Saint Bertin naquit au
début du VIIe siècle, aux environs de Coutances, en Normandie. Sa famille,
noble et riche, le destinait à occuper un rang distingué dans le monde; mais
Dieu jugea à propos de l'appeler à Son service.
Enfant sage et pieux, il
résolu très vite d'entrer en religion pour suivre les traces de son parent,
saint Omer, il se retira, vers l'an 620, en compagnie de Mommolin et
d'Ebertramne, aussi originaires des environs de la ville de Coutances, au
monastère de Luxeuil, Il y fut reçu par saint Eustaise. Fervent religieux, il
devait vite faire l'admiration de ses pairs unissant contemplation et études,
il fit de rapides progrès dans la connaissance de l'Ecriture sainte et de la
discipline ecclésiastique et devint en peu de temps un modèle de vertu. Après
20 ans dans cette abbaye, il eut à savoir que son parent Omer était appelé à
occuper le siège épiscopal de Thérouanne. Bertin, Mommolin et Ebertramne se
rendirent dans ce pays, prêchant avec succès dans différentes parties de la
Gaule, qu'ils traversèrent. Saint Omer eut la joie de voir bientôt la face de
son diocèse entièrement changée par leur zèle missionnaire.
Saint Omer avait déjà bâti
sur une colline un oratoire, qu'il destinait à être son tombeau. Aujourd'hui
s'y trouve le village de Saint-Momelin. Il y plaça les trois missionnaires, qui
s'y construisirent un petit édifice connu sous le nom de Vieux Monastère, et y
vécurent sous la Règle de Saint-Colomban, l'évangélisateur irlandais. Mommolin,
le plus âgé, dut accepter la charge d'abbé. La renommée des moines suscita tant
de vocations qu'il fallut songer à créer un autre établissement. Parmi les
nouveaux convertis, se trouvait le seigneur Adrowald, qui avait donné à Omer
une de ses terres, appelée Sithiü, éloignée d'une lieue environ du Vieux
Monastère, dans le but d'y construire un hôpital . Omer estima qu'un monastère
dirigé par de tels hommes serait plus utile. Il n'eut pas de peine à faire
partager son opinion à Adrowald. En conséquence, il le détermina à faire aux
Saints la concession du terrain, consistant en une colline et un vaste marais,
au milieu duquel apparaissait l'île de Sithiu. Mais déjà à cette époque,
Ebertramne avait été placé par saint Mommolin à la tête de l'abbaye de
Saint-Quentin; en sorte que celui-ci et son compagnon durent seuls s'occuper de
la construction du nouveau monastère. Ils ne voulaient rien décider sans la
volonté de Dieu, clairement manifestée; c'est pourquoi, ne sachant où fixer
l'emplacernent, ils se mirent dans une barque, et la laissèrent errer sans rames,
au gré des flots. Remontant le cours de la rivière, comme si elle eût été
poussée par une main vigoureuse, la nacelle parcourut la vaste étendue d'eau et
s'arrêta en un certain endroit : les deux Saints y descendirent en chantant ce
verset du Psaume : "Voici
pour toujours le lieu de mon repos; j'y habiterai, parce que c'est le lieu de
mon choix". L'île de Sithiu allait les accueillir.
Il semble que Mommolin fut
appelé, sur ces entrefaites, à occuper le siège de Tournai-Noyon, en sorte que
Bertin resta seul chargé de poursuivre l'entreprise. En peu de temps, le
monastère fut construit, avec son église dédiée à saint Pierre. 150, et même
200 moines, y vinrent aussitôt prendre place. Bertin, devenu abbé, établit
parmi eux une parfaite discipline. Le saint exerçait sur son troupeau une
vigilance assidue; mais il avait soin de toujours donner l'exemple, "de peur", dit son
historien citant saint Paul, "qu'après
avoir prêché aux autres, il ne fût lui-même réprouvé". On
observait dans toute sa rigueur la Règle de Saint-Colomban. La nourriture
consistait en un peu de pain et quelques herbes ou racines; on ne buvait que de
l'eau. Comme à Luxeuil, les moines formaient différents choeurs, qui se
relevaient continuellement pour chanter les louanges du Seigneur. La prière ne
discontinuait pas, même pendant le travail s'ajoutant au silence, à l'esprit
d'ascèse, de chasteté, d'obéissance. D'autre part, on s'adonnait aux travaux
les plus pénibles. L'oeil s'étonne encore aujourd'hui à considérer ce qu'il a
fallu de patience et d'efforts à ces pieux solitaires, pour transformer un
vaste marais en une plaine fertile. On estime que la plaine a été exhaussée de
plus de 17 pieds dans toute son étendue. Rapidement, quelques nobles de la
contrée offrirent de nouvelles terres. Le fonds marécageux sur lequel le
nouveau monastère était bâti ne permettant d'y aborder qu'en nacelle, hormis
d'un seul côté, il n'était pas possible d'y établir un cimetière. Saint Omer
accorda à Bertin, pour cet usage, l'église qu'il avait dédiée à la sainte Vierge
sur la colline voisine. L'acte, signé par saint Omer, déjà aveugle, est du 6
mai 662, sixième année de Clotaire III. On y lit qu'Omer, par la grâce du
Christ évêque de Thérouanne, a construit, en commun avec les moines, et en
l'honneur de sainte Marie, Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ, une basilique
dans laquelle son corps doit être enseveli après sa mort, parmi ceux des moines
qui viendront de tous côtés à Sithiu pour y servir Dieu sous l'habit religieux.
Il ajoute qu'il met cette basilique sous le patronage de l'abbé Bertin, ainsi
que le monastère de Sithiu lui-même, sous toute liberté et immunité du pouvoir
épiscopal, selon qu'il est d'usage d'en accorder le privilège aux monastères
anciens ou nouveaux; en sorte que jamais à l'avenir aucun pontife ni clerc ne
puisse revendiquer ni transporter à Thérouanne rien de ce que les moines de
ladite basilique, vivant régulièrement sous la liberté évangélique, auront pu
recevoir soit d'un roi, soit d'un particulier, en champs, esclaves, or, argent,
livres sacrés, ou toute autre espèce d'objets servant au culte divin ou à leurs
besoins propres, tout ce qui peut être offert à l'autel, en quelque temps
qu'ils l'aient reçu; qu'on ne pourra prendre aucun repas sur leurs terres, à
moins d'y avoir été invité par l'abbé, afin qu'ils vivent à jamais sans
inquiétude et sans trouble sous la sainte règle, et puissent mieux prier Dieu
pour le bien de l'Eglise, pour la santé du roi et la stabilité du royaume, etc.
Saint Mommolin signa cet
acte en qualité d'évêque de Tournai-Noyon, et parmi plusieurs autres prélats et
personnages recommandables. En suite de cette concession, quelques moines
s'établirent autour de cette église, et y formèrent une communauté, qui fut
convertie en Chanoines réguliers, en 820. Vers 648, la ville de Saint-Omer
s'étant bâtie autour de la colline et ayant obtenu l'honneur d'un siège
épiscopal, cette même église devint cathédrale. La même année, sixième de
Clotaire III, saint Bertin échangea, avec son ami Mommolin, une propriété
nommée Vausune, dans le Cotentin, contre quatre villas que celui-ci tenait déjà
par échange de saint Ebertramne, abbé de Saint-Quentin. Le roi Clotaire et la
reine Bathilde signèrent ce traité.
Quand le saint évêque de
Thérouanne mourut, saint Bertin s'empressa de remplir son voeu, en inhumant ses
restes sacrés devant l'autel dédié à la bienheureuse Vierge Marie. Dieu
récompensa les vertus de l'abbé de Sithiu par le don des miracles. Son
historien cite avec complaisance le trait suivant : Un riche comte, nommé
Walbert, dont il était le confesseur, avait coutume devenir avec son épouse
Régentrude, voir le saint abbé pour écouter ses leçons, et recevoir sa
bénédiction après la Communion. Un jour qu'il avait manqué à ce devoir, on vint
prévenir Bertin que son ami Walbert était retourné chez lui, sans lui rendre sa
visite accoutumée."Je
le sais", répondit le Saint "et Walbert, avant d'arriver chez lui, aura lieu de se
repentir d'avoir négligé la bénédiction d'un vieillard". En
effet, peu après, un messager vint annoncer que le comte avait fait une chute
de cheval et était sur le point d'expirer. Il demandait pardon de sa faute, en
acceptait la punition, se recommandait aux prières de son père spirituel, et le
suppliait surtout de bénir quelque breuvage qu'il pût boire avant de mourir.
Bertin commanda aussitôt à un jeune moine d'aller chercher du vin dans un vase
qu'il lui désigna et comme le religieux affirmait que depuis un mois il n'était
pas entré dans ce vase une seule goutte de vin, l'abbé lui enjoignit de nouveau
d'obéir: ce que celui-ci ayant fait, il le trouva rempli d'un vin délicieux.
Bertin en bénit une coupe qui fut portée en diligence à Walbert. Au récit du
miracle qui venait de s'opérer, le mourant but avec confiance le breuvage
bénit, et recouvra aussitôt la santé. Plein de reconnaissance envers Dieu, il
donna à l'abbé de Sithiu de nombreux domaines; et, peu après, renonçant au
siècle, par le conseil du bienheureux, il alla prendre l'habit monastique à
Luxeuil.
Son fils, nommé Bertin
entra fort jeune à Sithiu, et y vécut très-saintement. On conservait ses
reliques dans l'église de Saint-Omer. Beaucoup d'autres seigneurs, nouvellement
convertis, vinrent aussi embrasser la Règle sous la direction de Bertin, qui
voyait chaque jour le nombre de ses moines augmenter. En 675, le bienheureux
signa, en compagnie de saint Mommolin et de plusieurs autres évêques, le
testament de saint Amand, évêque de Maastricht, en faveur de l'abbaye d'Elnon.
En 682, Thierry III, roi de Bourgogne et de Neustrie, accorda à bERTIN
l'exemption pour tout ce qu'il possédait sur le territoire d'Attigny. En 684,
un seigneur, nommé Analfride, donna à Bertin le monastère d'Honnecourt qu'il
avait fondé dans sa propriété sur l'Escaut, près de Cambrai, et dont sa fille
Auriane était abbesse. Il en réservait seulement l'usufruit pendant sa vie et
celle de sa fille. Après la mort de cette dernière, l'établissement passa aux
mains de Bertin, qui en fit un monastère d'hommes.
Un autre seigneur, nommé
Hérémar, avait donné à saint Bertin sa terre de Wormholt. En 695, le Saint y
fit construire un monastère et y envoya quelques-uns de ses religeux, sous la
direction de saint Winnoc, son disciple. C'était un jeune religieux qu'il évait
élevé dès l'enfance, et qui avait dignement profité de ses leçons. Il jeta dès
le début un grand éclat sur sa nouvelle fondation. L'église fut dédiée à saint
Martin, et elle deviendra plus tard l'église paroissiale de
Saint-Martin-de-l'île. Suivant Jean d'Ypres, Bertin fit construire entre
Wormholt et Sithiu un hôpital pour les pauvres, avec un chemin qui reliait les
deux monastères. Le même auteur ajoute qu'entre les deux portes de Sithiu on
avait établi une communauté de femmes appelées converses, qui, sans faire de
profession régulière, portaient un habit religieux, servaient les pauvres à
l'hôpital, réparaient les linges et les ornements d'église, et étaient chargées
de recevoir les mères, les soeurs et les autres parents des moines, à qui
l'entrée du monastère était interdite.
Saint-Bertin avait une
dévotion particulière à la sainte Vierge, à qui son couvent était consacré. Un
auteur n'hésite point à dire que c'est à cette première impulsion que le
monastère dut d'avoir toujours conservé une si grande dévotion à Marie, et
d'avoir donné tant de Saints au Ciel. C'est ainsi que Dieu semblait combler son
serviteur de faveurs spirituelles et temporelles. Les ravages du temps, les
incursions des barbares, en 847 et 868, et surtout les incendies, en 884, 1000,
1031 et 1152, en détruisant les monuments de l'abbaye de Saint-Bertin, nous ont
privés de détails sur la longue administration de saint Bertin. Nous savons
seulement que Dieu bénit en tout ses travaux, et qu'il fut l'instrument de
beaucoup de prodiges, que son humilité ne parvenait pas toujours à cacher. Mais
le plus grand de ses miracles, ce fut ce zèle infatigable au service de Dieu,
et cette vigilance incessante sur les âmes qui lui étaient confiées. Il avait
fondé et consolidé un monastère qui ne le cédait en rien aux plus florissants
de cette époque; pendant 57 ans, il l'avait administré avec sagesse, soutenu
par ses exemples, embaumé par ses vertus; la discipline la plus sévère y
régnait; il crut que l'heure de la retraite était venue pour lui car il avait
atteint près de 100 ans. Il songea alors à se démettre de sa charge. Son grand âge
en était le prétexte : au fond, le saint vieillard désirait consacrer ses
derniers jours à se préparer à l'éternité. Il choisit pour son successeur le
pieux moine Rigobert, et rentra dans la vie commune. Dès ce moment, il ne
s'appliqua plus qu'à la contemplation des choses divines. Il avait élevé, du
vivant de saint Omer, un petit oratoire en l'honneur de la sainte Vierge, près
du cimetière de ses moines, et l'avait fait bénir par le pontife : c'était là
qu'il venait habituellement se renfermer, passant les nuits en oraison,
macérant son corps par les jeûnes et les veilles, avec toute la ferveur d'un
jeune soldat du Christ. Il ordonna à Rigobert de construire, dans l'église du
monastère, une chapelle à saint Martin, pour lequel il avait toujours eu une grande
dévotion. Cette chapelle a été conservée avec soin pendant toute la durée de
l'abbaye de Saint-Bertin Malgré son âge et ses vertus, le bienheureux n'était
point encore à l'abri du tentateur. L'histoire raconte qu'une jeune libertine,
inspirée par le démon, vint un jour, sous prétexte de parler des intérêts du
couvent, mais dans l'intention secrète de lui tendre des pièges. Saint Martin
apparut alors au vieillard pour le prévenir de cette ruse perfide. Et lui,
plein d'une sainte indignation, s'arma du signe de la Croix et chassa cette
misérable. Mais, pour éviter le retour d'un semblable péril, il interdit
l'entrée du monastère aux femmes, sous peine d'excommunication. A la fin du
XIIIe siècle, cette loi était encore sévèrement maintenue. Rigobert n'exerça sa
charge que peu d'années. A l'imitation de son bienheureux maître, il rentra
dans la vie privée et se consacra exclusivement aux oeuvres de la piété. Bertin
nomma à sa place Erlefride, qui avait été élevé à Sithiu dès le bas-âge, et qui
soutint dignement l'oeuvre de ses prédécesseurs. Notre Saint, plein de vertus,
attendait avec calme sa récompense. Quand il sentit son heure approcher, il
assembla ses religieux, et leur recommanda de ne point quitter le lieu où il
les avait établis, mais d'y persévérer dans le service de Dieu et la pratique
des bonnes oeuvres. Puis il s'endormit paisiblement dans le Seigneur, le 5 des
ides de septembre (9 septembre) 709. Il avait passé 59 ans à Sithiu. Il fut
enseveli avec de grands honneurs par l'abbé Erlefride, dans la chapelle de
Saint-Martin, qu'il avait fait reconstruire.
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