Etienne Louis, conservateur au Musée de Douai, in « XVe centenaire du baptême de Clovis –
colloque interuniversitaire et internationale, Reims 19 septembre-25 septembre
1996 – recueil des résumés préliminaires- deuxième session »
« En 1990, le service archéologique du Musée de Douai organise
deux petits sondages qui confirment l’existence de vestiges du haut Moyen-Age à
l’emplacement de l’ancien prieuré de Hamage, héritier d’une abbaye fondée au
VIIe s. et disparue à la fin du IXe s. Depuis, les fouilles se poursuivent chaque
année sur ce site exceptionnel.
L’évangélisation du bassin scaldien est sans doute parmi les
plus tardives de la Gaule. Partout ailleurs sur ce qui deviendra le territoire
français, des évêques s’installent dans les cités romaines au plus tard au milieu
du IVe s. Déjà, des oratoires se créent dans les campagnes, le plus souvent à l’initiative
de l’aristocratie locale. Pourtant, deux siècles plus tard, la christianisation
ne semble guère avoir dépassé de manière significative les limites Nord de l’Artois
et du Cambrésis. Les missionnaires, tous de langue latine et de culture (gallo)
romaine se sont arrêtés aux lisières des plaines septentrionales peuplées par
des Germains d’Outre-Rhin parfois dès le IIIe s.
Une des première avancées missionnaires est l’œuvre de
Saint-Amand, un aquitain, vers 620-650, avec comme « bases-arrière »
quelques monastères qu’il fonde dans la vallée de la Scarpe, affluent de l’Escaut,
principale voie de pénétration vers les confins septentrionaux. Les premiers d’entre
eux sont Elnone (aujourd’hui Saint-Amand, Nord), sur une terre donnée par le
roi Dagobert, Marchiennes et Hamage (Nord) fondés par et pour les femmes d’une
riche famille locale, Rictrude à Marchiennes, Gertrude à Hamage. Ce dernier est
sans doute la plus ancienne fondation monastique du Nord de la France, de Belgique
et des Pays-Bas.
Il s’agit d’un monastère double autour d’une église
saints-Pierre-et-Paul. Au milieu du VIIe s., Eusébie, arrière-petite-fille de
Gertrude, abbesse à l’âge de 12 ans, fonde un oratoire où elle sera enterrée et
meurt en odeur de sainteté à 23 ans.
Après les invasions vikings qui dévastent les monastères de
la Scarpe en 881 et 883, le couvent semble disparaître. En 1131, l’abbé de
Marchiennes Amand y réinstalle un modeste prieuré de 4 ou 5 moines, qui dure
jusqu’à la Révolution.
L’intérêt tout particulier du site de Hamage vient
précisément de sa disparition rapide qui offre l’occasion rarissime d’observer
un site peu remanié depuis le haut Moyen-Age. En effet, dans toute l’Europe
occidentale, aucune fouille archéologique n’a encore révélé l’organisation et
les bâtiments d’un monastère antérieur au IXe s. Victimes de leur succès et des
reconstructions successives, nous ne connaissons de l’origine de ces
établissements qui ont tant contribué à la culture et à l’histoire de l’Europe,
que quelques églises et quelques lambeaux de fondations.
Le site naturel est celui de la plaine marécageuse et jadis
boisée de la Scarpe. Le substrat sableux est recouvert d’un niveau noirâtre,
dans lequel se situent les vestiges archéologiques. Les variations de couleurs
et de consistances sont particulièrement faibles, la lisibilité des structures
archéologiques demande donc beaucoup d’attention et de minutie.
Au cœur du
monastère mérovingien
Pour l’instant, la trace la plus ancienne est un vaste fossé
dont le comblement a livré des céramiques de la première moitié du VIIe s. Il s’agit
très certainement de la limite ouest de l’enclos monastique, tracé dès l’origine
du site et qui ne varie plus jusqu’à nos jours.
Au VIIIe s., les traces deviennent plus nombreuses. Les bâtiments
sont tous en bois et se révèlent par des trous de poteaux, des calages de
pierre, quelques traces de sols d’occupation et l’empreinte des poutres en bois
qui servaient de base aux parois. Le principal d’entr’eux mesure 15 m. sur 17.
Il est composé de toutes petites cellules (2 à 3 m. de côté), munies chacune d’un
foyer, autour d’une grande pièce centrale. Les foyers, un four domestique
extérieur et des latrines montrent qu’il s’agit d’une habitation. Le dépotoir
situé au pied des murs a livré de nombreuses céramiques de table (cruches,
écuelles, bols et gobelets). Plusieurs de ces derniers portent des inscriptions
gravées par leur propriétaire, en particulier des noms féminins : Aughilde
et Bertane.
Les fouilleurs ont également retrouvé dans le même dépotoir
des perles en verroterie, des agrafes de vêtement en bronze ou en argent et de
nombreux peignes en os. Les oraisons, les activités manuelles attestées par la
fouille (filage, tissage, couture) n’excluent pas les loisirs (les dés,
pourtant mal vus par l’Eglise), ni la consommation de viande, ni la bonne
humeur : un gobelet porte le graffiti « MITTE PLINO », ce qui
voudrait dire à peu-près : Verse à ras bord !
Les religieuses entretenaient de nombreux artisans qui ont
abandonné aux alentours leurs produits, leurs outils et leurs déchets :
verriers, bronziers, forgerons, pêcheurs, menuisiers… L’abondance et la qualité
de ce matériel suggère un contexte social de niveau élevé.
La réforme
bénédictine, vue de Hamage
Au IXe s., la topographie du monastère est totalement
remaniée. Au nord, l’église dédiée à Sainte Eusébie n’a pas encore été fouillée ;
mais on sait qu’il s’agit d’un bâtiment de pierre, d’environ 15 m. de largeur
sur une trentaine de m. de longueur. Le long du mur sud, une galerie large de
2,50 m. est limitée par un alignement de 5 poteaux. Deux tombes y sont
aménagées.
Par sa taille, ce sanctuaire se place
bien évidemment loin derrière les grandes abbatiales royales comme Saint-Denis,
Saint-Riquier ou Fontenelle ; toutefois, il égale une église aussi célèbre
que sainte-Gertrude de Nivelles, fondée à la même époque et avec l’appui de saint
Amand.
Perpendiculairement à l’église, un
vaste bâtiment de bois, de 7 m. de largeur sur plus de 22 m. de longueur se
détermine par trois files d’imposants poteaux de bois. En 1995, un retour vers
l’est a été clairement mis en évidence, ainsi qu’une galerie de circulation.
Autrement dit, nous sommes devant un cloître de bois de la première moitié du
IXe s., au moment où Louis le Pieux, en 816-817, fait diffuser d’autorité dans
tous les monastères de l’Empire la règle de saint Benoit et ce qui sera
désormais le plan-type de toutes les abbayes médiévales. Avec la construction
du premier cloître de Hamage, dans les niveaux duquel précisément deux deniers
de Louis le Pieux ont été retrouvés, l’archéologie saisit peut-être pour la première
fois de manière aussi nette une des mutations fondamentales de l’Eglise d’Occident.
Cette période de termine par un
pillage des tombes et une démolition de l’église, qui pourrait être mis en
relation avec les Vikings (880-881) et le semi-abandon qui suivit.
En 1133, l’abbé de Marchiennes,
qui tente de récupérer le patrimoine de Hamage, tombé aux mains de seigneurs
locaux rebâtit un petit prieuré, autour de la vieille église plus ou moins
restaurée et d’un nouveau cloître, désormais en pierre. La fouille a analysé
les 3 cloîtres qui se succèdent alors jusqu’au XVIe s., ainsi que la grange et
les bâtiments associés. Après un saccage par les Calvinistes en 1566, la
chapelle et le prieuré se réduisent à leur volume actuel, et l’on peut toujours
voir sur le site les dernières constructions, édifiées par Dom Jonat Mehay en
1720. »
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