« Le royaume était déjà presque épuisé par de longues
guerres lorsque Louis XIV entreprit la plus grande affaire de son règne,
l’établissement d’un de ses petits-fils sur le trône d’Espagne. Le roi
d’Espagne Charles II, frère de la reine de France Marie-Thérèse mourut sans
prospérité (1700), Marie-Thérèse était morte déjà, mais Louis XIV prétendait à
la succession pour ses enfants. D’ailleurs, par un testament qu’on avait su
obtenir de lui, Charles II avait laissé la monarchie espagnole, qui comprenait
l’Espagne, les Pays-Bas, le royaume de Naples, à un petit-fils de Louis XIV, le
duc d’Anjou. Louis, malgré les périls
qu’il prévoyait, accepta le testament.
L’Europe s’effraya de la puissance que cet avènement d’un
prince français au trône d’Espagne donnait à notre pays et alors commença une
guerre acharnée qui se prolongea treize ans.
Les premières années, Louis XIV soutint la lutte avec
avantage, les généraux français eurent pourtant affaire à de redoutables
adversaires, tels que le général anglais Churchill, duc de Marlborough, et le
prince Eugène de Savoie. Le maréchal de Villers gagna les deux batailles de Friedlingen et d’Hochstedt. Pendant qu’il était occupé en France à réprimer la
révolte des Camisards ou protestants des Cévennes, la fortune de nos armées
changea. Celles-ci avaient eu la supériorité aux Pays-Bas, en Allemagne, en
Italie ; elles furent successivement obligées, devant les savantes
manœuvres de Marlborough et d’Eugène, devant les rudes coups qu’ils frappèrent
aux batailles de Blenheim, de Turin, de Ramillies, d’Oudenarde, de se retirer
en France.
En 1708, la France fut entamée. L’importante place de Lille
fut assiégée. Le maréchal de Boufflers la défendit avec une vigueur qui a rendu
son nom célèbre. C’est une des belles figures de notre histoire et elle mérite
qu’on s’y arrête : « L’ordre, dit Saint-Simon dans ses mémoires,
l’exactitude, la vigilance, c’était où il excellait. Sa valeur était nette,
modeste, naturelle, franche, froide, il voyait tout et donnait ordre à tout
sous le plus grand feu, comme s’il eût été dans sa chambre. Sa bonté et sa
politesse, qui ne se démentaient en aucun temps, lui gagnaient tout le monde,
son équité, sa droiture, son attention à prendre conseil, sa patience à laisser
débattre avec liberté, sa délicatesse à faire toujours honneur de leurs
conseils, quand ils avaient réussi, à ceux qui les lui avaient donnés, et des
actions à ceux qui les avaient faites, lui dévouèrent tous les cœurs. Les soins
qu’il prit en arrivant pour faire durer les munitions de guerre et les vivres,
l’égale proportion qu’il fit garder en tous les temps du siège, en la
distribution du pain, du vin, de la viande et de tout ce qui sert à la
nourriture, où il présida lui-même, et les soins infinis qu’il prit lui-même
des hôpitaux, le firent adorer des troupes et des bourgeois.
« Accessible à toute heure, prévenant pour tous, il
fatiguait pour tous, se trouvait partout et sans cesse voyait et disposait par
lui-même. Il couchait tout habillé aux attaques et il ne se mit pas trois fois
dans son lit depuis l’ouverture de la tranchée. On lui reprocha qu’il
s’exposait trop ; il le faisait pour tout voir de ses yeux et pourvoir à
tout à mesure ; il le faisait aussi pour l’exemple et pour sa propre
inquiétude que tout allât et s’exécutât bien. Il fut légèrement blessé
plusieurs fois, s’en cachait tant qu’il pouvait et n’en changeait rien à sa
conduite journalière ; mais un coup à la tête l’ayant renversé, il fut
porté chez lui malgré lui. On le voulut saigner, il s’y opposa de peur que cela
lui ôtât des forces, et voulut sortir. Sa maison fut investie, il fut menacé
par les cris des soldats, qu’ils quitteraient leurs postes s’ils le revoyaient
de plus de vingt-quatre heures, il les passa assiégé chez lui, forcé à se
saigner et à se reposer. Quand il reparut, on ne vit jamais tant de
joie. »
Boufflers, malgré l’héroïsme de sa défense, ne put sauver la
ville, mais l’ennemi, pour rendre hommage à sa valeur, lui accorda la
capitulation la plus honorable. Boufflers ne crut pas tout terminé. Il avait
tenu deux mois dans la ville, il se retira dans la citadelle où il tint encore
deux mois. A bout de munitions et de vivres, il ne rendit la citadelle que sur
un ordre écrit de la main du roi. Le prince Eugène, qui commandait l’armée
ennemie, rendit les plus grands honneurs à Boufflers qui demeura libre et fut
créé par Louis XIV duc et pair. Sa réception au parlement fut un
triomphe : en y allant, « il trouva, dit Saint-Simon, par les rues et
dans le palais, sur tout son passage, une grande foule de peuple criant et applaudissant :
je ne vis jamais spectacle si beau, ni si satisfaisant, ni homme si
modeste. »
In Gustave Ducoudray – Cent récits d’histoire de France –
deuxième édition, Hachette, Paris, 1878, np, récit LXXXI
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