aux
herbes folles. L’aspect n’en est que plus impressionnant.
DUNKERQUE, un mois et demi après
sa libération ne compte guère plus d’un millier d’habitants. Il est vrai qu’il
n’y a que quelques douzaines d’immeubles habitables.
La Basse Ville qui n’avait presque pas souffert des bombardements de
1940 a été copieusement arrosée d’obus pendant le dernier siège. Pas un
immeuble n’est intact. L’Eglise Saint-Martin est très endommagée.
Le quartier du Mail a également beaucoup souffert du dernier siège. La
rue de Calais est rasée ainsi que le quai de saint-Omer. La rue du Jeu de Mail,
très dévastée est barricadée par un tas de meubles et un corbillard renversé. Rue
des Passerelles, tous les immeubles sont debouts mais pas un n’est habitable.
Dans le quartier de la gare, les rues du Four-à-chaux, de la gare, du
chemin de fer sont des champs incultes, tandis que sur la place de la gare,
tous les immeubles sont debouts de même que rue de Saint-Pol, quai de Mardyck, avenue
Guynemer et rue de l’écluse de Bergues ; mais dans quel état, pas un n’est
habitable ! Rue Belle-Vue, un immense blockhaus a remplacé les maisons
détruites en 1940.
Le monument des fusiliers marins
a reçu une bombe de plein fouet et est à moitié démoli. La sous-préfecture est
intacte mais l’annexe a reçu une bombe. Les Bains et la piscine ont été
dévastés par les obus. La rue Thiers subsiste, mais tous les immeubles partant
du coin de la place de la République jusqu’à l’Hôtel Métropole sont rasés. Le
Palais de Justice est très endommagé.
La partie de la ville comprise entre la place de la République et le canal
de Furnes a gardé, à peu de choses près, son aspect de 1940. Relativement peu
de destructions totales dans ce secteur, mais très peu d’immeubles habitables
pourtant, tous ayant été plus ou moins endommagés par les obus.
Le centre commercial et la partie Nord de la ville ne sont plus qu’un
désert. En parcourant ses rues, pour la plupart dépavées et défoncées, on se
remémore les bombardements massifs du siège de 1940 qui furent la cause de ce
désastre.
Sur la place de la République ne se dresse plus que le monument aux
morts de la guerre de 1870, derrière lequel un mur édifié par les « occupants »
porte l’inscription « Soldaten Kino – Palais Jean Bart ».
Place Jeanne d’Arc, les quelques immeubles survivants de 1940 ont
été détruits par les obus et par les bombes. Que de souvenirs évoque pour nous,
anciens marins, cette place ? hélas, l’Hôtel de la marine, siège de « Marine-Dunkerque »
a disparu pour laisser pousser l’herbe et aussi faire place à un immense fossé
antichars en béton, profond de plusieurs mètres. En face, des monceaux de
briques et poutres enchevêtrées rappellent l’emplacement de l’Intendance
Maritime. Le Parc de la Marine est méconnaissable : les arbres ont été
abattus pour laisser le champ libre à la construction d’un immense blockhaus.
Le « boulevard » (rue Alexandre III) est également envahi par l’herbe
sous laquelle on peut distinguer des
rails du tramway. Sur la place Jean-Bart,
qui est dépavée et transformée en steeple, notre corsaire se dresse toujours « paré
à aborder ». ce brave a reçu un éclat sur la joue gauche et a eu son sabre
ébréché par un autre. Son socle mutilé rappelle les grosses bombes tombées sur
la place en 1940. Les trois immeubles restés debouts à cette époque sont
toujours là (le fameux « canard » local) et l’immeuble néo-style d’à-côté.
L’église Saint-Eloi est en ruines et en face se dresse toujours le
vieux beffroi qui a été criblé d’obus. Pour aller rue de l’Amiral Ronarc’h, il
nous fait passer sur deux passerelles en bois, le beffroi est entouré d’un
fossé antichars en béton, garni de pieux et barbelés, celui-ci à l’exterieur d’un
gros mur percé de meurtrières.
Les Halles aux poissons ne sont plus qu’un amas de ferraille. L’église Saint-Jean-Baptiste existe
encore, mais est très endommagée. Enfin c’est la caserne Ronarc’h qui se trouve dans le même état qu’en 1940., c’est-à-dire
réduite à l’état de pans de murs. Elle est reliée au Parc de la Marine par deux
grandes grilles qui barrent complètement la rue des Fusiliers marins.
Quai des Hollandais, les hangars 13 et 14, siège du service auto de
« Marine-Dunkerque » ont disparu et il est impossible d’en connaître
l’emplacement, les herbes ayant envahi entièrement le quai.
L’Hôtel de Ville est en ruines, mais son beffroi de 75 mètres s’élève
toujours aussi fièrement vers le ciel. Il a fallu la guerre pour mettre ce
superbe édifice en valeur. La Vieille
Bourse et le collège Jean-Bart ont
disparu. Rue Clemenceau, trois immeubles délabrés persistent à tenir debout.
Place du Minck, on cherche en vain la statue de J.-B. Trystram. Le Minck est resté dans le même état qu’en
1940, sa charpente métallique pendant dans le vide ! A côté, la tour du Leughenaer est toujours debout, mais
cette fois, bien dégagée, sa base entourée d’une ceinture de béton.
Au bout de la rue Carnot, la Colonne de la Victoire est toujours
debout. La caserne Guilleminot a complétement disparu. Dans ce quartier, l’église
anglicane et la Prison « occupée » par les Allemands, existent
encore.
Parmi les bâtiments importants
qui subsistent encore dans le centre de la ville, citons : la Poste (très
démolie), le collège Lamartine (sans toiture), l’Ecole de Navigation et l’Ecole
de Commerce et d’Industrie, dont les ateliers ne forment plus qu’un amas de
ferrailles, le Musée Municipal, ou plutôt ses murs. De l’Hôpital Militaire, il
n’y a plus trace. Quelques pierres rappellent l’existence du Théâtre. Par
contre, la Bibliothèque est apparemment intacte, bien que de loin ce bâtiment
semble avoir été détruit par l’incendie. De près on s’aperçoit que ce n’est qu’une
illusion d’optique, due à un savant camouflage.
Dans la fameuse des casernes de
la Marine, il « reste » la maison n°15. (Avis, comme dirait le
S/Maître saco de service). Le n°5 de la rue de Rosendaël est encore là
également. Les deux grands châteaux d’eau sont également debouts, « camouflés »
et endommagés par les obus. La caserne Veruel
est en assez bon état (c’est dommage). De la caserne Jean Bart, il ne
reste que les murs. L’arsenal est très endommagé.
Quai des Jardins, la caserne Pagezy est en bon état et abrite bon
nombre de prisonniers allemands. A côté, la salle Jeanne-d’Arc, siège de la « réserve
générale » de Marine-Dunkerque, semble intacte.
En somme, la plupart des
destructions remontent à 1940 et sont l’œuvre des bombardiers de la « Luftwaffe ».
les Allemands, durant leur occupation de cinq ans n’ont opéré aucune
destruction d’immeubles, mais ils ont fait sauter de nombreux ponts en
septembre 1944 (plus de 20), en particulier les sept grands ponts métalliques
sur le canal exutoire et le grand pont du chemin de fer sur le canal de
jonction.
Quoi qu’il en soit, la ville de
Dunkerque est détruite dans une proportion d’environ 90%.
Que dire des villes de la
banlieue ? Celles-ci ont payé un très lourd tribut au dernier siège. Seule
la ville de Malo-les-Bains a très peu souffert des bombardements d’artillerie. Certes,
un tiers environ de la ville est rasée, mais ces destructions remontent à 1940.
Dans les rues de Malo, on y rencontre les objets les plus inattendus :
ici, c’est une locomotive, plus loin une batteuse, enfin, près de la place
Turenne, c’est un tas d’énormes obus en bois et en tôle qui attire l’attention.
Ces derniers servirent au parachutage de vivres, courriers, etc. pendant le
dernier siège.
L’Hôtel du Casino a été rasé par les Allemands et remplacé par un
formidable blockhaus qui servait de PC à l’amiral Frisius. Le quartier du
Kursaal n’est qu’un désert. La digue est envahie par le sable et la plage
transformée en un immense champ d’asperges (pieux Rommel) et de barbelés. Disparus
nos glorieux navires Adroit, Jaguar et Chasseur-9. Même le Floride
a fondu sous les chalumeaux allemands ! La vue se perd sur l’immensité
glauque de la Mer du Nord sans rien rencontrer à l’horizon ; pas une « voile
en vue », c’est le cas de le dire.
Rosendaël, qui avait beaucoup
souffert des bombardements de 1940 a encore eu plusieurs centaines d’immeubles
détruits dans le dernier siège. Le quartier de la gare et le faubourg de la
Tente Verte, en particulier, sont en ruines. L’église saint-Zéphirin est
anéantie, tandis que l’église du Notre-Dame-du-Sacré-Cœur, il ne reste que le
clocher. Néanmoins, certains quartiers ont été épargnés et ont gardé leur physionomie d’autrefois, tel le quartier
du stade et celui de l’hôpital, qui n’ont reçu que quelques obus.
Sur le canal de Furnes, tous les pont sont détruits.
Coudekerque-Branche, qui avait été relativement épargnée en 1940, a
eu un millier d’immeubles détruits et un autre millier gravement endommagés au
cours du dernier siège. En outre, de nombreuses maisons sont minées. Toutefois,
certains quartiers ont peu souffert, en particulier le boulevard Jean-Jaurès et
toutes les rues de part et d’autres de ce boulevard. Sur le canal de Bergues,
les ponts sont sautés, sauf le pont Saint-Georges, qui est intact.
Saint-Pol-sur-Mer, qui avait un peu souffert en 1940, compte
également beaucoup de destructions dues aux obus. Très peu de maisons sont
intactes et il y a beaucoup de mines et de pièges de toutes sortes. Les ponts
sur le canal de Mardyck subsistent, mais ceux sur le canal de raccordement sont
détruits.
Petite-Synthe, pratiquement intacte avant le dernier siège, compte
plus de 700 maisons détruites et plusieurs centaines d’autres gravement
endommagées. Une église sur deux est démolie.
Les villes de la banlieue
comptent environ une dizaine de milliers d’habitants actuellement et je pense
que le chiffre de 40.000 pourrait être atteint vers la fin de l’été.
A mon avis, le nombre d’immeubles
détruits dans Dunkerque et sa banlieue peut-être évalué à environ 8.000, soit
50% (dont 3.000 pour Dunkerque même).
Dans le domaine industriel, les
dégâts sont considérables. Presque toutes les usines sont détruites ou
gravement endommagées, en particulier les filatures et les tissages de jute,
les huileries et les usines métallurgiques. Une seule usine est en état de
fonctionner (conserves alimentaires) sur plusieurs douzaines. A signaler, l’usine
des Dunes a eu ses 14 cheminées rasées ! Par ailleurs, une demi-douzaine
de brasseries (sur deux douzaines) pourront reprendre leur fabrication d’ici
quelques mois »
HAYOT, secrétaire de la
Section Nord