In « L’aventure
des villes 1850-1950 », Archives départementales du Nord – catalogue d’exposition,
Lille, 1997, 128 p., pp.108-110
« L’hôtel de ville était la pièce maîtresse du
dispositif d’urbanisation conçu après la Première Guerre Mondiale par Emile
Dubuisson. Le projet initial ne fut pas réalisé entièrement. Seule l’aile
administrative, la recette municipale et le beffroi furent construits avant la
Seconde Guerre Mondiale. Les travaux commencèrent en 1920 et furent achevés en
1927 pour l’aile administrative ; en 1932 pour la recette municipale et le
beffroi. Le bâtiment de réception, qui devait accueillir la salle du conseil municipal
et le bureau du maire ne fut jamais réalisé.
L’opération se présentait comme une opération d’haussmannisation
assez classique, telle que celle qui avait été menée lors de la construction de
l’Opéra et de la Nouvelle Bourse.
Le bâtiment devait s’étendre sur le square Ruault et les
rues, ruelles et courées adjacentes qui formaient le cœur de la ville insalubre,
que les hygiénistes avaient dénoncées dès le milieu du XIXe siècle. Vers le
Nouvel hôtel devaient converger vers les boulevards venus de Fives, de la gare,
de Roubaix et de Tourcoing. Une rue devait mener directement à la préfecture.
Enfin, la rue Neuve était prolongée et élargie. De ce programme de voirie, seul
le départ de la rue Edouard Delesalle fut réalisé.
L’inachèvement de l’hôtel de ville explique son absence de
façade et de mise en perspective du bâtiment.
Le projet de l’architecte était de créer un bâtiment modèle,
en séparant les fonctions administratives des fonctions politiques et de
représentation. La partie administrative devait répondre aux exigences de la
modernité. La ville devait assumer un nombre croissant de services publics et
devait donc disposer d’une organisation rationnelle de ses services. Le bâtiment
administratif est organisé autour d’une vaste galerie, dénommée rue municipale
de 107,60 m de long, 14,40 m de large et 6,80 m sous plafond. Trois halls s’ouvrent
sur la galerie et accueillent les guichets, comme dans une banque moderne.
Chacun des guichets était, à l’origine,
en relation avec le service correspondant, installé dans les étages supérieurs.
De multiples monte-charges permettaient d’acheminer rapidement les dossiers du
service au guichet et inversement.
Le bâtiment fut construit en ciment armé, sans aucune pierre
de taille. La brique n’est que de remplissage et n’ajoute rien à la structure.
Un tel type de construction permettait de créer de vastes espaces publics,
comme les trois halls et la grande galerie, disposant d’un éclairage naturel,
et d’autre part d’avoir un espace intérieur modulable à souhait en fonction des
exigences sans cesse nouvelles de la gestion municipale.
Le beffroi, haut de 110 m fut longtemps considéré comme le
plus haut gratte-ciel de France en ciment armé. Il réalisait une prouesse
technique pour l’époque.
Les façades utilisent une variété de matériaux et d’aspects :
la brique soigneusement choisie, le ciment armé particulièrement fin et clair,
qui imite le grès pour les soubassements, les carreaux en grès cérame aux
tonalités sombres mais brillantes pour contraster avec la brique rouge.
La grande galerie est séparée en trois travées par des
piliers de forme carrée, légèrement arrondis aux angles. Le sommet s’élargit
tel un palmier par un énorme volubilis de 4 m de diamètre. Les épanouissements
furent réalisés en béton coulé dans un moule d’aluminium, véritable prouesse
technique.
Les statues de Lydéric et Phinaert qui ornent la base du
beffroi furent moulées mais le sculpteur acheva le travail sur le béton encore
humide.
Même si l’architecte et ses mandants ne se sont pas exprimés
directement et explicitement sur le sujet, la construction de l’hôtel de ville
trahit les ambitions politiques d’une génération marquée par la guerre et la
recherche de nouveaux repères idéologiques.
D’une part, pour les élites municipales, la décentralisation
du pouvoir était considérée comme une évolution nécessaire et incontournable. En
effet, la guerre avait entraîné l’intervention massive de l’Etat dans l’économie
et la société. Dans la paix, la multiplication des tâches qui incombait à l’autorité
publique imposait au moins une gestion déconcentrée. A l’exemple des Etats-Unis,
les villes se verraient confier l’organisation de l’enseignement ou des
services de santé, alors en plein développement. Une telle évolution n'était
envisageable que la perspective de la constitution d’agglomérations urbaines
vastes, bases d’un système administratif rénové. Dans le cas de Lille, les
autorités municipales mais aussi les participants au concours se plaçaient dans
la probabilité de la constitution du Grand Lille, qu’ils voulaient imposer
comme la capitale des Flandres. L’ampleur donnée au bâtiment en témoigne
encore.
D’autre part, l’esthétique et les méthodes de construction
choisies visaient à définir une culture nouvelle. Tant pour l’édification de l’aile
administrative que pour celle du beffroi, les techniques les plus modernes ont
été utilisées. Le béton, qui en forme la structure est totalement apparent.
Mais, la modernité s’allie à l’expression du sentiment régionaliste par l’usage
de la brique, par l’érection d’un beffroi, dont la base est ornée par les deux
héros mythiques et populaires de l’histoire locale.
Tout concourt à faire de l’hôtel de ville le symbole d’une
politique municipale de réformes sociales, qui s’appuie à la fois sur la rationalisation
de la gestion des affaires locales et la tradition régionale. »
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