« Jusqu’ici tout va bien ! » L’Etat adopte
vis à vis des Waeteringues l’attitude que celui qui tombe d’un immeuble en
disant cette phrase devant chaque fenêtre mais le problème, ce sont les 5
derniers centimètres ! En l’an Mil, les
marécages d’eau douce ou salée recouvrent 30% de la surface du
Nord-Pas-de-Calais – dont une bonne partie sur la côte – contre 1% aujourd’hui.
Seul souci : la nature a horreur du vide !
Au pays de la transgression
Au IIe siècle avant notre ère, le Dunkerquois est une forêt
marécageuse que la mer vient de recouvrir. Ayant peu d’abris, les populations
fuient ces lieux assez peu hospitaliers. Le géographe romain Strabon parle au
Ier siècle de notre ère d’une terre où la mer entre à chaque marée. Est-on
encore sur la terre ferme ? Il ajoute que les Morins qui peuplent la
région vivent sur de petites îles et construisent leurs habitations sur des buttes,
naturelles ou non, assez élevées pour être hors d’atteinte de l’eau et qu’ils
s’y réfugient en cas de danger comme les Frisons qui vivent sur leurs terpen.
Autant dire que les Romains éprouvent les pires difficultés dans cet
environnement hostile! Ce n’est pas un hasard si on ne trouve pas beaucoup de
traces de leur passage entre Cassel et la mer où ce ne sont que marécages
et populations agressives. Au IVe siècle, au moment où déferlent les hordes
germaniques venues de l’est, la mer revient inonder l’estuaire de l’Aa d’où
émergent quelques îlots, c’est la dernière « transgression
dunkerquienne ». La montée des eaux continue 300 ans puis se stabilise.
Les îles sont plus nombreuses mais la mer est emprisonnée par les cordons
dunaires naissants. Aux Xe et XIe siècles, la mer remonte encore les estuaires
jusque Bergues et Spycker. Au XIIe siècle, seules les dépressions dunkerquoises
comme les Moëres sont encore inondées. Il faudra encore 7 siècles pour arriver
jusqu’au rivage actuel.
Conquérir les terres
Dès le début du Moyen-âge, les moines oeuvrent à assécher
les basses terres mais leurs efforts sont souvent ruinés par les inondations
venues de la mer ou du gonflement des cours d’eau. En 1067, le comte Baudouin
de Lille octroie une charte à l’abbaye St-Winoc pour bonifier les terres de 13
paroisses. Ses successeurs offrent des concessions gratuites pour continuer le
travail mais Philippe d’Alsace rationalise l’entreprise au XIIe siècle en
les limitant aux seules terres réellement conquises sur les eaux. En 1169, il
donne aux chanoines d’Aire-sur-la-Lys des terres entre Bergues et Watten. Ils
créent le canal de la Colme depuis un affluent de l’Aa pour évacuer les eaux.
Le système gravitaire – en rejetant les eaux à marée basse – est
efficace ! Le comte fonde alors les Waeteringues pour organiser le
dessèchement partout et en même temps. Il divise le territoire en secteurs sous
la tutelle des Margraves, des gouverneurs qui délèguent le travail aux grandes
abbayes. Un siècle plus tard, les Moermaistres, véritables techniciens, les
supplantent. Les travaux sont régulièrement ruinés par la rupture des digues de
mer ou par de fortes marées jusqu’à ce que le Duc Jean Sans Peur construise une
digue définitive au XVe siècle (la fameuse « digue du Comte Jean »).
Quant aux institutions des waeteringues, elles survivent aux révolutions, aux
guerres, aux changements de souveraineté en se réformant régulièrement.
Pour une nouvelle transgression dunkerquienne ?
Pour protéger Dunkerque en 1914, on ne chasse pas les eaux
de la plaine. Peu de souci, l’eau douce stagne environ six mois, idem en avril
1918 pour contrer les dernières offensives allemandes. Plus dures sont les
inondations de 1940 et 1944 ! L’inondation par l’eau douce est entreprise
en 1940 mais les combats endommagent les écluses et l’eau de mer revient !
En 1944, l’occupant décide de faire entrer l’eau de mer. Dans leurs plans se
redessine le paysage du XIe siècle ! Par endroit, la hauteur d’eau peut
aller jusque 4 mètres. La situation dure alors 8 mois, plus dans les Moëres.
Le monde change plus vite que prévu. Si le réchauffement
climatique continue, la mer pourrait monter assez pour empêcher l’écoulement
gravitaire. Comment faire si les eaux sont à la même altitude que la
côte ? Ajoutons à cela la possibilité de très fortes tempêtes (nombreuses
ces dernières années) et une transgression serait d’autant plus facile que les
cordons dunaires sont maintenant des plus symboliques. Comme les activités
humaines ont largement ouvert le littoral, il faut imaginer ce que donnerait
une nouvelle transgression dans une région très peuplée, très industrialisée. A
l’image d’un verre renversé sur une table, rien n’arrêterait l’eau, qu’elle
entre dans les terres ou qu’on le sache plus l’évacuer. Parlera-t-on alors de
Saint-Pol-sous-mer ou de Cassel-les-Bains si les prévisions des
climatologues s’avéraient exactes ? Les 5 derniers centimètres évoqués
plus haut risquent de nous coûter cher ! A l’heure de la modernité érigée
en dogme, nos gouvernants devraient faire confiance à l’expérience du passé et
soutenir des institutions assez anciennes pour tirer parti de leur expérience.
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