Rubrouck, sa motte castrale, son église et … sa yourte. Le
village flamand accueille depuis des années le monde des steppes mongoles.
Grâce à qui ?
A cause du frère Guillaume ! Moine franciscain, flamand de langue
latin et intime de Saint-Louis, il est choisi par le roi pour une nouvelle
mission vers les terres lointaines des Mongols. Leur puissance est stupéfiante
! Au XIIIe siècle, ils tiennent Moscou, Kiev, ont envahi la Pologne, menacent
Vienne et atteignent presque les rives de l’Adriatique. Une alliance avec eux
offrirait une puissance inégalée pour les Chrétiens d’Occident contre l’Islam
qui cerne la chrétienté !
Les expériences précédentes ont été si infructueuses
que le roi ne veut pas donner un caractère trop officiel à la mission du moine.
Enseigner la parole de Dieu n’est pas la seule tâche que le roi lui assigne, il
doit rapporter toutes les informations qu’il pourra glaner sur les Tatars.
Guillaume consigne tout dans un récit qui est encore édité de nos jours.
En 1253, Guillaume, accompagné de Barthélemy de Crémone,
quitte Constantinople. Guillaume, robuste flamand, supporte les difficultés du
voyage. Son acolyte, italien, supporte mal le froid, la faim et les nourritures
exotiques. Une fois les Monts de Tauride passés, Guillaume découvre la steppe
des Tatars et ses habitants avec lesquels le contact est bon, tant et si bien
qu’il s’acclimate vite aux coutumes de ses hôtes. Accueilli par Batou, puissant
seigneur et petit-fils de Gengis Khan, il tente de le convertir mais ses
arguments théologiques ne portent pas.
Les deux franciscains sont accueillis
avec bienveillance, en hôtes de marque. Mais étant un seigneur parmi d’autres,
Batou ne peut s’engager : seul l’Empereur peut prendre les décisions ! Et il
est à 3.000 kilomètres de son camp… La capitale est au nord du désert de Gobi,
froid et inhospitalier. Un riche marchand mongol les emmène à la cour de
l’empereur Mongku ! Et c’est habillé comme les autochtones qu’ils traversent
désert et cols enneigés. Les fourrures et les bottes de feutres protègent tout
de même mieux que la bure !
En janvier 1254, l’empereur, autre petit-fils de Gengis
Khan, les reçoit à Karakorum. Bien que réputé généreux, il est sans pitié avec
ses ennemis et sait réprimer avec férocité. Il les reçoit chez une de ses
filles qui est chrétienne. L’ambiance est bonne, détendue même. Les deux
missionnaires reçoivent la permission de séjourner à la cour.
Celle-ci est à
l’image de la ville : cosmopolite. Lors de son séjour à Karakorum, Guillaume
est surtout frappé de la présence arabo-musulmane et par la variété des
populations sous l’autorité de Mongku. Il note aussi, alors que l’Occident voit
s’éteindre l’idéal des Croisades, que toutes les religions cohabitent dans la
capitale dans la plus complète tolérance malgré la présence d’hérétiques et de
quelques fanatiques qui compliquent le dialogue entre les religions. Les
rencontres entre Guillaume et les chrétiens de la ville sont publiques.
Non
seulement Mongku ne prend aucune mesure mais il décide d’organiser une
controverse : un débat entre musulmans, païens, bouddhistes et … catholiques la
veille de la Pentecôte ! Les règles sont claires, il est interdit de se servir
de « paroles désagréables ou injurieuses pour leur contradicteur, ni provoquer
un tumulte qui puisse empêcher cette conférence, sous peine de mort ». Si
Guillaume est éloquent, il ne suscite aucune conversion mais qu’importe, il
trouve là une assemblée où le dialogue est réel, voire œcuménique. Une fois la
discussion close, l’assistance se retrouve pour de copieuses et joyeuses
libations !
Le lendemain, Guillaume est convoqué avec son contradicteur
bouddhiste par l’empereur qui les assure de sa foi en un seul Dieu mais que
toute foi peut connaître plusieurs chemins, prendre d’autres formes puis leur
fait comprendre qu’ils doivent s’en retourner chez eux. Sans acrimonie
d’ailleurs car si Guillaume refuse les cadeaux, Mongku l’assure qu’il sera
toujours le bienvenu si Saint-Louis le renvoie en terre mongole.
De retour à
Saint-Jean-d’Acre, le franciscain flamand fait diligence pour envoyer ses notes
au roi qui ne put ni évangéliser les descendants de Gengis Khan ni les
convaincre de faire alliance avec les chrétiens d’Occident… Quant à Guillaume,
il s’éteignit vraisemblablement vers 1295, à un âge avancé, sans retourner
fouler la steppe…
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