jeudi 12 février 2015

L'Eglise saint-Jean (Baptiste) en 1850



extrait de 

"Une année à Dunkerque : guide pour tout le monde" par L.-Victor Letellier- Éditeur : I. Leys (Dunkerque), 1850





LETTRE XXII.



L'église St-Jean.

L'église St-Jean, dont je veux parler aujourd'hui, est des plus curieuses et mérite d'être visitée avec le plus grand détail. Située à l'extrémité ouest de la ville, c'est l'église du canton Ouest; elle a son entrée par une rue dite rue de la Panne, prenant rue de Bergues au-delà du Marché-aux-Poissons et se confondant plus loin avec la rue de Hollande.

Cette église, orientée Est et Ouest, a le chœur tourné vers l'occident et touche de ce côté à une ancienne muraille des fortifications près de la partie du port servant de chantier de construction pour les navires de commerce. Elle appartenait autrefois au couvent des Récollets et attient aux bâtiments de ce couvent aujourd'hui encore existants ; c'est de cette circonstance qu'elle tire un intérêt tout particulier, riche qu'elle est en dépendances, en tableaux et en objets nombreux de sainteté dont elle s'est trouvée héritière. La dédicace qui en est faite à St-Jean-Baptiste n'est pas ancienne, que je sache, elle paraît avoir été ainsi consacrée alors qu'elle devint paroisse, à la dispersion des couvents.

L'extérieur offre un grand et beau portail de forme espagnole ; une large fenêtre à vitreaux l'éclairé de ce côté, ayant de droite et de gauche deux autres croisées aujourd'hui entièrement remplies. Derrière cet emplacement est l'orgue, assez bon pour ce qu'il est, mais de petite dimension. Quelques marches sont à monter: l'église consiste en une seule et immense nef, éclairée des deux côtés par huit grandes fenêtres.; l'autel est construit au fond dif chœur, adossé au mur même. La longueur de la nef de la porte d'entrée au sanctuaire est de 25 mètres; celle du sanctuaire au chœur de 8 mètres; sa largeur est de 12 mètres. Je ne puis pas vous donner une idée plus vraie du vaisseau de cette église qu'en le comparant à celui d'une église que vous devez connaître, celle des Missions étrangères, de Paris, rue du Bac.

Quelques tableaux sont d'abord à remarquer dans cette nef, indépendamment de ceux en plus grand nombre qui ornent les annexes ou dépendances de l'église. Nous y reviendrons tout-à-l'heure ; je veux avant tout vous expliquer ces annexes.

De l'entrée à droite et de tout ce côté droit, l'église est ouverte par de petites arcades la réunissant à des cloîtres voisins d'avec lesquels autrefois elle était séparée, ou du moins dont la communication n'avait lieu que par le moyen de portes fermées. Ces cloîtres ou galeries sont au nombre de quatre, chacun étant orienté suivant un des quatre points cardinaux ; l'un de ces cloîtres longeant l'église parallèlement et dans presque toute sa longueur, les trois autres formant avec le premier un carré parfait, et tirant leur jour d'un espace vide disposé en jardin, centre desdits cloîtres ; d'où le tout ressemble parfaitement quant à la forme, à ce Campo-Santo que vous connaissez de réputation et que j'ai, plus heureux que vous, visité à Pise, cette ville où j'aimerais tant à me fixer, n'étaient ces bouleversements dont souffre et souffrira longtemps encore l'Italie tout entière et la Toscane en particulier Ces cloîtres communiquaient au couvent, ils y communiquent même encore, ou du moins aux bâtiments qui en restent, dont partie est occupée par la bibliothèque de l'église, partie par une école mutuelle pour les filles, et partie encore par l'école gratuite de dessin et d'architecture.

Ce qui donne un aspect ou cachet particulier à l'église St-Jean, c'est ce voisinage des cloîtres et celui aussi d'une fort grande chapelle, construite il y a à peine dix ans, sur l'emplacement du jardin, chapelle contiguë à l'église, dont elle suit la direction et n'est séparée que par le premier de ces cloîtres. Cette chapelle, qui compte 15 mètres de long sur environ 3 mètres de large, est dédiée à Ste-Philomène, une sainte dont j'aurai à vous parler plus en détail lors de mes excursions à Bourbourg et à Gravelines, car entre ces deux villes, en un lieu dit St-Georges, ont été découverts, il y a quelques années seulement, ses pieux restes. A cette sainte donc est consacrée la chapelle en question, ainsi que le fait connaître une inscription placée au-dessus de la porte qui fait face à l'autel, où on lit : Cette chapelle a été érigée sous l'invocation de Ste-Philomène, par la piété des paroissiens et par les soins de M. Deconynck, doyen-curé, et du conseil de la fabrique de cette paroisse, en l'an 1841.

Au-dessous et dans l'intérieur même du maître-autel est enfermée dans une châsse, une image fac-simile de la sainte. Deux niches, à droite et à gauche de la porte que surmonte l'inscription, contiennent deux grandes statuettes en bois, ornées, peintes, costumées à la façon ancienne, représentant, l'une St-Roch, l'autre St-Gouward.

Cette chapelle est éclairée sur le jardin comme l'était le cloître en avant duquel elle a été construite, lequel ne reçoit plus le jour que de l'église ou de la chapelle, c'est-à-dire de seconde main.

Tous ces cloîtres sont ornés encore d'autel reposoirs dédiés à Notre-Dame de Bon Secours, à Notre-Dame de Bon Port, à St-Antoine, à Ste-Anne, à Ste-Barbe, à SteAppoline, et, partout, des ex-voto, des natures les plus bizarres, attestent une foi et des croyances d'un autre âge. Rien de plus intéressant qu'une visite dans ces dépendances, on croirait être à 1500 lieues de France et au temps de l'église primitive. Les tableaux aussi y sont dans un nombre considérable ; partout il s'en rencontre : dans l'église, dans le chœur, à l'orgue, dans la chapelle, sur les murailles des cloîtres ; il faudrait un libretto rien que pour les reconnaître. Comme j'ai pris le temps de les examiner tous et de questionner au sujet de chacun, je veux vous faire part du résultat de mes observations, eu égard à ceux-là du moins qui me semblent plus particulièrement dignes d'attention. Commençons par l'église :Huit grands tableaux ornent la nef en avant du chœur, quatre à droite et quatre à gauche. Ces tableaux, qui viennent tous de la célèbre abbaye de Bergues, sont pour la plupart du peintre Elias; malheureusement le temps les a tellement noircis qu'ils appellent une prompte et habile restauration ; trois d'entr'eux sont fort estimés ; il serait à souhaiter qu'une fois réparés, ils pussent être replacés un peu moins haut, l'œil en jouirait d'avantage. Quelques légers rideaux aux vitrages défendraient aussi contre le soleil les quatre de ces tableaux exposés le long du cloître et précisément en plein midi. L'un d'eux représente le mauvais riche ; un autre le Christ au roseau.

Dans le chœur ont trouvé place d'importantes et délicieuses compositions. A gauche, un St-Jérôme, par Zurbano, et au-dessous, par Vandick, le Christ au roseau, tableau d'environ deux mètres de haut sur trois peut-être de large. Du côté opposé et pour pendant, sont deux Saintes familles, l'une de Rumini, l'autre du Guide. Ce dernier tableau et son pendant, le Christ au roseau, de Vandick, sont encadrés avec soin, et tous deux restent voilés d'un rideau qui ne se découvre que pour les visiteurs ou aux heures où commence l'office.

Au-dessus du maître-autel deux grands tableaux sont à noter : celui du dessous représente une Sainte-Marie égyptienne, c'est une œuvre remarquable ; l'auteur n'a pu m'être nommé ; celui qui le surmonte et qui condamne une immense fenêtre, est d'Elias, dont il est réputé le chef-d'œuvre ; le sujet est Dunkerque sous la protection de la Vierge.

Derrière l'orgue on aperçoit deux tableaux, à droite et à gauche, mais d'un mérite assez mince ; l'un représente la Fille d'Agar, l'autre le Baptême d'un Saint, peu connu de moi, aussi en ai-je oublié le nom. On l'a appelé Adonis. C'est bien en tremblant que je vous le répète ; ce nom me semble si peu chrétien.

Parmi les nombreux tableaux qui décorent la chapelle de Ste-Philomène, il en est deux dignes d'une attention particulière : l'un, placé dans le chœur, est une transfiguration peinte sur bois ; l'autre montre un Christ sur la croix; il est placé au-dessus d'une des voûtes d'entrée, entre deux confessionnaux.

Dans le premier cloître est encore un beau St-Jean Baptiste, et dans un autre, auprès de l'autel de St-Antoine, un remarquable St-Pierre. J'ignore les noms des maîtres à qui ils sont dus.

Pour un vrai connaisseur, c'est un musée des plus intéressants que cette église St-Jean ; le malheur c'est qu'on ne rencontre pas dans cette ville de cicerone comme on en trouve beaucoup trop dans certaines autres, à Anvers par exemple) où le visiteur est en quelque sorte enlevé malgré lui et porte au milieu des chefs-d'oeuvre, qu'une voix plus ou moins habile, mais toujours monotone, se donne bon gré mal gré la mission de lui expliquer.

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