Depuis quelques mois, la polémique ne cesse d'alimenter les chroniques politiques comme les colonnes des faits divers de la presse, tant régionale que nationale... Il semble que l'accueil des Roms en France devienne un enjeu plus politique qu'humain.
Aucunement envie de prendre parti dans ce débat, force est de constater qu'il y a effectivement un "problème Rom" en France et dans notre région mais pour lesquels les torts sont partagés. En temps de crise, en période d'austérité, la charité, chrétienne ou non, est plus difficile à appliquer que lors des moments économiques fastes. Et que les voix s'élèvent aussi à gauche moins par xénophobie que par lassitude de voir un problème perdurer depuis des années, faisant le terreau d'ailleurs de formations politiques extrêmes. Faut-il bientôt craindre des débordements violents comme il y en a dejà eu dans le sud de la France?
Premier amalgame à éviter, les Roms ne sont pas les "gens du voyage", ils ne sont pas nomades, ils sont en exil et cherchent à se sédentariser, fuyant souvent un pays où déjà ils sont marginalisés et exclus, voire persécutés. Ainsi, leurs campements, contrairement à ceux des gitans et autres manouches, n'ont pas vocation à être temporaires. La question de l'intégration en est une autre, elle n'est qu'une question de temps comme elle le fut pour les communautés précédentes.
Deuxième amalgame à refuser : ce ne sont pas parce qu'ils sont nomades qu'ils ne sont pas européens. Roumanie et Bulgarie ont adhéré à l'Union Européenne en 2007 mais pas encore à l'espace Schengen, ce que les autorités européennes semblent actuellement refuser. La constitution européenne l'affirme, ils sont libres de circuler dans l'espace européen.
Ces deux précisions posées, il faut maintenant jeter un oeil rapide sur la situation actuelle. Les journaux et élus relayent le mécontentement de la population confrontée aux camps et à la présence Rom dans la région (il suffit de lire les propos du maire de Croix il y a quelques jours comme ceux du ministre de l'Intérieur pour bien s'en convaincre) mais ils ne sont que l'écho de ce que l'on entend dans la rue, dans les conversations de comptoir et autres magasins, des gens qui se plaignent des bidons-villes qui se multiplient, d'une insécurité réelle ou ressentie qui perdure depuis des années, de la mendicité souvent agressive ou qui heurte comme l'utilisation des jeunes enfants ou les "plantons", toujours les mêmes d'ailleurs, aux carrefours, attendant que les feux passent au rouge pour venir quémander quelques pièces... Même les mendiants habituels finissent par disparaître du paysage.
campement Lille-Sud (source free.fr)
Ainsi, pour un édile, il est difficile d'avoir un campement sauvage à des carrefours, en plein centre-ville, sur des terrains privés (et dont l'expulsion est plus difficile encore que pour un squat), dans des secteurs dangereux à côté de voies ferrées ou d'autoroute, voire entre les deux. Là où le bât blesse, c'est que l'installation est sauvage. N'étant pas de la communauté des gens du voyage, ils ne peuvent prétendre à leurs aires de stationnement souvent insuffisantes pour eux mêmes (et dont la fourniture d'eau et d'électricité est payante) et sont donc réduits à des campements sauvages. dans certains quartiers remontent les images du dernier bidon-ville de Nanterre dans les années 1980 comme des baraquements de la reconstruction. L'image de la "favella" semble tout de même plus adaptée comme pour le camp qui a été dressé devant la prison centrale de Loos, vide de ses occupants puisqu'en cours de démolition et insalubre, contre le mémorial du Train.
"Not in my backyard"... Pas dans mon jardin ! Beaucoup de gens s'émeuvent de la situation et le contraire serait étonnant, d'autant plus que les populations Roms ont des enfants, souvent nombreux d'ailleurs mais sont-ils prêts à ouvrir un camp d'accueil près de leur porte ou de leur quartier ? Rien n'est moins sur... les accueillir, pourquoi pas mais pas chez soi. Comme pour les aires d'accueil des gens du voyage (pourtant obligatoire au-dessus d'un seuil de population), les élus se renvoient la balle, laissant le plus souvent le travail aux associations caritatives, le prétexte étant que de toute façon, les priorités sont ailleurs.
Alors jetons un pavé dans la mare. Les images que l'on nous montre sont déplorables et, pour une municipalité, l'image de marque qui en ressort est négative, autant qu'elle l'est lorsque l'on déplore la mort de SDF en hiver (en oubliant qu'il en meurt aussi beaucoup en été...). La vindicte populaire désire que l'on se préoccupe d'abord de NOS pauvres, de NOS mendiants, etc, etc, etc en ajoutant qu'après tout, ces gens peuvent bien rentrer chez eux, à l'Est de l'Europe... Le problème est bien plus compliqué que cela.
Où rechercher les responsabilités initiales de ce que l'on peut qualifier de désastre humanitaire, tant pour les Roms que pour les SDF ?
Tout d'abord, chez nos chers politiques européens et technocrates qui ont décidé de faire une Europe fiscale et économique avant d'être sociale et d'intégrer à marche forcée des pays à la limite du sous-développement pour élargir les marchés et délocaliser à bon compte leurs productions... Produire "occidental" avec des salaires slaves dignes du défunt "bloc de l'est", avec des populations habitués à peu contester... Certes, l'on pourrait rétorquer la même chose de la Pologne ou de l'ex-RDA, mais dans le premier cas, la Pologne était relativement industrialisée et pour la seconde, le choc de l'intégration a surtout été supporté par la RFA. Ainsi, il faut mettre "à niveau" des économies non point défaillantes mais dépassées, obsolètes, voire inexistantes... L'intégration de ces pays à l'Union Européenne garantit la libre circulation des biens mais, il ne faut pas non plus l'oublier, des personnes. Cette intégration qui justement aurait posé moins de problème si nous étions encore dans les Trente Glorieuses. Avant d'aider à monter leur niveau économique (extrêmement faible pour les Roumanie et Bulgarie), nous préférons donc d'abord utiliser leurs ressources et leur main-d'oeuvre, un peu comme nous le faisions avec les colonies.
campement de Lille-Sud (source france3.fr)
Deuxième responsabilité à établir, le comportement et l'attitude des gouvernements des pays de départ qui ont préféré la marginalisation et l'exclusion de ces populations. Soyons sincères, qui ne trouvant pas de place ni d'emploi dans une société ne finirait pas par prendre les chemins de l'exil vers de supposés paradis... ce qui a valu pour les populations migrantes précédentes vaut pour les actuelles.
Troisième responsabilité : notre politique sociale défaillante. Certes, c'est la crise, elle est profonde, durable et les moins de 40 ans n'ont connu qu'elle... Cela pèse sur le moral mais aussi et surtout sur les finances, les comptes sociaux n'ayant cessé de se dégrader alors que les prélèvements ne font qu'augmenter. On nous demande donc de nous serrer la ceinture (serrer ne signifie pas étrangler pourtant la classe moyenne, qui gagne trop pour âtre aidée et pas assez pour vivre bien ou économiser ou bénéficier de niches fiscales) mais en même temps, on demande de faire preuve de solidarité... Un grand écart de plus en plus difficile à tenir...
Ainsi, on ne peut juguler l'entrée libre de personnes sur le territoire national en vertu des accords et règlements européens (les britanniques y arrivent bien, mais parce que leur territoire est insulaire!) mais il faut pouvoir accueillir dignement, du moins décemment, ce que les camps sauvages, faute de structures, ne permettent pas de faire.
Dernière responsabilité, la notre, celle des citoyens du Nord et du Pas-de-Calais... Ce qui peut interpeller, c'est la présence du campement au pied de la prison centrale de Loos, de sinistre mémoire pour les familles touchées par les guerres... Avons nous oublié que nos parents, grands-parents et autres anciens ont été délogés de chez eux lors des deux dernières guerres, soit par l'exode, soit par les combats qui perdurent jusqu'à la capitulation allemande, ne serait-ce que pour les forteresses de Dunkerque (dernière ville libérée), Calais et Boulogne ou parce que leurs villes ont été mises à plat par les combats. Combien de Dunkerquois, pour ne citer qu'eux, sont nés en 1944 loin de leur cité, dans l'Aube, la Marne ou la Côte-d'Or ? De même pour la Grande guerre, demandez aux plus âgés des Lillois qui ont connu l'occupation prussienne. Vous rétorquerez qu'ils étaient "français" mais pour ma part, je rappellerai que les grands-parents maternels de l'auteur de ces lignes survivaient par l'envoi de chocolat et de tabac déniché dans les régions libérées parce que les populations qui les avaient accueilli ne voulaient pas de l'argent des "Boches du Nord". Avons-nous oublié que nombre de quartiers n'ont connu une reconstruction que tardive et que certaines villes n'étaient que ruines et qu'il a fallu vivre dans des baraquements ou des blockhaus. mais il est vrai, les temps ont changé et les guerres sont de lointains souvenirs.
Quelles solutions proposer à moindre coût puisqu'il semble bien que le problème n'est pas près de se résoudre?
Peut-on les envoyer chez eux ? Difficile puisque ressortissants de l'Union Européenne, les Roms sont libres de circuler dans l'espace européen et nos milliers de kilomètres de frontières ne peuvent de toute façon pas être murées. Est-il donc rentable de les ramener à l'autre bout du continent pour les voir revenir dans les mois qui suivent. c'est un manège dispendieux et sans fin...
Devrait-on les interdire de séjour en France ? pour cela, il faudrait une interdiction légale or les interdictions de séjour ne peuvent être prononcées que pour des crimes et délits graves à titre individuel, non pas pour une ethnie... ce qui, avouons-le, serait difficile à accepter dans la mère-patrie des Droits de l'Homme.
Le relogement en foyer ou chez des bailleurs particuliers, pourquoi pas mais qui prendra la note quand on sait que les services sociaux sont incapables de reloger des familles entières et de payer, quand il n'y a pas de foyer des nuitées d'hôtel sur le long terme.
Il faut donc penser à prendre avec une plus large échelle, quitte à traiter le logement des SDF par le même biais. En effet, il s'agit bien ici de familles entières qui ne vivent pas mais survivent dans des conditions déplorables et qui ne peuvent être à la charge des seules communes ou des associations (comme c'est le cas des SDF). Avec la réduction des moyens de la Défense Nationale, nombre de casernes sont à l'abandon, toutes d'ailleurs ne sont pas en centre-ville et la mission de réalisation des actifs immobiliers de la défense a encore nombre de terrains à disposition. Idem pour les communes en perte démographique qui ferment des écoles. L'etat pourrait alors racheter ces batiments aux communes pour créer des centres d'accueil convenables et décents. Il n'est pas là question de construire des logements mais d'adapter ce qui existe déjà à de nouveaux usages. Mais encore faut-il les mettre en état de recevoir les populations ce qui peut se faire en même temps par le biais de chantiers d'insertion obligatoires pour y acceder... La participation à la mise en état des lieux comme leur entretien, sous la houlette de professionnels, devenant ainsi un sésame nécessaire.
Certains diront que certains maires comptent sur ces espaces libérés... N'allons pas croire que l'Etat n'a jamais su donner de compensations pour d'autres projets, parfois moins urgents ou qui n'avaient rien d'humanitaires.
Mais quel intéret ? Pas un mais plusieurs en fait.
D'abord, sédentariser en regroupant dans des anciennes casernes (qui parfois ont du terrain libre pour s'étendre) est un possibilité de sédentariser et d'intégrer. Les débordements seraient moins importants puisque les lieux sont naturellement clos. Le fait de disposer d'ailleurs une adresse est un gage de stabilisation pour de nombreuses démarches mais aussi pour un relatif controle des personnes qui inquiète, à tort ou à raison, les populations... D'autres argueront que les lieux seraient vite dégradés... Certainement pas plus vite que dans certains HLM ou cités de banlieues, à plus forte raison s'il y a un encadrement suffisant et que des personnes qualifiées pour cela, il n'en manque pas, c'est les offres d'emploi qui font défaut.
Ensuite, c'est qu'il ne faut pas se voiler la face. la création de campements sauvages pose de nombreux problèmes sanitaires par la déficience et l'absence de moyens sanitaires. L'on sait que la tuberculose a fait ces dernières années un retour en force chez les populations les plus pauvres, l'on sait que le manque de salubrité attire nombre d'animaux nuisibles vecteurs de maladies, que la promiscuité est un propagateur puissant des épidémies. Avons nous besoin d'une nouvelle catastrophe sanitaire ?
Enfin, et comme le dit la devise de la République, nous devons assurer la liberté, l'égalité et la fraternité. Ne prenons qu'un exemple, celui des enfants de ces populations, scolarisées dans des classes spéciales (en très petit nombre malheureusement). Comment peuvent-ils suivre une scolarité quand ils sont ballottés d'un camp à l'autre, soumis aux contrôles longs de la police, n'ont pas de condition décente pour vivre ? Or, s'il est souvent difficile d'intégrer des adultes, c'est par les enfants que cela peut passer.
Evidemment, certains esprits crieront à cette proposition en avançant l'inéffable menace de camp ou de l'univers concentrationnaire. Ne répétons pas l'erreur des camps harkis après les accords d'Evian, il n'est pas nécessaire que la gestion de ces lieux incombe à l'armée ou à l'Interieur mais il faut bien se demander quelle cause l'on défend : la mise en sécurité de populations précaires (où semble d'ailleurs régner certains trafics plus ou moins dangereux... Promenez vous d'ailleurs le soir aux alentours de l'avenue du Peuple Belge à Lille, les Guinéennes ont semble-t-il une nouvelle concurrence) ou prefere-t-on laisser perdurer les bidons-villes avec les conséquences tragiques que cela peut avoir... Attendra-t-on un nouvel appel comme celui de l'hiver 54 quand un enfant décedera du froid qui commence déjà à arriver ?
La question est posée, le débat est ouvert...