Publié par A. Richebé, imp. D. Prévost, Lille, 1898
Nous avons publié récemment, sous forme de chroniques, dans
le journal la Dépêche, le Journal d’un
Bourgeois de Lille, pendant la Révolution.
En raison de l’intérêt que peut offrir ce document de notre
histoire locale, et cédant au désir manifesté par plusieurs de nos lecteurs,
nous avons cru utile, tout en leur laissant leur forme primitive, de réunir en
brochure les articles dont il s’agit
A. Richebé, janvier 1898
JOURNAL D’UN BOURGEOIS DE LILLE
Pendant la Révolution
I.
Le journal auquel nous empruntons les extraits qui suivent
n’est pas l’œuvre d’un historien. Le narrateur était un simple commis d’une
ancienne maison de commerce bien connue des vieux Lillois, la maison
Pollet-Brame. Il consignait, en marge du journal de commerce de son patron, des
notes journalières, sur les incidents de quelque intérêt, qui vont du 30
novembre 1787 au 3 avril 1793
.
La famille dont nous parlons possède encore le registre
original dont une copie faite en 1842 par M. Victor Derode, figure au nombre
des manuscrits de la bibliothèque.
Au début, notre modeste chroniqueur se borne à noter les
variations de température, bientôt il rend compte des événements du jour, et à
mesure qu’ils se succèdent, son compte rendu se colore sous l’impression des
passions du moment. Il s’irrite contre les prêtres ; il voit dans Louis
XVI un nouveau Charles IX, et son enthousiasme l’emporte parfois au-delà des
limites du vrai.
On voit, néanmoins, sous l’influence d’anciennes habitudes
qui le dominent à son insu, reparaître, par intervalles, le bourgeois paisible,
notant avec soin, les phénomènes atmosphériques, le jour où l’enfant de la
maison a, pour la première fois, porté culotte, et inaugurant l’année qui
commence, « Au nom du Père, du Fils
et du Saint-Esprit ».
***
Les notes relatives à l’année 1788 se bornent à signaler les
rigueurs exceptionnelles d’un hiver précoce et prolongé, la disette causée par
deux mauvaises récoltes successives, et qui contribua pour une large part aux
premiers troubles de la Révolution.
En mars 1789, au moment des assemblées primaires pour la
désignation des délégués chargés de procéder à l’élection des députés aux
Etats-Généraux, le pain de méteil se vend deux patars la livre, et le prix du blé s’élève à 34
florins le sac.
Le 29 avril, deux jours après l’ouverture des Etats-Généraux
à Versailles, des troubles sérieux éclatent à Lille. « La populace
effrénée, dit notre chroniqueur, se porta
à l’extrémité de casser les vitres chez les boulangers, enleva tout le pain
qui s’y trouvait sans le payer. A cette occasion, on battit la générale à une
heure après-midi pour que toute la garnison prît les armes. Elle fit patrouille
toute la journée. Il n’y eut, malgré cela, rien de fâcheux. On cassa les vitres
chez les sieurs Lesage, Martel et autres négociants, accusés d’être marchands de grains. »
Le 22 juin, émeute à Armentières. Une compagnie de
grenadiers du régiment de Condé et cent dragons avaient été dirigés quelques
jours auparavant sur cette ville ; un officier et plusieurs grenadiers y
furent blessés à coups de pierre.
La réunion des trois ordres, le 27 juin, la prise de la
Bastille connue à Lille le 17 juillet, le renvoi de 45.000 hommes de troupes,
groupés à Paris et à Versailles, le retour du roi à Paris, où Lafayette lui
fait arborer la cocarde tricolore, excitent l’enthousiasme patriotique de notre
bon bourgeois.
Il ne tarde pas à en rabattre quelque peu en présence du
contrecoup qu’eurent à Lille les évènements de Paris : « La nuit
dernière, écrit-il à la date du 22
juillet, émeute désastreuse où le fort du mal s’est porté chez les sieurs des
Ursins, Martel, Duwet et Lagache ; on y a tout foncé, brisé. Le 23, on a
pendu un homme atteint et convaincu d’émeute et de vol ; il fut arrêté la
nuit et exécuté à quatre heures et demi après-midi. »
On procède à l’organisation de la milice bourgeoise, et,
quelques jours après, deux mille hommes se trouvèrent spontanément armés et
prêts à défendre l’ordre et les propriétés particulières. Le 28, une messe
solennelle d’actions de grâces est célébrée à Saint-Etienne, à l’occasion de la
réunion des trois ordres ; quelques jours plus tard, illumination générale
pour le retour de Necker, et pendaison de l’un des chefs d’une bande qui avait
tenté de piller l’abbaye de Flines.
La renonciation de la noblesse et du clergé à leurs
privilèges, dans la nuit du 4 août 1789, est annoncée en ces termes à la date
du 7 août : « Bonne nouvelle ! Le clergé et la noblesse cèdent
leurs privilèges pécuniers et les
provinces leurs privilèges particuliers. Les charges vénales ne s’achèteront
plus, le clergé et la noblesse paieront comme le citoyen les charges de l’Etat,
la justice sera pour rien. »
Le 19 août, toute la garnison prête le serment de fidélité
et d’obéissance à la Nation, au Roi et à la Loi. Ce sont les régiments de la
Colonelle-générale, d’Armagnac, de la Couronne, de Condé, le régiment de
cavalerie des trois-Evêchés.
On lève à cette occasion, l’interdiction de porter le sabre,
prononcée contre les cavaliers de ce dernier régiment, à la suite d’actes
d’indiscipline et de menaces de mort à l’adresse du lieutenant-colonel. Le 27,
le régiment de Condé infanterie est dirigé sur Boulogne et celui de la
Colonelle-Générale le remplace à la Citadelle.
Malgré l’abondante récolte de 1789, le blé reste toujours
cher, « par faute des accapareurs, dit notre chroniqueur, et à cause des
exportations. Elles atteignent un chiffre tel que le gouvernement les punit de
mort. Un détachement de 150 hommes de la garnison est envoyé pour y former un
cordon destiné à empêcher la sortie des grains. Le produit des prises sera
partagé par moitié entre la troupe et les pauvres de la commune où elles auront
été effectuées ».
Les incidents du banquet offert le 1er octobre
1789, à Versailles, par les Gardes du corps aux officiers du régiment de
Flandre, et le bruit du projet formé par le Roi de se réfugier à Metz, où
commandait le Marquis de Bouillé, ne tardent pas à provoquer de nouveaux
troubles. Le palais de Versailles est envahi, le 6 octobre, et le Roi ramené à
Paris, où l’Assemblée le rejoint quelques jours plus tard.
La portée de ces graves évènements, qui livraient la
révolution à l’émeute et aux agitateurs de bas étage, paraît échapper à notre
bon bourgeois.
« Heureuse
catastrophe, écrit-il en les consignant dans son journal à la date du 9,
sans quoi, le lendemain, le Roi partait pour Metz, et toute la route aurait été
jonchée de troupes pour l’accompagner, ce
qui eût fait mauvais effet. »
* * *
Les 10 et 19 février 1790, on procède à l’élection du maire,
du procureur de la commune, et des dix-sept officiers municipaux appelés, au
terme de la loi du 18 décembre 1789, avec un nombre égal de notables, à
composer la municipalité nouvelle. Le 20, elle s’installe à l’hôtel de ville,
sous la présidence du nouveau maire, M. Vanhoenacker. Elle ne tarde pas à s’y trouver aux prises
avec de sérieuses difficultés.
Encouragés par l’exemple des chasseurs à cheval du régiment
des Trois-Evêchés, et par l’impunité dont ils ont joui, « le régiment de
Vivarais, en garnison à Béthune, se soulève à son tour contre son
lieutenant-colonel ; il n’y eut que le corps des officiers et les vieux
serviteurs qui restèrent. »
Des faits plus graves ne tardent pas à se produire à Lille.
« Toute la garnison, dit notre chroniqueur à la date des 8 et 9 avril,
s’est portée à un désordre sans exemple. Le régiment de la Colonelle-Générale,
avec les chasseurs à cheval de Normandie, se sont alliés ensemble contre les
régiments de la Couronne et Royal des Vaisseaux. Ils ont commencé par se
sabrer, et ensuite, sur les deux heures de l’après-midi, se sont donnés de
leurs fusils et ont fait feu contre les premiers régiments en pleine ville, où
ils ont tué une douzaine d’hommes, tant de la Colonelle que des chasseurs de
Normandie. Ce massacre ne fut fini qu’à sept heures du soir. Dans la nuit du 8
au 9, le calme allait venir, lorsque le marquis de Livarot, en qualité de
Lieutenant-Général pour le Roi, donna tout à coup aux régiments de Royal des
Vaisseaux et de la Couronne l’ordre de partir à trois heures du matin. Mais la
Garde Nationale, informée de ce projet
arbitraire, ou pour mieux dire aristocratique, se met sous les armes, dès
minuit, et s’oppose à leur départ. Ils étaient prêts à partir, ayant le sac sur
le dos. Alors, la municipalité vint, au nom du peuple, les signifier à mettre le sac en bas, dont on dressa un acte pour
marquer qu’il n’y avait rien de leur faute. Ensuite, il fut résolu de faire
partir les régiments de la Colonelle-Général et des chasseurs à cheval de
Normandie, qui s’étaient réfugiés dans la citadelle, avec ledit Livarot, où ils
persistèrent à ne point se rendre aux ordres de partir, en sorte que tout resta
indécis jusqu’au lendemain pour recevoir de la Cour des ordres directs. »
« 16 avril – Le marquis de Livarot, que les soldats du
régiment de la Colonelle-Générale avaient saisi et constitué prisonnier dans la
Citadelle, pour cause d’intrigues et d’aristocratie, vient de partir pour
Paris, escorté de quatre cavaliers de maréchaussée, pour se justifier, s’il le
peut, contre 80 témoins. Il avait de plus toute la ville et toute la garnison
contre lui. »
« 21 avril – Par ordre de la Cour, toute la garnison
vint d’évacuer cette ville, rapport à
cette terrible journée du 8, où, depuis, le calme ne pouvait se rétablir, de
sorte que la Colonelle-Générale infanterie partait pour Dunkerque, Royal des
Vaisseaux pour Mézières, la Couronne pour Béthune, et les Chasseurs de
Normandie pour Philippeville. »
Tel fut le dénouement de cette affaire. Des incidents de
même nature se produisirent dans diverses villes ; ils donnent une idée
des progrès qu’avaient faits l’indiscipline dans l’armée, dix mois à peine
après le début de la Révolution, et qui menaçaient de laisser le gouvernement
sans force à l’intérieur, et la France désarmée en face de l’Europe.
II.
Le départ de la garnison rendit, pour quelques temps, le
calme à notre cité, où, malgré la pente fatale qui entraînait la Révolution,
les éléments d’ordre exerçaient encore une influence prépondérante. On en
trouve la preuve dans les passages du journal relatifs à la remise des drapeaux
à la garde nationale, aux banquets où elle fraternisait avec la garnison, et
aux fêtes civiques qui servirent de prélude à la fédération du 14 juillet.
« Hier, écrit l’auteur à la date du 26 avril 1790,
serment civique sur le Champ de Mars, avec un appareil impressionnant. Toute la
garde nationale était dans une grande tenue, et presque toute en uniforme,
habit bleu et doublure pareille, avec collet rouge bordé d’un passepoil blanc,
boutons aux armes de la ville, autour de cette devise : Garde nationale de Lille, veste et culotte
blanches.
« La cérémonie se fit sur les quatre heures ; sur
les sept heures, on chanta à Saint-Pierre le Te Deum, au bruit du canon, et le matin on bénit neuf
drapeaux ; pour les neuf divisions.
« Le 28 mai, la garnison offre un repas à la garde nationale,
chaque compagnie des divers régiments invitant une compagnie de la milice
bourgeoise, « en acte de joie, dit le journal, de la future
confédération. »
« Le 1er juin, les compagnies de chasseurs
de la garnison, conjointement avec les chasseurs de la garde nationale, se
rendent chez M. Vanhoenacker, maire de cette ville, avec un superbe char de
triomphe où il fut placé, au son des musiques de toute la garnison. Ensuite, on
fut chercher le Lieutenant de Roi, et le général de la garde nationale, M. le
comte d’Orgères, entourés de la plus brillante jeunesse.
« Ils furent
aller diner à la Vieille-Aventure, à la suite duquel ils revinrent en
ville, où ils furent promener dans ledit char, dans les plus beaux quartiers,
escortés de plus de dix mille hommes, tant de la garde nationale que de la
garnison. Le tout s’est passé avec toute la tranquillité possible. »
Le 6 juin eut lieu la cérémonie de la confédération des
trois départements du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme, dont une gravure
du temps rappelle le souvenir. « On avait élevé, à cet effet, sur le Champ
de Mars, un superbe temple allégorique à la circonstance, sur le frontispice
duquel il y avait cette inscription : Jus
populi recuperatum.
« A cent pas plus bas fut élevé un autel à la romaine,
où fut posé le Saint-Sacrement, qui y fut porté par le clergé de Saint-Pierre,
escorté par deux mille hommes sous les armes. Ils se dirigèrent vers l’autel en
suivant une allée entourée de barrières, pour éviter la confusion, et dans
laquelle il y avait au moins dix mille hommes sous les armes, tant de la garde
nationale de Lille, que des confédérés, et de toute la garnison, qui tous
étaient pêle-mêle.
« Quand la procession fut arrivée, on donna la
bénédiction au peuple, qui était immense, puisqu’on le portait à cent mille
âmes. Ensuite, on fit la bénédiction du drapeau de la confédération, sur lequel étaient empreintes
les armes de toutes les villes confédérées, cérémonie qui fut noble et
majestueuse. Après, fut prêté le serment, à la suite duquel fut chanté le Te Deum, aux bruits du canon, aux sons
des musiques de toute la garnison et aux cris de tout le peuple, de : Vive la Nation ! la Loi et le Roi !
« Cette sainte et majestueuse cérémonie commença à
trois heures après-midi et ne finit qu’à neuf heures du soir, où tout défila en
ordre de bataille.
« Elle fut vraiment imposante, chaque soldat criait à
tue-tête, ayant le chapeau au bout de la baïonnette, Vive la nation ! et tout se passa dans la plus parfaite
harmonie, et dans le plus grand ordre. »
Cette dernière assertion ne paraît susceptible d’être
accueillie que sous quelques réserves, car le journal constate que, les jours
suivants, on retrouva dans le canal de l’esplanade, les corps de onze noyés.
Le 27 et le 28 juin, la garde nationale et la municipalité
rendirent à la garnison le repas offert par elle.
« Chaque jour, il y eut à table au moins neuf mille
hommes, qui furent servis en bouilli, pâté, gigot de mouton et jambon. La bière
à discrétion et chacun au moins sa bouteille de vin. La manière avec laquelle
on se rendit à chaque fois au dîner, qui était aux promenades, était
majestueuse. La garde nationale, pêle-mêle avec toute la garnison, offrait un
spectacle enchanteur.
« Des chars de triomphe représentaient tous trophées analogues à la liberté de la
France ; sur les uns étaient assis le Maire, le Lieutenant de Roi, le
général de la garde nationale, sur les autres la municipalité ; sur un
autre était le buste de Louis XVI, avec tous ses habits royaux, dans un char à
la romaine, traîné par un éléphant, au bruit des tambours, trompettes et de
toutes les musiques de la garnison.
« Les canonniers, en grande tenue, précédaient Louis
XVI avec deux pièces de canon, munies de tout leur attirail.
« A la suite du dîner, tous les chars parcoururent
pendant deux jours les principaux quartiers. »
Le 14 juillet 1790 eurent lieu à Paris les fêtes de la
fédération, les délégués lillois partirent le 9. Ces fêtes eussent pu fournir,
à l’infortuné Louis XVI, l’occasion de rallier entre elles les différentes
gardes nationales de France, et de s’assurer le concours d’une force armée qui,
tout en consacrant le nouveau régime, permit de contenir les révolutionnaires.
Il se contenta d’y assister avec la dignité passive d’un simple témoin.
L’enthousiasme manifesté par les fédérations pour le Roi et la Constitution fut
partagé par les Lillois. Notre chroniqueur ne manque pas d’en consigner le
souvenir dans ses notes.
« Heureux jour de la confédération générale de la
France, faite à Paris, où toutes les provinces envoyèrent l’élite de leur
jeunesse, dont on porte le nombre, compris ceux de Paris, à deux cent mille
hommes.
« Ce fut au Champ de Mars qu’eut lieu la cérémonie du
serment prêté par le Roi, et après lui par le Président de l’Assemblée et les
fédérés des départements.
« Ici, toute la garde nationale, avec la garnison, se
rendit sur le Champ de Mars, pour ce serment, au bruit de l’artillerie, dont,
malheureusement, il y eut un canonnier tué, pour avoir mal lavé sa pièce, dont
le coup partit au moment de la charge. »
Le 25 juillet, 600 hommes de la garde nationale vont
recevoir les confédérés de Lille, revenant de Paris. Leur entrée est saluée par
une décharge de douze pièces de canon.
* * *
Les six derniers mois de 1790 ne furent pas marqués, à
Lille, par aucun incident digne d’intérêt. Notre chroniqueur se borne à
signaler la récolte « qui met le pain à très bon compte, et les pains français à trois liards », la
récolte des troupes de la garnison de Nancy, vigoureusement réprimée par le
marquis de Bouillé, la démission et le départ de Necker, connus à Lille le 13
septembre, l’arrivée du régiment de Diesbach, venant d’Arras, et l’envoi de
troupes à Merville, le 18 décembre, pour y rétablir l’ordre.
« Pour terminer le journal de cette année, écrit-il à
la date du 31 décembre, que Dieu veuille que la prochaine ne soit pas si triste
que celle-ci. Les annales en feront mémoire par les entraves qu’a essuyées
l’Assemblée nationale, et par la crapuleuse
révolution des Pays-Bas, qui avait pour chefs le rebut du genre humain que
furent Van der Noot, van Kempen, Tongerloo et plusieurs autres coquins comme
eux. Enfin, Léopold II, à la tête de 60.000 hommes, reconquit ce malheureux
pays, sans effusion de sang. Mais le nombre des fuyards, qui ressemblaient à
leurs insignes coquins de chefs, enlevant avec eux chevaux, armes et bagages,
était innombrable. Il en est passé par Lille au moins 20.000 de tout âge et de
toute taille, enfin un tas de vagabonds et de vrais vauriens. »
« Le 27 janvier 1791, 500 hommes de la garde nationale,
300 hommes de troupes de ligne, et un escadron de cavalerie, avec quelques
cavaliers de la maréchaussée, partent de Lille pour se rendre à Houplines, où
des gens des environs arrêtent avec menaces plusieurs bateaux chargés de
grains, destinés au ravitaillement des ports. C’est, dit le journal, la
première expédition à laquelle la garde citoyenne est appelée à concourir, en
dehors de la commune.
« Le 17 mars, les sieurs Derbaix, imprimeur, et
Nicolon, brasseur à Douai, sont massacrés par la populace. Après les avoir
pendus à la lanterne, on les descendit encore vivants, pour les achever à coups
de poignards, et leurs corps furent traînés dans les rues jusqu’à neuf heures
du soir. »
L’exécution du décret relatif au serment constitutionnel du
Clergé, sanctionné par le Roi le 26 décembre, ne souleva à Lille, au début,
aucun incident violent.
« Hier, dit notre chronique à la date du 7 février, fut
le dernier jour de la prestation de serment du Clergé ; il n’y a eu que
les curés de Saint-Etienne et de Saint-Sauveur, avec 22 autres ecclésiastiques,
qui se sont soumis au décret, en prêtant le serment à Saint-Maurice. »
Le nombre des assermentés n’étant pas assez considérable
pour assurer le service du culte, les non-assermentés, avec l’assentiment de la
municipalité, continuèrent l’exercice de leur ministère, jusqu’à l’élection de
leurs remplaçants, qui ne fut terminée que le 1er octobre.
Le 29 mars, on procède à celle de l’évêque du département du
Nord, en vertu du décret de l’Assemblée, du 21 janvier, destituant les évêques
non assermentés.
« Les suffrages, dit notre journal, sont tombés sur le
curé de Saint-Jacques de Douai, nommé Primat. Les corps civils et militaires,
l’assemblée électorale furent le complimenter à l’église Saint-Pierre, à la
suite d’un Te Deum, sur son
avancement à l’épiscopat, dont il rendit
un discours sublime en acte de reconnaissance. A cette occasion, la
Grande-Place fut illuminée le soir. »
Le 2 avril, mort de Mirabeau, « la clef et l’arc-boutant de la Constitution française », dit
emphatiquement l’auteur. Le lendemain, « Te Deum à quatre heures à St-Etienne, pour remercier l’Etre de tout bien, pour le
rétablissement de la santé de Louis XVI. Le canon s’est fait entendre et le
soir il y eut illumination par toute la ville. »
III.
L’installation des nouveaux curés constitutionnels
détermina, dans plusieurs départements, des troubles sérieux.
A Lille, tout se borna, d’après notre journal, au refus fait
par les vicaires et le clerc de Sainte-Catherine, de remettre au nouveau curé
les registres et les clefs de l’église, les ornements et autres objets du
culte. Un d’entre eux fut pris et condamné à six mois de bannissement.
Mais les populations flamandes ne montrèrent pas le même
calme.
« Dans la nuit du 2 au 3 juin 1791, un courrier arriva
de Bailleul, à onze heures du soir, pour demander des secours à la
municipalité. Des troubles sérieux, dans lesquels deux personnes avaient été
tuées, avaient éclaté dans cette ville, à l’occasion de la visite du nouvel
évêque constitutionnel, le Sr Primat. »
L’auteur, à qui nous laissons la responsabilité de son
assertion, attribue à l’influence de l’évêque d’Ypres, Mgr d’Arberg, la cause
de ces graves incidents.
« Le 4 juin, M. Primat arriva à Lille à sept heures du
soir, escorté de gardes nationaux de Bailleul et d’Armentières, qui, au nombre
de 150, étaient à cheval.
« Le corps municipal, conjointement avec le clergé, la
garde nationale et les troupes de ligne de la garnison, furent au-devant de
lui, au-delà de la porte de la Barre, pour le complimenter, et on le conduisit
à l’église paroissiale de Saint-Etienne, où il se rendit à pied. A huit heures
et demie eut lieu le Te Deum, salué
par l’artillerie des remparts ; le soir, illumination et feu
d’artifice. »
Le 6 juin, la garde nationale de Lesquin arrête une voiture
chargée de 120 mille louis en or, qui fut amenée à Lille à dix heures du matin,
sous escorte. Le départ de la famille royale, dans la nuit du 20 au 21 juin
1791, ne fut connu à Lille que le 23.
« Des lettres de Paris, écrit à cette date l’auteur du
journal, annoncent la fuite du Roi. Les bruits populaires ne disent à Namur ou à Bruxelles. Aussitôt les portes
de la ville furent fermées et on ne pouvait sortir sans un billet de la
municipalité, pour pouvoir réunir la Garde nationale au besoin. »
« 24 juin – Ni la poste, ni le courrier n’apportent
rien de positif sur la voie prise par le Roi. Vers neuf heures du soir, deux
courriers annonçaient l’arrestation de la famille royale, le 22, à Varennes en
Argonne. Le deuil qu’il y avait dans la ville se changea en une joie des plus
grandes, et il y eut, en un instant, illuminations et danses par toute la
ville. »
« 25 juin – Les officiers de la Colonelle-Générale
infanterie, à la réserve de quatre ou cinq, se sont rendus à Furnes, enlevant
la caisse et les drapeaux du régiment. Ils ne laissèrent que les bâtons et les
piques, et écrivirent aux soldats de venir les rejoindre, pour soutenir le Roi
dans la nouvelle situation, croyant qu’il était en Empire. Mais le Maire et les officiers municipaux de dunkerque,
où le régiment était en garnison, lui offrirent un de leurs drapeaux, qui fut
remis à la troupe, rangée en bataille. »
En présence des menées du parti révolutionnaire, la majorité
des députés et beaucoup de gardes nationales sentirent la nécessité d’affirmer
leur attachement à la Constitution qu’ils voulaient maintenir. Celle de Lille
s’associa à ce mouvement.
« Le 1er juillet, toute la garde nationale
prête le serment de maintenir la constitution de tout son pouvoir, en présence
du général Rochambeau et de trois membres de l’Assemblée.
« Le 11 juillet eut lieu l’élection du commandant de la
Garde nationale, le colonel Bryant.
« Le 29 août, arrivée des gardes nationales de
Dunkerque, Bergues et autres endroits, qui se rendent, conjointement avec celle
de Lille, à Douai, où est le ralliement général du département du Nord, pour se
rendre aux frontières. »
La Constitution fut votée par l’Assemblée le 1er
septembre. Le 14, le Roi se rendit à la séance pour déclarer son acceptation et
prêter serment. Cette nouvelle fut accueillie avec satisfaction par la
population lilloise, qui croyait voir, dans l’inauguration de la Royauté
constitutionnelle, la solution de toutes les difficultés présentes.
« Aujourd’hui, à huit heures du soir, écrit l’auteur à
la date du 15 septembre, est arrivé un
courrier extraordinaire apportant l’agréable
et salutaire nouvelle de
l’acceptation par le Roi de la Constitution. A cette nouvelle inattendue, en un
clin d’œil, toute la ville fut illuminée, et partout des feux d’artifice et des
cris de : Vive le Roi ! Vive la
Nation ! Le 18 septembre, on chanta un Te Deum, à quatre heures ; les corps de grenadiers de la
garnison, en grande tenue, étaient sous les armes dans l’église, et la joie
pure régnait d’un si beau jour. Toute
l’artillerie des remparts, 150 pièces, fit trois de suite une décharge. Le
soir, à neuf heures, illumination par toute la ville, et même salve. »
Le 20 septembre, in procède à l’élection des membres du
clergé, destinés à remplacer les curés insermentés. « Cette opération de
fut terminée que le 1er octobre, pour 80 cures vacantes, 63 curés
seulement furent élus. Les autres sujets n’ont pas été jugés dignes, de sorte
qu’on a mis le restant à nommer pour le 6 novembre. »
* * *
Le 30, la Constituante faisait place à l’Assemblée
législative, qui tint le lendemain sa première séance. Le 10 octobre eut lieu à
Lille, la proclamation de la Constitution. « On avait dressé, à cet effet,
devant la maison Dupont, Au Soleil,
un grand escalier à trois faces, qui faisait face au Grand’Garde. Ensuite on
chanta un Te Deum au bruit des
cloches, de l’artillerie et de la mousqueterie de toute la garnison et de la
garde nationale, faisant ensemble seize mille hommes qui s’étaient rendus sur
les remparts, pour y faire le feu de file, ayant chacun trois coups à tirer.
Ensuite il y eut un feu d’artifice superbe et illumination générale avec des
emblèmes à la gloire de la nation, de la Constitution et du Roi, dont voici une
que j’ai vue :
Et que ce
grand exemple, où notre espoir se fonde,
Soit la
leçon des rois et le bonheur du monde. »
Les désertions, dont le régiment de la Colonelle-Générale
avait donné le signal au mois de juin, se multiplient dans l’armée. Notre
journal signale, à la date du 30 septembre, le départ d’un certain nombre d’officiers
pour Ath, Mons, Tournay, etc.
« Hier, écrit l’auteur le 12 octobre, est parti le
lieutenant-colonel commandant le régiment de cavalerie de la Cornette-Blanche,
en garnison ici. Cet officier, nommé Victor Verguette, a emporté la caisse du
régiment montant à 16.800 francs, le premier étendard et laissé plus de 30.000
francs de dettes. »
« Le 19, le régiment de Dillon, en garnison à Lille
depuis deux ans, et où, de nombreuses désertions s’étaient produites, est
dirigé sur Arras ; il est remplacé par le régiment de Bourbon venant
d’Arras.
« Le 24, émeute de tous les ouvriers filtiers,
occasionnée par l’agiotage sur les petits assignats de cinq francs, qui
subissaient 10 à 12 sous de perte. La garnison et toute la garde nationale
restent sous les armes, depuis une heure après-midi jusqu’à dix heures du soir.
« Le 14 novembre, réunion des Assemblées primaires pour
la nomination des nouveaux maires, officiers municipaux et notables ; M.
André fut élu en remplacement de M. Vanhoenacker. »
Faut-il attribuer au défaut d’information, où à son
indifférence pour la politique étrangère, le silence de l’auteur du
journal ? Toujours est-il que nous ne trouvons dans ses notes des derniers
mois de 1791 aucune mention relative à l’impression produite à Lille par la
déclaration de Pilnitz, ni par le vote de l’Assemblée législative du 12
décembre, organisant un corps d’armée à Lille, sous le commandement de
Rochambeau, et deux autres sur la frontière de l’Est, sous Luckner et Lafayette.
« le 29 février 1792, on expose pendant six heures, un
échafaud dressé sur la Grand-Place, un jeune homme natif de Paris, condamné à
dix ans de fer, pour vol avec effraction. C’est le premier qui a été jugé et
condamné à Lille suivant la nouvelle Constitution,
ajoute l’auteur du journal, qui confond avec la Constitution le nouveau code
pénal édicté le 6 octobre par la Constituante. »
Le 2 mars, mort de l’empereur Léopold II.
Le 5 avril, trois cents hommes d’infanterie avec cent
cavaliers et deux pièces de canon partent pour Hazebrouck pour y rétablir
l’ordre.
Le 13 avril, on apprend à Lille la mort du roi de Suède,
Gustave III, assassiné dans un bal masqué, et que notre digne chroniqueur
confond, sans hésiter, avec Gustave-Adolphe.
« Cette mort, ajoute-t-il sentencieusement, doit bien
faire trembler les rois despotes, sur le
trône où ils sont assis. S’ils eussent bien vécu, ils seraient
adorés ; mais voilà la juste destinée des méchants et ambitieux
rois. »
Le 15, plantation d’un arbre de la liberté, peint aux trois
couleurs, surmonté d’un bonnet de la liberté.
La déclaration de guerre votée le 20 par l’Assemblée est
connue le 24 à Lille, où arrivent successivement plusieurs régiments de
cavalerie.
Le 28 avril, le maréchal de camp Théobald Dillon marche sur
Tournai, avec quatre régiments de cavalerie, trois régiments d’infanterie et
six pièces de canon.
On sait comment, à la suite d’un engagement d’avant-garde,
une panique subite entraîna la déroute du Pas de Baisieux et l’assassinat du
malheureux général.
« Ce matin, à 10 heures, écrit l’auteur à la date du
29, on apprend la défaite totale de cette troupe, qui était l’élite de cette
garnison, vendue et trahie par ses chefs, entre autres par le sieur Dillon, qui
a été pendu à un réverbère, en entrant dans la ville, ensuite haché en pièces,
avec un chef d’artillerie. Après cette exécution, ils furent brûlés sur la
Grand-Place.
« Dans cette défaite, on a perdu environ 200 hommes,
tous les bagages et provisions sont tombées au pouvoir du vainqueur. Il y a le
régiment de chasseurs à cheval du Languedoc qui s’est couvert de gloire. On a
tué le curé non assermenté de la Madeleine. »
« 3 mai - Le
régiment de la Colonelle-Générale est parti, couvert de l’indignation publique,
pour sa conduite à l’affaire de Baisieux. »
L’horrible meurtre du général Dillon excita, dans l’honnête
population lilloise, une réprobation telle que l’autorité, pour donner
satisfaction à l’opinion publique, ne put se dispenser d’en poursuivre les
principaux auteurs.
« Aujourd’hui, porte le journal à la date du 13 juillet,
a été exécuté le sieur Levasseur, tailleur, de cette ville, pour avoir coopéré
à l’assassinat de Dillon. Son genre de mort a été suivant le nouveau régime, et ce fut ce Levasseur
qui, le premier, eut la tête tranchée par le mécanisme inventé par M. Louis et
rectifié par le sieur Guillotin, tous deux médecins de Paris.
« En sorte que cette machine pour trancher la tête
s’appelle ou Louison ou Guillotine.
« Le 25 août, un nommé Dupré, maréchal-ferrant, qui
avait participé à l’assassinat eut également la tête tranchée. »
Une tentative fait sur Mons par Biron, le 27 avril, avait
abouti, à la suite d’une panique près de Quiévrain, à une déroute pareille à
celle de Baisieux. Ce double revers vint retarder l’exécution du plan de
Dumouriez. De nouvelles troupes furent réunies à Lille, au camp de La
Madeleine, et les opérations reprises en juin, sous le commandement de Luckner.
IV.
Du 29 avril 1792, date de la déroute de Baisieux, aux
premiers jours du mois de juin, notre journal se borne à signaler, le 17 mai,
l’occupation de Bavay par les Autrichiens, qui en furent chassés le lendemain
par le général Rochambeau.
« Les 5 et 6 juin arrivèrent successivement à Lille le
régiment d’infanterie d’Orléans, les régiments suisses d’Herlae et de Courten,
et les deux régiments de dragons de la Reine et d’Auxerrois.
Le 11 juin, neuf à dix mille hommes vont camper près de
Cysoing, avec vingt-quatre pièces de campagne.
Le 12, arrivée du général de Luckner, avec une partie des
troupes du camp de Famars. Son armée, campée entre Lille et Marquette, est
composée d’environ trente mille hommes et de 150 pièces de canon. Il est logé
chez le sieur Prévost, au faubourg de la Madeleine.
Le 15 arriva un bataillon de carabiniers, qui va camper
entre les portes de la Madeleine et de Saint-Maurice.
« Cette armée, écrit le lecteur à la date du 17 juin,
est partie à deux heures du matin sous les ordres de Luckner, se dirigeant par
la route d’Ypres.
« Les troupes du camp de Cysoing se jointes à celles de
Luckner, se dirigeant sur une colonne, par le derrière de la porte
Saint-Maurice, en 40.000 hommes et 200 pièces de canon.
« Le 17 à midi, on apprend que Menin est au pouvoir de
Luckner, ainsi que Wervicq, le Pont-Rouge et Comines-Nord, de sorte que l’armée
est campée à une heure de Courtray. Le lendemain 18, cette dernière ville est
occupée par nos troupes.
« Le 20 juin, sur le soir, est venu un exprès de
Roubaix, demander des secours à notre municipalité pour repousser un tas de
brigands qui s’étaient jetés sur le village de Wattrelos. Ils ont pillé
quelques maisons et fusillé plusieurs habitants ; 600 hommes de la garde
nationale sont partis à dix heures du soir avec deux pièces de canon et ont
tout calmé. »
Sur ces entrefaites, Luckner, après avoir momentanément
occupé Menin et Courtrai, se retire sur Lille. « Il y arrive le 30
juin et va prendre position depuis Marquette jusqu’aux glacis de la porte
Saint-Maurice.
« Le 5 juillet, départ de l’armée.
« Le 16 juillet, les Impériaux, avec deux mille hommes,
tentent de s’emparer d’Orchies, mais la garde nationale, renforcée d’un faible
détachement, et formant un total de 400 hommes, les repousse avec une perte
considérable. »
* * *
Les évènements du 10 août et l’emprisonnement de la famille
royale furent connus à Lille le 13. La note suivante, inscrite à cette date,
donne une idée de l’étrange façon dont ils furent travestis par le parti
révolutionnaire ;
« On apprend de Paris que, le 10, il s’est fait une seconde
révolution. Louis XVI, conjointement avec ses agents, devait exécuter une seconde Saint-Barthélemy, mais son
exécrable projet a échoué, grâce aux fédérés et aux gardes nationaux parisiens,
qui se sont comportés comme des lions. Il y a eu pendant cette journée, 8.000
hommes massacrés et 2.000 blessés, entre autres tous les Gardes suisses. »
20 août 1792 – « Hier, on a proclamé que la patrie est
en danger ; on a, à cet effet, dressé trois estrades, la première sur la
Grand-Place, la seconde place Saint-Louis (square Ruault), la troisième place
de la Housse. On y a prêté le serment de vivre livre ou de mourir et appelé les
jeunes gens à s’armer pour la défense de la patrie, dont un très grand nombre
se sont déjà enrôlés pour aller défendre nos frontières. »
Le 21, Lafayette, décrété d’accusation, passe la frontière
pour sauver sa tête et est incarcéré par les Autrichiens. « L’infâme
Lafayette, écrit à ce sujet notre chroniqueur, à la date du 31, vient de
décamper l’ennemi, emportant avec lui la caisse de l’armée. »
Le 23, Longwy est occupé par l’armée prussienne. Le duc de
Saxe-Teschen, qui commandait une armée autrichienne à Mons, voyait la frontière
du Nord a demi dégarnie par le départ des troupes de Dumouriez avait rappelées
pour renforcer l’armée du centre, se dirige sur Lille.
« Cette nuit, porte le journal, à la date du 5
septembre, les Impériaux ont attaqué en même temps Roubaix et Lannoy, où ils
ont commis un brigandage sans exemple. Ils ont évacué Roubaix à 8 heures du
matin, mais ils se sont rendus maîtres de Lannoy, qu’ils ont pillé totalement
et s’y sont retranchés. »
10 septembre – « Hier, il y a eu une alerte, qui a
causé quelque inquiétude, mais il n’y a rien eu de part et d’autre. On apprend
que Saint-Amand est pris à la suite de la levée du camp de Maulde.
« Le 11 septembre, un bataillon du département du Nord,
venant de Douai, a été assailli par plusieurs escadrons autrichiens, qui
s’étaient retranchés dans le bois de Ronchin.
« Quoiqu’inférieurs en nombre, les nôtres leur ont tué
40 hommes, avant d’opérer leur retraite. On a battu la générale, toute la
garnison s’est mise sous les armes, et s’est transportée avec un zèle sans
exemple sur les limites de nos frontières,
pour voir s’ils ne rencontreraient pas
les brigands, agents des tyrans despotes.
« Le même jour, les Impériaux se sont emparés du bourg
de Tourcoing et ils y ont fait des retranchements. »
16 septembre – « Cette nuit, les Autrichiens sont venus
parader jusque sur nos glacis mais ils furent promptement balayés. »
Tous les jours arrivent des volontaires de différents
départements. Le 18 septembre, toutes les communautés religieuses sont
évacuées. Le 20, le Pont-Rouge est enlevé ; les Autrichiens y perdent 200
hommes. Dans la nuit du 21, trois mille hommes de différentes armes de la garnison,
avec 12 pièces de canon, se portent sur Comines. On dit que la ville d’Ypres
est prise, ainsi que Comines et Menin.
« Le 24, les Impériaux s’avancent en très grand nombre
sur Lille et les environs, en commettant mille brigandages. Le lendemain, ils
s’emparent du faubourg de Fives et s’y établissent en installant des
retranchements entre Annappes et Lezennes. Ils pillent et volent dans Fives et
les villages voisins. »
27 septembre – « Notre place tire sur les
retranchements des Impériaux, avec les fortes pièces, d’où il s’en suit que ce
qu’ils font dans la nuit est détruit dans le jour. Ils perdent beaucoup de
monde, par l’effet de notre grosse artillerie. »
28 septembre – « Les impériaux se retranchent dans le
faubourg de Fives. On vint y mettre le feu, et tout fut réduit en cendres, de
sorte que ces coquins ont été obligés d’en déloger et se sont établis dans les
vergers et les bois de Fives. »
29 septembre – « Notre artillerie ayant déjoué le
projet d’un siège, les Autrichiens battent en retraite, mais toujours en
pillant. Un détachement de 500 hommes de toutes armes est sorti pour Marquette,
avec quatre pièces de canon, pour déloger 200 Autrichiens qui s’y sont établis
avec une pièce de canon. Il vient d’arriver un trompette ennemi, à dix heures du
matin, demander qu’on eût à rendre la ville et la citadelle et que, pour se
décider, il donnait deux fois vingt-quatre heures. Mais les scélérats
d’Autrichiens commencèrent, à trois heures et demie après-midi, à tirer à
boulets rouges du calibre de 27, et des bombes depuis 120 jusqu’à 500 livres,
qui ont fait un dégât horrible. L’église Saint-Etienne, à neuf heures du soir,
fut réduite en cendres, ainsi que huit maisons qui l’entouraient. Ce terrible
bombardement a duré huit jours pleins, sans décesser
ni jour ni nuit. On compte soixante mille boulets rouges ou bombes que ces
monstres ont tirés sous les ordres d’Albert de Saxe, 500 maisons ont été
réduites en cendres, et 300 abimées par les effets destructeurs des bombes.
L’église Saint-Sauveur a été fort châtiée, et son superbe clocher a été jeté
bas jusqu’à la moitié. Enfin ce sont les alentours de cette paroisse qui ont le
plus souffert du bombardement, tels que les rues Saint-Sauveur, de Fives, du
Croquet, de Poids, de l’Abblette. Ces scélérats se sont retirés le 6 octobre à
trois heures après-midi, ayant eu beaucoup de monde de tué par l’effet de nos
bombes, car notre grosse artillerie n’y pouvait rien faire, tant ils étaient
bien retranchés dans le milieu du faubourg de Fives, et qui allait jusqu’à Lezennes et Annappes, où était leur quartier
général. Enfin cette horrible époque fera partie de nos annales, et l’histoire
ne fera nullement mention d’un bombardement de huit jours et huit nuits
consécutifs. Les habitants ont essuyé ce terrible feu avec tant de sang-froid,
et reconnaissaient les boulets rouges avec une telle adresse qu’ils ne
craignaient plus le feu. Il est à observer que, dans le courant du
bombardement, il nous est arrivé 14.000 hommes des alentours dont on les a beaucoup loués pour leur
zèle. Mais la ville, ses habitants, et sa faible garnison, au plus de 6.000
hommes, par leurs provisions de bouche et de guerre, auraient exténué nos
tyrans, qu’ils auraient tenus pendant six mois. »
* * *
« Le 10 octobre, on apprend la nouvelle de l’entrée de
Montesquiou en Savoie, et les premiers succès de Custine en Allemagne. »
Dans l’intervalle, Dumouriez, par la victoire de Valmy,
avait arrêté l’invasion prussienne en Champagne. Il résolut de repousser, à
leur tour, les Autrichiens de la Flandre, et de reprendre le plan qu’il avait
formé, six mois auparavant, d’envahir la Belgique.
Tandis que son armée principale se concentrait à
Valenciennes, un autre corps destiné à opérer à sa gauche, dans la Flandre
belge, se formait à Lille, quelques jours après la levée du siège, sous le
commandement de La Bourdonnaye.
V.
Dès le succès de Valmy, le 20 septembre 1792, et le début de
la retraite des troupes prussiennes, Dumouriez s’empressa de diriger vers le
Nord, pour en chasser les Autrichiens, les troupes échelonnées sur la
frontière. Si ces mouvements ne purent prévenir le bombardement de Lille, il y
a tout lieu de croire qu’ils furent la cause principale de la retraite
précipitée des assiégeants. L’héroïque résistance des Lillois, à ce point de
vue, fut donc loin d’être inutile, car la prise de Lille eût fortement
compromis le succès des plans de Dumouriez, et c’est à bon droit que la
Convention déclara qu’ils avaient bien mérité de la patrie.
« M. de la Bourdonnaye est arrivé le 8 octobre, écrit
l’auteur du journal, à la date du 10, avec douze mille hommes, et a été camper
de suite dans la plaine de Marquette.
« Le 19 sont arrivés les hussards dits de la République, au nombre de 150 hommes,
ayant un joli costume : bonnet à la hussarde tricolore, habit court bleu
foncé, pantalon de même couleur, veste écarlate avec garniture de petits
boutons dorés, de même qu’à l’habit.
« Le 21 octobre, 12 bataillons partent pour Quesnoy et
le Pont-Rouge où une dernière attaque des Autrichiens est repoussée avec
perte. »
24 octobre – « Les camps qui étaient près de Marquette
et de Croix sont levés dès minuit. On apprend la prise de Mayence et de
Francfort par Custine, l’évacuation de Verdun et de Longwy par les troupes
prussiennes et leur retraite définitive au-delà de la frontière. »
* * *
Dumouriez arriva le 25 octobre à Valenciennes, où 40 mille
hommes, formant l’armée principale, était réunie. Le 28, il marchait sur Mons.
Pendant ce temps, les mouvements de troupes continuaient autour de Lille, où
l’armée de La Bourdonnaye, destinée, comme nous l’avons dit, à opérer sur sa
gauche dans la Flandre belge, achevait de se concentrer.
« Hier, porte notre journal, à la date du 2 novembre,
les camps de la Madeleine et de Saint-Maurice sont levés pour une expédition
dont on ignore le but ; il y a 40.000 hommes aux deux camps.
« Le 3, une autre armée vient encore camper à la
Madeleine. Elle se compose de régiments d’infanterie, de cavalerie,
d’artillerie et 3.000 gendarmes nationaux. Les Autrichiens évacuent
définitivement Roubaix, Tourcoing et Lannoy, après y avoir commis des
brigandages inouïs.
« Le 7, M. Dumouriez est entré dans Mons, à onze heures
du matin. Il y a eu un fameux combat pour le prendre. Ce fut à Cuesmes et
Jemmapes, où il y eu environ 3.000 hommes, tant tués que blessés ; les
Autrichiens en ont perdu le triple. On a trouvé des munitions de guerre dans
Mons, en nombre considérable, entre autres 292 pièces de canon, y compris
obusiers et mortiers, 600.000 boulets, 15.000bombes et autres effets, tel que
fusils, pistolets et sabres, etc.
« Le 9 novembre, entrée de l’armée de La Bourdonnaye
dans Tournay. Le lendemain, elle occupe Gand sans tirer un coup de fusil.
« Le 11, prise de Bruges de même que de Gand, en sorte
que toute cette partie de la West-Flandre
est prise tels que Ypres, Courtray,
Menin, etc. Grande illumination pour la prise de Mons.
« Le 14 novembre, Bruxelles est occupé par l’avant-garde
du général Dumouriez. Il y a eu un combat de six heures, où beaucoup
d’Autrichiens ont été tués ; on y a trouvé presque autant de munitions
qu’à Mons. Louvain et Malines sont pris à leur tour. Le 16, on annonce la prise
de Charleroi « qu’on nommera par la suite Charles-sur-Sambre » dit
notre journal, et le 20, celle d’Ostende, où les Français, à leur entrée,
trouvèrent planté l’arbre de la Liberté.
« Le 22 novembre, grande illumination et fête parfaite à l’occasion de la prise
de tout le Brabant et de la Flandre. A cette occasion, on a dressé une superbe
estrade au milieu de la Grande-Place, avec diverses allégories relatives au sujet. Mais le plus beau
était l’aigle qui était en haut du clocher du beffroi de Tournay, qui a été
promené dans toute la ville, avec le corps municipal ; il était traîné par
un chariot, à la suite de tout ce superbe cortège, enchainé et surmonté par un
volontaire, qui, sabre nu, caractérisait
qu’il était vaincu. Ce même aigle doit être mené à Paris ces jours-ci.
« Le 24 novembre, la ville d’Anvers est occupée par les
troupes françaises ; le 28, prise de la citadelle, contenant des
approvisionnements considérables, par le général La Marlière. Le même jour,
Liège est occupée par l’armée victorieuse de Dumouriez, sans grande effusion de
sang. Les Français y furent bien et fraternellement reçus. On rapporte, ajoute
le journal, que Dumouriez porte toutes ses forces sur le Luxembourg et la
forteresse de Namur, alors tout le pays de Flandre et de Brabant sera libre.
« Le 2 décembre, on apprend que la ville et la
citadelle de Namur sont occupées par le général Valence, commandant l’armée des
Ardennes. »
* * *
Pour le mois de janvier 1793, l’auteur du journal se borne à
signaler, à la date du 16, lé déclaration de guerre à l’Angleterre. Ici, notre
chroniqueur anticipe quelque peu les événements, car si le décret de la
Convention du 13, relatif aux armements maritimes, impliquait nécessairement la
guerre, elle ne fut officiellement déclarée que le 1er février.
Le 21 janvier, il se borne à mentionner en ces termes la
mort du Roi : « Aujourd’hui, Louis XVI a eu la tête tranchée ».
L’impression produite à Lille eût été intéressante à connaître, mais l’auteur,
mû sans doute par un sentiment de prudence fort explicable, s’abstient de toute
réflexion à cet égard. Le 20 janvier, veille de l’exécution de Louis XVI, un
des députés qui avaient voté la mort, Lepelletier de St-Fargeau, fut assassiné
par un ancien garde du corps. La Convention vota une adresse aux départements
et décréta la translation du corps de Lepelletier au Panthéon. On célébra à
Lille à cette occasion, le 17 février 1793, une cérémonie funèbre, dont notre
journal rend compte en ces termes
:
« Aujourd’hui, on a célébré l’oraison funèbre du
citoyen Lepelletier, un de nos plus zélés législateurs, qui a été assassiné la
veille du jour que Louis XVI a été guillotiné. Ce fut un nommé Pâris qui lui a
donné le coup mortel. Toute la garde nationale, troupe de ligne et cavalerie,
furent à cet effet sous les armes, à dix heures du matin, assistées de tout le
corps municipal, civil et militaire,
au bruit du canon »
Le 20 février, « on apprend la déclaration de guerre à
l’Espagne et l’assassinat à Rome du citoyen Basseville, notre représentant. La
République demande réparation de cet assassinat et déclare la guerre à
l’Italie. »
* * *
Pendant ce temps, Dumouriez, rentré à Paris le 1er
janvier, avait rejoint son armée dans les premiers jours de février, résolu à
reprendre l’offensive et à marcher sur la Hollande. Il retrouva ses troupes à
demi ruinées par la misère et la désertion des volontaires. Elles
rencontraient, en outre, chez les Belges, une irritation profonde causée par
les excès commis de tous les côtés par les émissaires des Jacobins. Notre
journal signale, en effet, à la date du 3 mars 1793 « le départ de Lille
de 200 hommes, la plupart canonniers, pour Roulers, où les paysans du pays
avaient arrêté plusieurs convois. Après avoir réprimé ces désordres, ils ont
poursuivi leur route sur Gand, escortant huit pièces de siège de 24. »
Le 5 mars, « on apprend à Lille l’entrée de Dumouriez
en Hollande, et la prise, par son armée, de Breda et de Gertruydenberg. »
Pendant ce temps, la coalition qui n’avait voulu marcher qu’à coup sûr et ses
préparatifs terminés, s’ébranlait pour nous ramener en arrière.
« Le 6 mars, on apprend que les Prussiens et les
Autrichiens ont repris Liège et forcé Miranda à lever le siège de
Maastricht. »
Réduit à une retraite précipitée, Dumouriez renonce à une
entreprise devenue impossible et rentre en Belgique. Il y trouve le pays
effrayé de nos revers et presque insurgé contre nous. Ne désespérant pas de s’y
maintenir, en s’appuyant sur les places fortes, il prend à la hâte quelques
mesures énergiques pour suppléer à l’infériorité numérique de ses troupes.
« Aujourd’hui, porte notre journal, à la date du 10
mars, sont partis 550 hommes de la garde nationale de Lille, pour la ville de
Gand, pour tenir en respect la population.
Bruxelles, Malines, Bruges, Tournay, Louvain, Mons et autres
endroits. Ils sont tous bien armés de piques. Dans la nuit du 12, le feu s’est
manifesté au faubourg de Fives et a dévoré quatorze maisons près de l’église.
« Le 14 mars, on apprend la reprise de Liège par
l’armée française et la nouvelle
officielle est venue que les Autrichiens et Prussiens ont été entièrement
battus, et que Dumouriez les poursuit encore. »
Cette dernière nouvelle, en dépit du caractère officiel que
lui attribue notre chroniqueur, nous paraît quelque peu sujette à caution. En
effet, la bataille de Nerwinde ne fut livrée que le 18, et cette journée, loin
d’aboutir à la déroute des troupes coalisées, n’eut pour Dumouriez d’autre
résultat que de conserver ses positions, après une perte assez considérable.
Quelques jours plus tard, comme l’indique d’ailleurs le journal à la date du 28
mars, l’armée française abandonnait la Belgique, après avoir évacué sur Lille
la plus grande partie de son artillerie de siège. Le 30 mars, Dumouriez était à
Saint-Amand, et le 4 avril, on apprenait à Lille l’arrestation des quatre commissaires
de la Convention, Camus, Lamarque, Quinette et Bancal, et du ministre de la
guerre Beurnonville, livrés par lui la veille au général Clerfayt, à Tournay,
ses négociations avec les Autrichiens tendant à combiner avec eux une marche
sur Paris, pour y rétablir la Constitution de 1791, l’abandon de ses troupes,
et son passage en Belgique.
C’est sur cet événement que s’arrête brusquement, à la date
du 4 avril 1793, sans que l’auteur en indique le motif, le journal de notre
patriote lillois.
Bien que les faits qu’il signale soient déjà en partie
connus, nous avons pensé que sa reproduction intégrale ne serait pas sans
quelque intérêt pour nos lecteurs.
A. RICHEBE