extrait de
"Une année à Dunkerque : guide pour tout le monde" par L.-Victor Letellier- Éditeur : I. Leys (Dunkerque), 1850
LETTRE XXII.
L'église St-Jean.
L'église St-Jean, dont je veux parler aujourd'hui, est des
plus curieuses et mérite d'être visitée avec le plus grand détail. Située à
l'extrémité ouest de la ville, c'est l'église du canton Ouest; elle a son
entrée par une rue dite rue de la Panne, prenant rue de Bergues au-delà du
Marché-aux-Poissons et se confondant plus loin avec la rue de Hollande.
Cette église, orientée Est et Ouest, a le chœur tourné vers
l'occident et touche de ce côté à une ancienne muraille des fortifications près
de la partie du port servant de chantier de construction pour les navires de
commerce. Elle appartenait autrefois au couvent des Récollets et attient aux
bâtiments de ce couvent aujourd'hui encore existants ; c'est de cette
circonstance qu'elle tire un intérêt tout particulier, riche qu'elle est en
dépendances, en tableaux et en objets nombreux de sainteté dont elle s'est
trouvée héritière. La dédicace qui en est faite à St-Jean-Baptiste n'est pas
ancienne, que je sache, elle paraît avoir été ainsi consacrée alors qu'elle
devint paroisse, à la dispersion des couvents.
L'extérieur offre un grand et beau portail de forme
espagnole ; une large fenêtre à vitreaux l'éclairé de ce côté, ayant de droite
et de gauche deux autres croisées aujourd'hui entièrement remplies. Derrière
cet emplacement est l'orgue, assez bon pour ce qu'il est, mais de petite
dimension. Quelques marches sont à monter: l'église consiste en une seule et
immense nef, éclairée des deux côtés par huit grandes fenêtres.; l'autel est
construit au fond dif chœur, adossé au mur même. La longueur de la nef de la
porte d'entrée au sanctuaire est de 25 mètres; celle du sanctuaire au chœur de
8 mètres; sa largeur est de 12 mètres. Je ne puis pas vous donner une idée plus
vraie du vaisseau de cette église qu'en le comparant à celui d'une église que
vous devez connaître, celle des Missions étrangères, de Paris, rue du Bac.
Quelques tableaux sont d'abord à remarquer dans cette nef,
indépendamment de ceux en plus grand nombre qui ornent les annexes ou
dépendances de l'église. Nous y reviendrons tout-à-l'heure ; je veux avant tout
vous expliquer ces annexes.
De l'entrée à droite et de tout ce côté droit, l'église est
ouverte par de petites arcades la réunissant à des cloîtres voisins d'avec
lesquels autrefois elle était séparée, ou du moins dont la communication
n'avait lieu que par le moyen de portes fermées. Ces cloîtres ou galeries sont
au nombre de quatre, chacun étant orienté suivant un des quatre points
cardinaux ; l'un de ces cloîtres longeant l'église parallèlement et dans
presque toute sa longueur, les trois autres formant avec le premier un carré
parfait, et tirant leur jour d'un espace vide disposé en jardin, centre desdits
cloîtres ; d'où le tout ressemble parfaitement quant à la forme, à ce
Campo-Santo que vous connaissez de réputation et que j'ai, plus heureux que
vous, visité à Pise, cette ville où j'aimerais tant à me fixer, n'étaient ces
bouleversements dont souffre et souffrira longtemps encore l'Italie tout
entière et la Toscane en particulier Ces cloîtres communiquaient au couvent, ils
y communiquent même encore, ou du moins aux bâtiments qui en restent, dont
partie est occupée par la bibliothèque de l'église, partie par une école
mutuelle pour les filles, et partie encore par l'école gratuite de dessin et
d'architecture.
Ce qui donne un aspect ou cachet particulier à l'église
St-Jean, c'est ce voisinage des cloîtres et celui aussi d'une fort grande chapelle,
construite il y a à peine dix ans, sur l'emplacement du jardin, chapelle
contiguë à l'église, dont elle suit la direction et n'est séparée que par le
premier de ces cloîtres. Cette chapelle, qui compte 15 mètres de long sur
environ 3 mètres de large, est dédiée à Ste-Philomène, une sainte dont j'aurai
à vous parler plus en détail lors de mes excursions à Bourbourg et à Gravelines,
car entre ces deux villes, en un lieu dit St-Georges, ont été découverts, il y
a quelques années seulement, ses pieux restes. A cette sainte donc est
consacrée la chapelle en question, ainsi que le fait connaître une inscription
placée au-dessus de la porte qui fait face à l'autel, où on lit : Cette
chapelle a été érigée sous l'invocation de Ste-Philomène, par la piété des paroissiens
et par les soins de M. Deconynck, doyen-curé, et du conseil de la fabrique de
cette paroisse, en l'an 1841.
Au-dessous et dans l'intérieur même du maître-autel est
enfermée dans une châsse, une image fac-simile de la sainte. Deux niches, à
droite et à gauche de la porte que surmonte l'inscription, contiennent deux
grandes statuettes en bois, ornées, peintes, costumées à la façon ancienne,
représentant, l'une St-Roch, l'autre St-Gouward.
Cette chapelle est éclairée sur le jardin comme l'était le cloître
en avant duquel elle a été construite, lequel ne reçoit plus le jour que de
l'église ou de la chapelle, c'est-à-dire de seconde main.
Tous ces cloîtres sont ornés encore d'autel reposoirs dédiés
à Notre-Dame de Bon Secours, à Notre-Dame de Bon Port, à St-Antoine, à
Ste-Anne, à Ste-Barbe, à SteAppoline, et, partout, des ex-voto, des natures les
plus bizarres, attestent une foi et des croyances d'un autre âge. Rien de plus
intéressant qu'une visite dans ces dépendances, on croirait être à 1500 lieues de
France et au temps de l'église primitive. Les tableaux aussi y sont dans un
nombre considérable ; partout il s'en rencontre : dans l'église, dans le chœur,
à l'orgue, dans la chapelle, sur les murailles des cloîtres ; il faudrait un
libretto rien que pour les reconnaître. Comme j'ai pris le temps de les
examiner tous et de questionner au sujet de chacun, je veux vous faire part du
résultat de mes observations, eu égard à ceux-là du moins qui me semblent plus
particulièrement dignes d'attention. Commençons par l'église :Huit grands
tableaux ornent la nef en avant du chœur, quatre à droite et quatre à gauche.
Ces tableaux, qui viennent tous de la célèbre abbaye de Bergues, sont pour la
plupart du peintre Elias; malheureusement le temps les a tellement noircis
qu'ils appellent une prompte et habile restauration ; trois d'entr'eux sont
fort estimés ; il serait à souhaiter qu'une fois réparés, ils pussent être
replacés un peu moins haut, l'œil en jouirait d'avantage. Quelques légers
rideaux aux vitrages défendraient aussi contre le soleil les quatre de ces
tableaux exposés le long du cloître et précisément en plein midi. L'un d'eux
représente le mauvais riche ; un autre le Christ au roseau.
Dans le chœur ont trouvé place d'importantes et délicieuses
compositions. A gauche, un St-Jérôme, par Zurbano, et au-dessous, par Vandick,
le Christ au roseau, tableau d'environ deux mètres de haut sur trois peut-être
de large. Du côté opposé et pour pendant, sont deux Saintes familles, l'une de
Rumini, l'autre du Guide. Ce dernier tableau et son pendant, le Christ au
roseau, de Vandick, sont encadrés avec soin, et tous deux restent voilés d'un
rideau qui ne se découvre que pour les visiteurs ou aux heures où commence
l'office.
Au-dessus du maître-autel deux grands tableaux sont à noter
: celui du dessous représente une Sainte-Marie égyptienne, c'est une œuvre
remarquable ; l'auteur n'a pu m'être nommé ; celui qui le surmonte et qui
condamne une immense fenêtre, est d'Elias, dont il est réputé le chef-d'œuvre ;
le sujet est Dunkerque sous la protection de la Vierge.
Derrière l'orgue on aperçoit deux tableaux, à droite et à
gauche, mais d'un mérite assez mince ; l'un représente la Fille d'Agar, l'autre
le Baptême d'un Saint, peu connu de moi, aussi en ai-je oublié le nom. On l'a
appelé Adonis. C'est bien en tremblant que je vous le répète ; ce nom me semble
si peu chrétien.
Parmi les nombreux tableaux qui décorent la chapelle de
Ste-Philomène, il en est deux dignes d'une attention particulière : l'un, placé
dans le chœur, est une transfiguration peinte sur bois ; l'autre montre un
Christ sur la croix; il est placé au-dessus d'une des voûtes d'entrée, entre
deux confessionnaux.
Dans le premier cloître est encore un beau St-Jean Baptiste,
et dans un autre, auprès de l'autel de St-Antoine, un remarquable St-Pierre.
J'ignore les noms des maîtres à qui ils sont dus.
Pour un vrai connaisseur, c'est un musée des plus
intéressants que cette église St-Jean ; le malheur c'est qu'on ne rencontre pas
dans cette ville de cicerone comme on en trouve beaucoup trop dans certaines
autres, à Anvers par exemple) où le visiteur est en quelque sorte enlevé malgré lui
et porte au milieu des chefs-d'oeuvre, qu'une voix plus ou moins habile, mais
toujours monotone, se donne bon gré mal gré la mission de lui expliquer.
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