Transportons-nous un millénaire en arrière…
Les rives de la
Flandre ne sont qu’une suite d’îles qui émergent à peine des flots, cernées par
une mer toujours prompte à recouvrir les terres. Plus loin en arrière de la
côte, ce ne sont que marais nés des incursions marines ou formés par des cours
d’eaux paresseux. Terre pauvre, terre ingrate et pourtant, elle suscite bien
des convoitises.
En 793, les « Normands », les Hommes venus du Nord, quittent
leurs fjords noyés de brume et opèrent leurs premières incursions en Ecosse et
au nord de l’Angleterre. Âpres au gain, excellents navigateurs, l’évocation de
leurs forfaits suscite panique et épouvante. Païens qui croient qu’une mort au
combat offre le paradis, ils ne sont intéressés que par le butin. Que faire
sinon fuir lorsque ces géants surgissent aussi bien de la mer que des rivières
? Ils plongent leurs victimes dans la terreur en sacrifiant régulièrement au
rite de l’Aigle de sang : on attrape un des fuyards pour lui ouvrir le dos à la
hache de chaque côté de la colonne vertébrale pour sortir les poumons et on le
relâche, agonisant, parmi les siens… Voilà qui ferait passer les ogres des
contes pour d’aimables plaisantins.
D’ailleurs, n’en seraient-ils pas, quelque
part, un peu à l’origine ? Au sud de la mer du Nord, l’Europe a repris le
chemin de la prospérité … et surtout, elle est chrétienne. La liturgie exige de
l’or, des joyaux pour les calices et autres reliquaires. Cathédrales et
monastères regorgent de ces richesses, gardées par des moines qui n’ont pas le
droit de se battre ! Comment les « Vikings » pourraient-ils résister ? La
tentation est d’autant plus grande que toutes les défenses mises en place du
temps des Romains ne sont plus qu’un lointain souvenir !
Autant le dire, la côte flamande est le talon d’Achille de
l’Empire de Charlemagne. La Mer du Nord est un point faible de l’Empire de
Charlemagne. En 800, quelques mois avant que le pape ne le couronne, il
installe une flotte le long du littoral. Dix ans plus tard, il ordonne que l’on
construise de nouveaux navires et vient même les inspecter à Boulogne en 811,
il fait en même temps reconstruire la Tour d’Orde, le phare édifié par les
romains…
Mais les Normands sont particulièrement insistants : leurs navires
sont d’une excellente tenue en mer comme sur les cours d’eau et se déplacent
autant à la voile qu’à la rame. Nul obstacle n’est susceptible de leur barrer
la route. Les roitelets carolingiens préfèrent souvent payer un lourd tribut,
le « Danegeld », pour se débarrasser de ces indésirables. Un vrai pays où
coulent le lait et le miel où ils n’ont même plus besoin de se battre et piller
! Voilà ce qu’est l’Empire à leurs yeux…
En 862, Charles le Chauve ordonne la construction de camps
et de ponts fortifiés sur la Seine et la Loire mais l’incapacité du pouvoir
royal à défendre territoire et population mine son autorité. Des évêques et des
abbés prennent la décision de fortifier eux-mêmes leurs propriétés. Cela
devient un réflexe : on se cache dans un « castrum », une enceinte fortifiée,
et l’on attend que les ennemis lèvent le camp. Cela les ralentit mais ne les
arrête nullement. L’éloignement du roi et l’absence de réaction efficace permet
aux grands seigneurs comme Baudouin Ier de confisquer le pouvoir localement
pour créer les futures grandes principautés. De Bourbourg à Burg-op-Schouwen en
Zélande, se construit une chaine de villes fortifiées sensée empêcher le
déferlement normand. Ces bourgs, sont des enceintes simples : un fossé
circulaire et un rempart en bois. Parfois, ces défenses sont complétées par la
nature avec les marais… comme à Bourbourg, le « Bourg » dans le « Brouck »…
mais avec un roi aux pouvoirs amoindris, cette initiative est plus certainement
à mettre au compte des seigneurs locaux. Malgré les attaques normandes, certaines
villes résistent vaillamment comme Cassel en 890-891.
D’autres comme Bergues ou
Furnes ont moins de chance. Dans ces villes, les traces de la première enceinte
se discernent souvent sur les plans : le noyau des villes est circonscrit par
une rue circulaire qui a remplacé l’ancien rempart comme à Bergues ou à
Middelburg aux Pays-Bas. Les conquêtes normandes se font plus difficiles, les
populations locales s’enhardissent et sont moins faciles à rançonner, qu’importe ! Ils se
tournent vers l’embouchure de la Seine et Paris, devant laquelle ils mettent le
siège de 885 à 887. Leurs entreprises prennent fin avec le traité de
Saint-Clair-sur-Epte conclu entre Charles III le Simple et Rollon, un chef
viking, en 911. En échange du Duché de Normandie, à charge pour lui de barrer
la voie vers Paris à ses anciens compatriotes… Les Normands ne reviennent plus
en Flandre. Bergues, Bourbourg et Furnes, pour ne citer qu’elles, continuent de
grandir dans une paix relative, construisent de nouveaux remparts et renforcent
leur pouvoir au point de devenir vite les sièges de châtellenies importantes,
cumulent tous les pouvoirs féodaux. Quant au Normands, leur destinée est
ailleurs : à Kiev et à Moscou où ils fournissent des troupes d’élite, dans le
monde arabe où ils font du commerce et en Angleterre où un descendant de Rollon
devient roi en 1066 à la suite de la bataille d’Hastings ou encore en Flandre
où nombre de comtes sont issus de sa descendance mais ça, c’est une autre
histoire !
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