14 novembre 1917 Défense
de Dunkerque et de la Région
M.
le maire donne lecture au conseil municipal de la requête ci-après remise à M.
Painlevé, Président du conseil, ministre de la guerre, au nom des maires de la
région par M. Terquem, maire de Dunkerque.
« Dunkerque,
le 8 octobre 1917
« Monsieur
Painlevé,
Président
du Conseil, Ministre de la guerre,
Paris
Monsieur
le Président,
Les
mandataires de la région de Dunkerque qui vous présentent ce document et
viennent faire un pressant appel au Gouvernement pour être mieux défendus,
n’agissent pas dans un intérêt particulier, égoïste, demandant plus pour eux
que pour toute autre partie du territoire national ; ils ont conscience
qu’ils représentent une partie du patrimoine de la France, partie à laquelle le
labeur, le courage obstiné, la confiance indéfectible des populations dans les
destinées du pays ont donné une valeur exceptionnelle.
S’ils
viennent donc insister avec toute l’énergie que leur dicte la conscience de
leur devoir, ce n’est pas seulement pour préserver la vie et les propriétés de
leurs concitoyens, mais pour ne pas voir briser, sous leurs yeux, un instrument
de travail nécessaire à la victoire économique et militaire de la France.
Situation
de Dunkerque – aucune ville des pays actuellement en guerre ne
possède une situation aussi dangereuse que Dunkerque. Placée à trente
kilomètres du front, elle est placée sous les feux des canons à longue portée
de l’ennemi ; les avions la survolent en quelques instants ; arrivent
soit par terre, soit plutôt par la mer et peuvent se livrer à leurs attaques et
s’enfuir, sans que leur arrivée ait put être signalée, la mer, les bassins, les
canaux qui l’entourent en permettent un repérage facile ; enfin, située au
bord même de la mer, elle est, en outre, exposée aux attaques des navires
ennemis.
Attaques
de l’ennemi – Depuis trois ans, Dunkerque a subi tous les modes
d’attaque ; 92 bombardements par avions avec 2.062 bombes, un bombardement
par Zeppelin avec 11 bombes, deux bombardements par mer avec 65 obus et 14
bombardements par 380 avec 28 obus.
Les
victimes ont été, pour l’agglomération, 399 tués et 898 blessés dont 150 tués
et 200 blessés en septembre 1917 seulement.
Valeur
économique et militaire – La valeur économique de Dunkerque (3e
port de France, admirablement aménagé et outillé, entouré de nombreuses usines)
n’a pas à être démontrée et l’utilisation de son port, au point de vue
militaire, tant pour le ravitaillement des armées que comme base d’opérations
dans la Mer du Nord, est tout aussi évidente. La plupart des usines qui
entourent la ville travaillent en outre pour la défense nationale. C’est donc,
à tous égards, un centre de production de premier ordre que la France a le plus
grand intérêt à garder intact et productif, et qu’au contraire l’ennemi a le
plus grand intérêt à détruire et neutraliser. On sait que les autres ports
regorgent de navires et de marchandises ; celui de Dunkerque qui a été
privé de tout commerce ou presque depuis la guerre, est un appoint de premier ordre
et rend à l’armée et au pays des services appréciables.
Quels
résultats ont obtenu les attaques de l’ennemi – Sauf pendant les mois de
mai, juin et juillet 1915 où la vie a été ralentie par le bombardement de 380,
la vie économique de Dunkerque et de sa région, grâce au courage et à la
ténacité admirable de ses habitants, a été maintenue dans des conditions
remarquables.
Les
bombardements de septembre 1917, par leur violence, leur fréquence et les
résultats terrifiants obtenus ont complètement l’aspect des choses (
sic !). L’exode se fait de jour en jour, sans hâte, sans panique mais
irrésistiblement. Ceux que rien ne retient quittent le pays, beaucoup emportent
leurs meubles. La ville se vide, plus encore les communes voisines dont les
habitations, moins solides, offrent un abri absolument nul contre les nouveaux
et puissants engins employés par l’ennemi.
Les
magasins se ferment sans esprit de retour (sic !), les industriels voient
leurs ouvriers les quitter et bientôt, sans doute, de grosses usines vont
devoir restreindre singulièrement leur production, sinon l’arrêter. C’est, dès
à présent, la ruine pour le pays jusqu’à la fin de la guerre.
La
nécessité d’éteindre les lumières à la tombée de la nuit va considérablement
diminuer les heures de travail car même les lumières pussent-elles être
masquées, les ouvriers et ouvrières ne voudront plus circuler à l’heure où se
produisent généralement les attaques ennemies.
On
manquait déjà de main-d’œuvre au port, la pénurie se fera sentir plus durement
encore ; le déchargement se trouvera lui aussi ralenti et par ces raisons
et par le raccourcissement de la journée. Donc dans un premier résultat :
diminution, dans des proportions considérables, de la productivité des usines
et diminution, par conséquent du patrimoine et des forces de la France.
Mais
les attaques ennemies, outre cette paralysée actuellement partielle, dont elles
ont frappé notre région, ont causé des dégâts considérables et fait trop de
nombreuses victimes.
En
une seule nuit, de multiples incendies allumés ont occasionné pour plus de 20
millions de pertes, détruisant des entrepôts, des matières premières
indispensables ; plus de 20 maisons ont été totalement détruites et plus
de deux cents rendues inhabitables. Au point de vue militaire proprement dit,
la destruction d’une grande partie des centres d’aviation anglais et français
de Saint-Pol-sur-Mer montre que l’acharnement de l’ennemi a obtenu des
résultats dont il peut se réjouir à juste titre comme d’une victoire.
Quels
résultats peut obtenir la continuation des attaques – mais le dernier mot
n’est pas dit. Les bombes à grande puissance employées peuvent convertir les
dégâts actuels en véritables désastres ; des établissements industriels
peuvent être incendiés ou détruits, une bombe bien placée peut rendre
inutilisable l’usine centrale de force motrice commandant l’outillage et les
écluses du port, détruire ou bien fausser l’une de ces écluses, immobiliser
ainsi, pour longtemps, le trafic ; une bombe bien placée peut encore détruire
d’autres établissements militaires, d’autres centres d’aviation. La
continuation des attaques peut entraîner l’exode plus complet des habitants,
frappant ainsi complètement l’activité et la productivité de toute une région
des plus prospères.
Moyens
de défense – Pour empêcher ces attaques ou tout au moins les châtier de
telle façon que l’ennemi devienne plus prudent ou plus circonspect, a-t-on
employé le maximum des moyens de défense qu’auraient exigé l’importance du camp
retranché et la valeur nationale ?
Nous
n’avons pas à nous faire juge des questions d’ordre militaire, nous ne voulons
pas apprécier des choses sur lesquelles nous n’avons pas et ne devons avoir
aucun contrôle, ne pouvant en porter les responsabilités, mais nous avons le
devoir de raisonner avec notre simple bon sens et d’exposer des faits. Il
suffit de se trouver dehors un soir d’alerte pour s’apercevoir qu’il n’y a,
pour éclairer le ciel autour de Dunkerque, que six ou sept projecteurs dont la
plupart, d’une puissance insignifiante, et l’on a l’impression qu’ils doivent
être absolument insuffisants pour découvrir facilement les avions, les
maintenir dans leur rayon ou tout au moins les gêner.
Quand
on déclenche le tir, il semble qu’il doive y avoir tout au plus une douzaine de
canons, probablement de 75 qui ouvrent le feu et font des barrages,
généralement assez faibles. Enfin, le bruit a couru, d’autre part, qu’une
escadrille était affectée à notre défense mais qu’une partie de ses appareils
avaient été brûlés lors de l’incendie récent du centre d’aviation de
Saint-Pol-sur-Mer. On avait parlé également d’une défense par ballonnets comme
à Venise mais il ne semble pas qu’on ait donné suite à ce projet. Donc, en
résumé, six ou sept projecteurs, une douzaine de canons et une escadrille squelette
pour défendre une place de première importance.
Nous
n’apprécions pas mais nous devons comparer avec ce que nous avons sous les
yeux.
Défense
d’Ostende – Quand nous allons le soir sur la plage et nous entendons
nos avions de bombardement se rendre sur Ostende, à peine ont-ils franchis les
lignes que nous voyons s’allumer de puissants projecteurs, parfaitement
visibles à 45 kilomètres ; nous en avons compté jusque 17 puis nous voyons
éclater en même temps des nuées de schrapnells tirés certainement par des
grosses pièces. Les aviateurs nous disent combien l’éclat des projecteurs et le
tir rendent le séjour difficile au-dessus d’Ostende et combien ils ont le souci
de jeter rapidement leurs bombes pour sortir au plus vite de cet éclairage et
de ces éclatements.
Comparaison
– Cette comparaison démontre aux moins informés que ce qui constitue la défense
aérienne de Dunkerque est de beaucoup inférieure à ce qu’ont fait les Allemands
pour la défense aérienne d’Ostende et nous sommes obligés de conclure que les
moyens mis entre les mains des autorités chargées de notre défense sont
nettement insuffisants par comparaison avec ceux mis en oeuvre par nos ennemis.
Conclusion
– Nous (ne) demandons pas l’impossible, nous ne demandons pas qu’on empêche
l’ennemi d’attaquer un point - plus exposé que tout autre – qu’il a le plus
grand intérêt à défendre ; ce que nous demandons, c’est que d’urgence et
sans délai, - et dès avant la prochaine lune – on donne satisfaction aux
demandes d’accroissement de défense qui paraissent s’imposer même aux esprits
les moins informés – moyens de défense réclamés en vain depuis plus deux ans
avec obstination, par nos Parlementaires, ce que nous demandons, c’est qu’une
protection, aussi efficace que possible, soit accordée à une partie des forces
économiques et militaires de la France, représentée par notre région ; ce
que nous demandons c’est d’avoir l’impression qu’au moins le maximum d’efforts
a été fait, après quoi – mais après quoi seulement – nous supporterons patriotiquement
et sans récriminer les risques inévitables qu’impose la guerre à une ville
proche du front.
Notre
devoir de Français, d’abord, de Dunkerquois ensuite, nous impose de vous tenir
ce langage. De même qu’aucune partie du sol national ne doit-être cédée à l’ennemi
sans avoir été défendue, de même aucune parcelle de la puissance de notre pays
ne doit être exposée à la destruction sans avoir été suffisamment protégée
surtout, quand le risque que doit courir l’ennemi pour atteindre son but est
infime ou égard aux résultats à obtenir, surtout aussi quand les moyens de
défense sont insignifiants ou égard à l’importance de la région à protéger.
Les
signataires de cette requête sont avant tout des Français conscients de leurs
devoirs vis-à-vis de leur pays, des administrateurs soucieux de leurs
responsabilités vis-à-vis de leurs commettants. Ils auraient cru trahir les
intérêts supérieurs du pays en gardant le silence sur les circonstances
actuelles et en ne démontrant pas, par un exposé d’ensemble au Chef du Gouvernement
et les résultats considérables déjà acquis par l’ennemi et ceux qu’ils peuvent
encore obtenir si des mesures immédiates et sérieuses ne sont pas prises
d’extrême urgence.
Ils
comptent fermement sur la vigilance du Gouvernement pour donner satisfaction à
leur pressante démarche et vous prie(nt) d’agréer, monsieur le Président,
l’expression de leurs sentiments respectueux et dévoués.
Le
maire de Dunkerque
Le Président de la Chambre de commerce
Le Président de la Chambre de commerce
Le
maire de Coudekerque-Branche
Le maire de Malo-les-Bains
Le maire de Petite-Synthe
Le maire de Malo-les-Bains
Le maire de Petite-Synthe
Le
maire de Rosendael
Le maire de Saint-Pol-sur-Mer »
Le maire de Saint-Pol-sur-Mer »
A
la suite de cette communication, M. Chagnon propose au conseil municipal le vœu
suivant
« Considérant
que par suite des départs continuels des habitants, conséquence inévitable des
bombardements successifs que nous subissons, il sera bientôt impossible
d’équilibrer notre budget communal.
Le
conseil émet le vœu que le Gouvernement examine la situation et prenne des
mesures énergiques nécessaires pour la sécurité des habitants de la région.
Fait
remarquer qu’il est regrettable qu’après plus de trois années de
guerre, nul ne sait encore à qui incombe les responsabilités lorsque des
accidents surviennent,
Qu’une région industrielle et
commerciale comme la nôtre doit être efficacement défendue et protégée,
Et sollicite afin de rendre la
vitalité au pays que l’on accorde dans la mesure compatible avec la défense
nationale le plus de sursis possible aux hommes des vieilles classes mobilisées
des différentes professions.
Ce vœu est adopté à
l’unanimité.
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