In Luc De Vos – « La première guerre
mondiale », éditions JM Collet, Louvain, 1996, 179 pages, pp
104-105
Dans l’armée de l’Yser, on comptait largement 60% de
Flamands mais la proportion de sous-officiers flamands était moindre. En outre,
on en trouvait davantage dans l’infanterie. Pour cette raison, le nombre de
morts était, toutes proportions gardées, plus élevée chez les néerlandophones
que chez les francophones (soit 65%). Sous la pression des circonstances
difficiles que nous avons déjà relatées, le mécontentement grandit à partir de
mars 1915. Les Flamands avaient alors des médecins, un certain nombre
d’officiers et surtout beaucoup de sous-officiers qui ignoraient le néerlandais.
Les soldats du nord du pays étaient souvent appuyés par les aumôniers et
d’autres intellectuels dans leurs revendications.
Initialement, les tentatives politiques afin d’amener le
bilinguisme à l’armée laissèrent indifférent le roi, le Premier ministre et la
direction de l’armée. Le bilinguisme au sein de l’armée avait pourtant été
instauré par la loi linguistique de 1913. En 1916, des directives apparurent à
ce sujet et les revendications diminuèrent en intensité.
Dès le début de l’occupation, la bien nommée Flamenpolitik
fut menée par les Allemands. Grâce à elle, on voulait donner une place
privilégiée au néerlandais dans notre pays, dans l’intention de suivre le goodwill
néerlandais et de détruire la Belgique. L’occupant allemand réussit bien à rallier,
grâce à une politique roublarde, 15.000 Flamands qui collaborèrent avec lui. Ce
groupe pensait qu’il ne fallait pas subir passivement les attaques des Franskiljons.
Outre des possibilités de faire carrière, ils avaient la volonté de relever
l’honneur de leur peuple. Quelques flamingants devaient même, en secret, jouer
le rôle de conseillers des Allemands. Du coup, l’activisme devenait une
réalité. En octobre 1916, grâce à la flamandisation de l’université de Gand,
les Allemands purent encourager le Mouvement flamand. Au front, une polémique
naquit également à ce sujet. Les responsables les plus flamingants allèrent
jusqu’à soutenir les activistes en Belgique occupée.
Cela suscita l’allergie d’une partie importante de la
direction de l’armée et du roi pour tout ce qui touchait au flamingantisme. Le
nouveau chef d’état-major du roi qui prit ses fonctions en 1917, le Hennuyer
Louis Rucquoy, était fermement décidé à en finir avec l’agitation. Cette
année-là, la censure frappa les nombreuses feuilles du front et la vie
associative dans les tranchées fut fortement brimée. Le frontisme se propagea
alors grâce à des publications clandestines. Le 11 juillet 1917, quelques
soldats flamands publièrent une lettre ouverte au roi Albert pour dénoncer la
discrimination linguistique continuelle qui régnait au sein de l’armée. Le
souverain, redoutant tout ce qui pouvait nuire à l’unité dans les rangs belges,
commença par réprimer le Mouvement, mais après une deuxième lettre ouverte,
réagit dans un sens positif.
Le frontisme se radicalisa pourtant à la fin de 1917.
« Ici est notre sang, à quand nos droits ? », telle était leur
revendication, influencée par la Révolution russe. En avril 1916,
l’insurrection de Pâques en Irlande, le décret de séparation administrative de
le Belgique occupée du 21 mars 1917, le grand nombre de déserteurs en 1917 –
5.063 contre 1.203 en 1916 –, et finalement la proclamation d’indépendance de
la Flandre par le Conseil de Flandre le 22 janvier 1918 n’auront
indubitablement pas été étrangers aux préoccupations du souverain. Cependant,
il ne prit aucune décision fondamentale. La vie politique et sociale belge,
surtout après la guerre, portera le cachet indélébile des revendications
flamingantes nées dans les tranchées de l’Yser.
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